3D Poitiers Évolution : de l’archéologie… à l’image virtuelle. Le quartier du Puygarreau : de la fouille préventive à la restitution numérique ; trouver un juste compromis entre réalités archéologiques et réalité augmentée

Par Gaël Hamon, Frédéric Gerber et Laurence Stefanon
Publication en ligne le 25 septembre 2019

Résumé

Redevelopment works in the city center of Poitiers (France-Vienne), lead to several archeological interventions. The Mayor’s office cooperated with INRAP and Service Régional de l’Archéologie to create a virtual historical visit, using “increased reality” technology. Plans and results of excavations were used for this project, as well as works of scientific committee members, archeologists and historians. These elements were selected to show urban district evolution and to realize a 3D computer-graphic. At every stage of creation, the likelihood of those elements was researched. To do so, a permanent discussion between the contributors was essential. This work combines sources, archeological results, pictures, ancient texts and university studies.

À l’occasion de grands travaux de restructuration du centre-ville qui ont conduit à plusieurs interventions archéologiques, la mairie de Poitiers (France-Vienne), en partenariat avec l’Inrap et le Service régional de l’archéologie, a lancé en mars 2013 un projet de visite historique virtuelle, utilisant la technologie de la réalité augmentée. Partant des plans et des données de fouille, le travail des membres du comité scientifique, archéologues et historiens, a été de choisir les éléments à représenter pour restituer l’évolution urbaine d’un quartier, puis de fournir à l’infographiste 3D tous les éléments lui permettant de réaliser les modèles numériques. À chaque étape de la création, la recherche de la vraisemblance a primé, instituant un échange permanent, quasi-quotidien, entre les différents intervenants. Toutes les sources disponibles, données archéologiques, iconographie, textes anciens, études universitaires ont été utilisées à cette fin.

Mots-Clés

Texte intégral

Introduction

1À l’occasion de grands travaux de restructuration du centre-ville (Cœur d’Agglo), la mairie de Poitiers (France-Vienne), en partenariat avec l’Institut national de recherches archéologiques préventives (Inrap) et le Service régional de l’archéologie de Poitou-Charentes, lance en mars 2013 un projet de visite historique virtuelle, utilisant la technologie de la réalité augmentée. L’objectif principal est d’aider le grand public à se projeter dans une ville en mouvement perpétuel et de montrer l’élaboration progressive du tissu urbain.

2Le premier secteur retenu est celui du Puygarreau en centre-ville ; les fouilles archéologiques, réalisées en 2011 et 2012, constituent l’élément clé pour la compréhension de l’évolution de ce secteur de la ville1.

3La réussite d’un tel projet, doté d’un comité scientifique réunissant des archéologues, des historiens de l’art et des historiens2, repose sur un long travail préparatoire et un dialogue constant entre les différents acteurs et l’infographiste 3D.

4Ce travail, dont la réalisation technique a été confiée à l’entreprise Art Graphique & Patrimoine, permet de disposer aujourd’hui d’images 3D facilement compréhensibles par le grand public et utilisables par les scientifiques pour illustrer leurs présentations et publications.

L’application 3D Poitiers évolution

5Conçue pour dévoiler le patrimoine et les richesses cachées de Poitiers, l’application propose une balade inédite dans la ville et dans un univers entièrement recréé par l’image virtuelle, de l’Antiquité à nos jours, en passant par l’Antiquité tardive, le Moyen Âge et le xviie siècle.

6Développée pour un usage sur tablette tactile, cette application est disponible gratuitement sur les stores. Elle peut s’utiliser aussi bien sur site pour accompagner la visite de la ville qu’en amont ou en aval d’une promenade urbaine (les informations mises à disposition ainsi que les images virtuelles étant consultables hors du site).

7L’entrée s’effectue par la visualisation de différents plans de la ville à différentes époques, et selon le point d’intérêt sélectionné. L’utilisateur découvre alors des vues panoramiques 360° en 3D à l’intérieur desquelles il peut se déplacer en déplaçant sa tablette. À l’aide de la caméra de la tablette, il est possible de superposer l’image virtuelle sur le réel. Le logiciel prévoit également de zoomer sur les reconstitutions.

8Grâce à un curseur, l’utilisateur peut se mouvoir dans le temps et visualiser les transformations de l’espace urbain à partir du point d’intérêt qu’il aura sélectionné. S’il le désire, il sera accompagné dans son voyage par des commentaires audio et des vidéos d’experts.

9Cette application, disponible en français et en anglais, propose également un film retraçant l’histoire de la ville à partir de documents iconographiques.

La réalité archéologique

10Le site du Puygarreau se situe en bordure orientale du plateau sur lequel a été bâti le cœur de la cité antique de Limonum. La première occupation, au début de notre ère, est marquée par une petite tranchée probablement destinée à la plantation d’une haie, et par une fosse d’extraction d’argile. Une voie (decumanus), jusqu’alors non répertoriée, est implantée à la fin de la période augustéenne. Elle est bordée quelques décennies plus tard de colonnades qui supportent probablement des portiques et/ou étages couvrant les trottoirs. Elle a alors une largeur de 7,50 m. Les trottoirs, larges de 3,50 m, longent de longs murs de façade. Celui au nord semble fermer une cour, alors que celui du sud borde le péristyle d’une riche demeure (domus) ouvrant, en léger contrebas, sur un jardin décoré d’un nymphée. Ces constructions sont installées sur une pente très marquée et utilisent pour cela des jeux de terrasses.

11À l’extrême fin du iiie siècle, l’ensemble du quartier est déconstruit dans le cadre de l’aménagement de l’enceinte urbaine. Celle-ci, observée sur plusieurs mètres, a une largeur totale de 6 m et est conservée sur 1,70 m de haut. Ses fondations préservées sur moins de 2 m de large sur la façade dégagée, comportent trois assises de blocs monumentaux en réemploi. L’élévation est en petit appareil calcaire soigneusement jointoyé. La voirie est utilisée durant les travaux comme rampe pour apporter les matériaux de construction. Elle disparait ensuite sous des remblais qui recouvrent également ce qu’il reste des maisons et des colonnes basculées. La présence d’un talus (agger), contre l’enceinte du bas Empire, intra-muros, est ainsi mise en évidence pour la première fois à Poitiers.

12Les caves modernes ont laissé peu de traces des occupations médiévales. Quelques fosses et silos ont toutefois pu être fouillés. La plupart livrent du mobilier du xe siècle. Un bâtiment sur cave dont les murs de pierre sont montés à la terre témoigne d’un début de ré urbanisation de la zone dès le xie siècle. Il est détruit dans le courant du xiie ou du xiiie siècle. C’est alors qu’une partie des fondations antiques, qui ne sont pas situées sous le talus, est alors récupérée. Un autre bâtiment sur cave est alors construit, sur le talus, peut-être en bordure d’une nouvelle rue, alors que l’ensemble de la zone reçoit un important remblai de terre végétale sans doute destiné à l’aplanir. Des caves sont aménagées dans les fondations du rempart, par enlèvement des blocs monumentaux.

13À la fin du xve siècle, Françoise Gilliers, dame du Puygarreau, fonde un collège et fait bâtir une chapelle funéraire dont une partie des fondations a été retrouvée lors des interventions archéologiques de 2012.

14Le collège du Puygarreau est confié aux Jésuites au xviie siècle. Ceux-ci y réalisent d’importants travaux, avant que l’établissement ne soit définitivement regroupé avec le collège Sainte-Marthe pour former le collège Royal.

15Le collège du Puygarreau et la chapelle du même nom sont démolis à la fin du xixe siècle pour laisser place à l’hôtel de ville et à la rue Lebascles.

La construction du discours

16Retracer, sous la forme d’images pertinentes3 et de commentaires courts, l’histoire d’un quartier, d’une ville, ou de manière plus générale, d’un site archéologique, et la rendre compréhensible au plus grand nombre, impliquent de faire des choix sur les éléments à représenter. Ceux-ci doivent à la fois répondre à la logique du discours qui se veut complet et cohérent, et tenir compte de la présence ou non de données historiques et/ou archéologiques pour éviter de tomber dans la pure fiction, voire la supercherie.

17Quatre grandes périodes ont été définies pour une approche diachronique : Haut-Empire (fig. 1), Bas-Empire (fig. 2), Période médiévale (fig. 3) et Période moderne (fig. 4).

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Fig. 1 : Deux fouilles archéologiques réalisées par l’Inrap en 2012 ont permis d’identifier une rue antique bordée de portiques et une riche demeure qui la longeait sur son côté sud. Extrait de la vue à 360° représentant le Haut-Empire © Art Graphique & Patrimoine (voir l’image au format original)

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Fig. 2 : La construction de l’enceinte amena une profonde modification de la physionomie urbaine. Elle s’accompagna du démantèlement de tout le centre monumental ainsi que de la déconstruction des quartiers d’habitation situés sur son tracé. Extrait de la vue à 360° représentant le chantier de construction durant le Bas-Empire © Art Graphique & Patrimoine (voir l’image au format original)

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Fig. 3 : La construction de la maison sur cellier découverte lors des fouilles archéologiques de 2012. Malgré le peu d’informations disponibles pour la période médiévale, la vue à 360° redonne au mieux l’idée d’un bâti relativement lâche, perçu à travers les fouilles archéologiques © Art Graphique & Patrimoine (voir l’image au format original)

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Fig. 4 : Situés sous l’hôtel de ville construit à la fin du xixe siècle, les fragments d’enceinte antique conservés dans les bâtiments médiévaux, la chapelle funéraire des Gilliers du xve siècle, et les bâtiments du collège Jésuite, ont chacun fait l’objet d’une étude approfondie. On voit ici la façade du bâtiment occupé par les Jésuites au xviie siècle © Art Graphique & Patrimoine (voir l’image au format original)

18Ces choix ont été motivés essentiellement par la rupture que représente chaque période par rapport à la précédente, tant du point de vue historique que de celui de l’impact sur la physionomie du quartier et de la ville. La quantité d’informations disponibles a ensuite permis d’affiner la date retenue pour chaque restitution. Outre des plans topographiques et des plans phasés issus de la fouille, les opérations archéologiques ont fourni un fond photographique très important, avec des vues aussi bien générales que de détails. Pour les périodes les plus récentes, une importante étude documentaire a permis de compléter les informations.

19Le premier travail du comité scientifique a donc été de rédiger un synopsis résumant pour ces quatre focus le contexte général à l’échelle de la ville, précisant ensuite les faits marquants à celle du quartier, en insistant éventuellement sur des éléments majeurs à représenter.

20Afin d’illustrer au mieux les différentes périodes, les deux points depuis lesquels le spectateur peut regarder les panoramiques 3D ont été positionnés de part et d’autre de l’enceinte du Bas-Empire. C’est un élément architectural récurrent.

21Le premier point, situé dans les Jardins du Puygarreau, offre pour le Haut-Empire une vue à 360° depuis la rue antique découverte lors des fouilles (fig. 5).

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Fig. 5 : Vue de la voie découverte dans les Jardins de Puygarreau. Elle va servir de cadre pour le Haut-Empire sur le premier point d’intérêt de l’application © Frédéric Gerber, Inrap (voir l’image au format original)

22Les plans de fouille ont donné lieu à une étude précise des modules de construction utilisés par les architectes antiques (fig. 6). Des similitudes, tant dans les dimensions que dans les éléments du décor lapidaire, ont permis par ailleurs de faire des comparaisons avec d’autres demeures fouillées sur Poitiers. Une première hypothèse de restitution des élévations des bâtiments a ainsi pu être proposée. Une maquette de travail au 1/72e a été réalisée. Les matériaux de construction ont été déterminés à partir : des vestiges en place (base de murs, de colonnes) ; des éléments retrouvés dans les différents niveaux (tuiles, moellons, fragments lapidaires) ; de ce qui a pu être déduit des facteurs de charge (élévations en torchis-colombage au-dessus des portiques et d’une zone d’entrepôt semi-enterrée). Les éléments de détails (fenêtres, portes, fontaine publique, etc.) ont été réalisés en s’inspirant de ceux conservés à Pompéi, Herculanum ou à Poitiers même.

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Fig. 6 : La recherche du tracé régulateur. Plan des vestiges archéologiques et restitution des espaces à partir des modules de construction. © Véronique Gaston-Brunet, Inrap (voir l’image au format original)

23Le Bas-Empire, illustré par le chantier de construction de l’enceinte urbaine, se trouve sur le second point, dans la rue Lebascles. La construction de l’enceinte antique (fig. 7) amène une profonde modification de la physionomie urbaine. Elle s’accompagne du démantèlement de tout le centre monumental et de la déconstruction des quartiers d’habitation situés sur son tracé. L’image proposée devait à la fois offrir une vue du rempart terminé et montrer sa morphologie. Elle devait par ailleurs retranscrire les différentes phases de ce gigantesque chantier. La documentation archéologique disponible porte essentiellement sur ses soubassements. De plus, un seul tronçon étant conservé en élévation, et encore très partiellement, il a fallu aller chercher des éléments de comparaison sur d’autres enceintes urbaines de cette période (Carcassonne, Dax, Évreux, Le Mans, Rome, Trèves, etc.).

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Fig. 7 : Le rempart du Bas-Empire. Ses puissantes fondations ont servi de carrière au Moyen Âge. La face interne de son élévation est encore visible au niveau du square du Palais de Justice © Frédéric Gerber, Inrap (voir l’image au format original)

24Pour la période médiévale, visible depuis le premier point, la scène a été placée au xiiie siècle, à une époque où le rempart antique commence à laisser place au bâti, la nouvelle enceinte médiévale, beaucoup plus vaste, l’ayant rendu inutile. Une légère compression temporelle a été réalisée pour cette vue : la maison en construction, le seul élément issu des fouilles archéologiques, étant construite en réalité dans le courant du xiie siècle (fig. 8). La représenter terminée masquait l’arrière-plan. Sa structure en pan de bois est déduite de l’aspect des murs du cellier qui ont été retrouvés sur le terrain et de la quasi-absence de moellons dans ses niveaux de démolition. Les quelques maisons médiévales connues à Poitiers ont servi de références pour la restitution des autres bâtiments. D’autres éléments ont été pris sur des maisons de Cahors, Cluny, Orléans, etc. Des enluminures médiévales ont servi de sources pour la représentation des jardins et de l’arrière des maisons, dans un bâti alors encore très lâche.

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Fig. 8 : La maison sur cave. Vue de la descente d’escalier menant à la cave retrouvée lors des fouilles archéologiques de 2012 © Frédéric Gerber, Inrap (voir l’image au format original)

25Le 360° de l’époque moderne est situé sur le point 2. C’est curieusement la période qui a demandé le plus de recherches d’archives, plus aucun élément ne subsistant aujourd’hui du collège médiéval reconstruit par les jésuites au début du xviie siècle. La restitution est donc basée sur des plans relativement précis réalisés au xixe siècle avant la construction de l’hôtel de ville (fig. 9). De même, des comparaisons ont été réalisées avec les bâtiments construits par cet ordre religieux à la même période, comme l’actuel lycée Henri IV (ancien collège Sainte-Marthe), situé juste à côté. La chapelle du Puygarreau, bâtie au xve siècle, n’était connue que par les textes, un plan du xixe siècle et un ancien daguerréotype montrant une vue générale de Poitiers. La physionomie de l’ensemble s’inspire des chapelles de la même époque conservées dans la région. Un clin d’œil a été fait à la famille des Gilliers qui est à son origine, en plaquant ses armoiries sur le pignon de l’édifice.

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Fig. 9 : Le collège du Puygarreau. Plan du collège et de la chapelle, xixe siècle © Archives départementales de la Vienne (D28, n°17) (voir l’image au format original)

26Les principaux problèmes rencontrés sont dus à l’absence de référentiel numérique fiable pour un grand nombre d’éléments : chariots antiques, grues, four à chaux, échafaudages, etc., qu’il a fallu créer de toute pièce à partir de l’iconographie et des études spécialisées disponibles. Pour prendre l’exemple des grues à cage d’écureuil (aussi parfois appelées treuil à tambour) du chantier de construction de l’enceinte du Bas-Empire, l’analyse technique poussée des représentations du bas-relief des Haterii4 et de celle du bas-relief de Lucceius Peculiaris5 a servi de base à la modélisation. Les seuls modèles livrés par l’archéologie expérimentale sont en fait des roues médiévales basées sur des enluminures. Les travaux universitaires de Sophie Madeleine sont venus compléter les informations fournies à l’infographiste 3D pour la modélisation de l’engin6.

La réalisation des images numériques

27Composé d’une équipe d’experts aux compétences transversales, Art Graphique & Patrimoine a ensuite réalisé les restitutions. Le travail s’est déroulé pour chaque tableau chronologique en cinq étapes. Le dialogue avec le comité scientifique a été constant, et une validation par ce dernier est intervenue à la fin de chacune d’entre elles.

Étape 1 : Modélisation du sol sur toute la surface visible

28La première étape numérique porte sur la constitution du sol sur lequel vont être implantées les différentes restitutions. Elle commence avec la préparation et le maillage du modèle numérique de terrain (MNT), corrigé éventuellement par les données topographiques des archéologues, afin de tenir compte non seulement de la topographie du lieu restitué, mais également de tout ce qui sera visible à partir de celui-ci.

Étape 2 : les maquettes blanches

29Pour chaque période, le plan archéologique ou historique est intégré au plan général du MNT. Les volumes sont alors créés. Les principaux bâtiments sont modélisés sous forme de volumes simples : les maisons et les portiques à colonnes de la rue antique (fig. 10), le rempart en construction au Bas-Empire, les maisons et le rempart au xiiie siècle, le collège du Puygarreau, la chapelle médiévale et les vestiges du mur antique au xviie siècle. Ce travail est réalisé à partir des données fournies par le comité scientifique, données complétées par les indications orales lors des réunions de travail et les échanges courriels.

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Fig. 10 : Maquette blanche de la domus (riche maison de ville) et de la rue antique de la fouille de Puygarreau © Art Graphique & Patrimoine (voir l’image au format original)

Étape 3 : la modélisation

30Les volumes de la maquette blanche sont repris et le maillage 3D affiné : positionnement plus précis des murs, rajouts des fenêtres, des portes, des cheminées, des toitures, etc. Pour les élévations, lorsque celles-ci ne sont pas connues, des dimensions cohérentes sont appliquées aux bâtiments (fig. 11). Il en va de même pour les détails des constructions (fenêtres, portes ou autres).

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Fig. 11 : Modélisation du rempart du Bas-Empire en construction © Art Graphique & Patrimoine (voir l’image au format original)

31Le degré de précision de la modélisation varie selon l’éloignement de la caméra : au premier plan, chaque élément est entièrement modélisé, alors que sur les plans secondaires, la modélisation est moins précise, voire remplacée par un placage de textures. Pour les maisons éloignées, par exemple dans la scène antique, un modèle d’îlot est créé puis dupliqué avec de légères modifications pour donner l’illusion de la diversité.

32La scène est enfin complétée par l’implantation de murs de clôture, d’arbres, d’éléments éloignés, d’objets, etc. L’ensemble reçoit un effet de vieillissement et certains détails sont affinés.

Étape 4 : les textures

33La réalisation des textures est pratiquement concomitante à l’étape précédente. Des photos issues d’une base de données propre à l’infographiste, ou accessibles sur internet, sont combinées à des photos prises sur place, ou fournies par le comité scientifique (fig. 12). Par exemple, pour des enduits usés, abîmés, des coulures et des fissures sont ajoutées. Des espaces sont réservés pour les chaînages, les arcs sur lesquels seront plaquées des textures de pierres.

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Fig. 12 : Création des textures à partir des photos de terrain fournies par les archéologues, et application de celles-ci sur les éléments modélisés © Art Graphique & Patrimoine (voir l’image au format original)

34Pour certaines textures, le travail est plus long et se fait par enrichissement progressif. Pour que la scène soit le plus réaliste possible, il faut veiller à créer des textures avec des teintes et des aspects multiples, qui puissent par exemple permettre de varier les représentations d’un même matériau (blocs de pierres avec des teintes différentes). Chaque détail compte, comme par exemple le travail sur la texture des vitres afin de contrôler comment l’environnement appliqué à la scène s’y reflète (fig. 13).

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Fig. 13 : Réglage de l’ambiance sur la scène du collège du Puygarreau au xviie siècle © Art Graphique & Patrimoine (voir l’image au format original)

Étape 5 : les ambiances et le rendu de l’image

35Aucun point de repère n’existant entre les scènes actuelles et les restitutions, la caméra est positionnée dans la scène en se calant sur le panoramique actuel, grâce à un scan réalisé in situ et à des photographies, la forme générale de ces bâtiments ayant été intégrée à la modélisation. Une lumière correspondant à l’emplacement du soleil dans les scènes actuelles est positionnée, puis l’ambiance est réglée avec les paramètres de rendu du logiciel (illumination globale, radiosité, texture d’environnement, etc.).

36L’image est ensuite calculée à 360 degrés. La même image est recalculée en occlusion, puis combinée au rendu normal pour lui donner plus de profondeur et de réalisme. L’image obtenue est enfin retouchée dans un logiciel de traitement d’image : réglage de la tonalité si nécessaire, modification de certaines teintes, rajout d’éléments : végétation, animaux, fumées, etc. (fig. 14).

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Fig. 14 : Dernières retouches et ajout des fumées. Les fours à chaux du Bas-Empire © Art Graphique & Patrimoine (voir l’image au format original)

Conclusion

37Dès le départ, cette réalisation s’est inscrite dans une démarche avant tout scientifique. Ce travail a permis de vérifier la cohérence et la crédibilité des hypothèses de restitution proposées à partir des données de fouilles. Il a été réalisé en droite ligne des préconisations des spécialistes de la question.

38Ainsi, sachant que les images proposées ne sont que des hypothèses, que les bâtiments restitués n’ont jamais été tels que représentés, aucune distinction visuelle n’a été appliquée entre les éléments réellement observés lors de la fouille et ceux purement hypothétiques. À l’inverse, les textures appliquées ont été créées le plus souvent possible à partir des données archéologiques. La multiplication des clichés réalisés de nos jours par les archéologues grâce à l’emploi des appareils photographiques numériques y a grandement contribué.

39Contrairement à certaines écoles qui proposent des images épurées, relevant presque du dessin technique, une certaine esthétique réaliste, qui pourrait rappeler ce que l’on voit dans grand nombre de jeux videos, a été volontairement appliquée aux images. Comme le souligne Sophie Madeleine, les « envois de Rome », c'est-à-dire les relevés et études d’architectures antiques, expédiés par les pensionnaires de l’académie de France à Rome, prenaient déjà au xixe siècle l’aspect de très belles aquarelles mêlant les ruines observées à leur restitution7. Ces dessins s’accompagnaient de notices explicatives détaillées.

40C’est probablement là que l’application numérique prétexte aux restitutions pictaviennes peut pêcher. Malgré les « vidéos d’expert » donnant quelques explications sur les sources et la philosophie de la restitution archéologique, le spectateur a peu d’éléments pour faire la part des choses8. Le « making-of » prend dès lors autant d’importance que les images elles-mêmes. Un poster en trois panneau a ainsi été réalisé, en version française et en version anglaise, afin d’expliquer un minimum la démarche et les secrets de fabrication9. Il a déjà été présenté lors de plusieurs manifestations abordant les Humanités numériques. De la même manière, ce travail a été présenté au public et surtout aux professionnels du Patrimoine, lors du tout dernier Salon international du patrimoine culturel10.

Bibliographie

41Frédéric Gerber, Poitiers (86), « Puygarreau-Sud » et « Les Jardins du Puygarreau ». Nouveaux éléments pour la connaissance de la genèse du quartier [non publié], Inrap, 2015, 553 p.

42Jessica Fèvres-de Bideran, « L’archéologie virtuelle, une injonction communicationnelle contrariée… », Com'en Histoire, 2015, en ligne http://cehistoire.hypotheses.org/463 [consulté le 12 juin 2015].

43Jean-Claude Golvin, Cours de Tunis, 2 vol., Tunis, Icomos, 59 p., 2005, en ligne https://www.unicaen.fr/cireve/rome/pdf/COURS1.pdf [consulté le 12 juin 2015].

44Sophie Madeleine, « La restitution des machines vitruviennes », Université d’Ottawa / Université de Laval, 2011, p. 35-59, en ligne http://etudesanciennes.revues.org/310 [consulté le 12 juin 2015].

45De la restitution en archéologie, Actes du colloque d’Enserune (octobre 2005), Paris, Éditions du Patrimoine, Centre des Monuments nationaux (Collection Idées et débats), 2008, 298 p., en ligne http://www.monuments-nationaux.fr/fichier/editions_livre/662/livre_pdf_fr_restitution.pdf [consulté le 12 juin 2015].

Documents annexes

Notes

1 Cour arrière de l’hôtel de ville (Christophe Belliard, Ville de Poitiers 2011, rapport en cours), surveillance de travaux rue du Puygarreau (Christophe Belliard, Ville de Poitiers 2012, rapport en cours), fouille de Puygarreau-Sud (Frédéric Gerber, Inrap 2012, Gerber 2015) et fouille des Jardins du Puygarreau (Frédéric Gerber, Inrap 2012, Gerber 2015).

2 Christophe Belliard, Ville de Poitiers ; Thierry Bonin, Service régional de l’archéologie, Drac Poitou-Charentes ; Thomas Gatel, Ville de Poitiers ; Frédéric Gerber, Inrap / HeRMA ; Éric Hebert, Ville de Poitiers ; et Jean Hiernard, Université de Poitiers.

3 Sur la définition de la pertinence des images de restitution 3D, voir Jessica Fèvres-de Bideran « L’archéologie virtuelle, une injection communicationnelle contrariée … », Com’en Histoire, 2015 ; Jean-Claude Golvin, Cours de Tunis, 2 vol., Tunis, 2005. Sur la restitution en archéologie de manière plus générale, voir De la restitution en archéologie. Actes du colloque d’Enserune (octobre 2005), Paris, 2008.

4 Musée du Vatican, inv. 9997.

5 Bas-relief de l’amphithéâtre de Capoue, dont un moulage est visible au Musée de la civilisation romaine à Rome (inv. 1691).

6 Sophie Madeleine 2011. Cette Ingénieur de Recherche au CIREVE (Centre Interdisciplinaire de Réalité Virtuelle) de l’Université de Caen Basse-Normandie, travaille notamment sur le projet Le plan de Rome que mène cette université depuis plusieurs années.

7 Sophie Madeleine, « La restitution des machines vitruviennes », Cahiers des études anciennes, XLVIII, Université d’Ottawa / Université de Laval, 2011, p. 35-59, en ligne http://etudesanciennes.revues.org/310 [consulté le 12 juin 2015].

8 Jean-Claude Golvin explique cette démarche dans une brève « vidéo d’expert » consultable dans l’application.

9 Ces posters sont consultables en ligne http://www.artgp.fr/articles/single/6

10 Paris, Carrousel du Louvre, 5-8 novembre 2015.

Pour citer ce document

Par Gaël Hamon, Frédéric Gerber et Laurence Stefanon, «3D Poitiers Évolution : de l’archéologie… à l’image virtuelle. Le quartier du Puygarreau : de la fouille préventive à la restitution numérique ; trouver un juste compromis entre réalités archéologiques et réalité augmentée», Annales de Janua [En ligne], Les Annales, n° 4, Antiquité et Moyen Âge, mis à jour le : 25/09/2019, URL : https://annalesdejanua.edel.univ-poitiers.fr:443/annalesdejanua/index.php?id=1101.

Quelques mots à propos de :  Frédéric Gerber

Statut : Ingénieur de recherche à l'Inrap (Institut national de recherches archéologiques préventives). - Laboratoire : HeRMA (EA 3811), Université de Poitiers - Thématique de recherche : Archéologie urbaine, de la Tène finale à l'époque contemporaine. Waterfront archaeology. Restitution archéologique. - Contact : frederic.gerber@inrap.fr