Penser la présence de Dieu dans les corps. L’eucharistie et ses analogies dans un matériau de prédication du xiiie siècle

Par François Wallerich
Publication en ligne le 11 avril 2018

Résumé

The article focuses on a short pastoral text located in the Summa de abstinentia attributed to Nicolas of Biard and in the Compilacio Singularis Exemplorum, both Dominican collections dating from the second half of the 13th century. In this text, the properties of the eucharist are compared to natural phenomena. This way of proceeding underlines the complexity of medieval corporeality. On one hand, preachers want to show that the corpus Christi shares the same properties as the other bodies. Therefore, they define body as the locus of change. On the other hand, they feel the need to stress the singularity of some bodies, which derogate from the common rule, in order to think Christ’s presence in the consecrated species.

L’article s’intéresse à un court matériau de prédication localisé dans la Summa de abstinentia attribuée à Nicolas de Biard et dans la Compilacio Singularis Exemplorum, deux textes dominicains de la seconde moitié du xiiie siècle. Les compilateurs y présentent les propriétés de l’eucharistie en les comparant à des phénomènes naturels. Dans leur démarche apparaissent toutes les tensions et les ambiguïtés qui entourent la notion de corporalité au Moyen Âge. Voulant montrer que le corpus Christi partage les mêmes propriétés que l’ensemble des corps, les prédicateurs définissent implicitement la corporalité comme le lieu du changement. Dans le même temps, il leur apparaît nécessaire de souligner la spécificité de certains corps, qui, tout comme l’eucharistie, dérogent dans une certaine mesure à la règle commune. Ce n’est que de cette manière qu’il leur semble possible de penser la présence du Christ dans les espèces consacrées.

Mots-Clés

Texte intégral

1La corporalité de l’eucharistie est un enjeu central des débats et controverses théologiques du Moyen Âge. Dès le ixe siècle, alors que Paschase Radbert affirme que le corps du Christ, présent in ueritate dans l’hostie, est identique au corps historique né de la Vierge, Ratramne de Corbie défend une présence in figura et nie l’identité entre corps sacramentel et corps historique1. Dans la seconde moitié du xie siècle, le magistère pontifical promeut le dogme d’une présence corporelle conçue sur un mode très réaliste et condamne l’optique plus figurative défendue par Bérenger de Tours2. Aux xiie et xiiie siècles, l’Église réaffirme constamment la présence du corps du Christ dans l’hostie, notamment pour combattre divers groupes dissidents qui la nient3. Cette difficulté persistante à penser la présence corporelle du Christ dans l’eucharistie est liée à un double paradoxe, que l’on peut mettre en évidence à partir de la définition du « corps » (corpus) que donnent les savants de l’époque.

2Pour Isidore de Séville, au début du viie siècle, « le corps se dit de ce qui est détruit par la corruption. Le corps est mortel et périssable et finit par périr »4. En faisant dériver corpus de corruptum, Isidore définit le corps par sa soumission au changement et à la destruction. La double contrainte ainsi établie sur les corps implique, nécessairement, une double opposition à Dieu, que le christianisme définit comme immuable et impassible. Si Dieu est immuable et impassible, il ne peut être soumis au changement et à la destruction et ne peut donc avoir un corps5.

3Les opposants à la présence réelle du corps du Christ dans les hosties n’ont pas manqué d’appliquer cette contradiction à l’eucharistie. Le pain et le vin, disent-ils en substance, se corrompent. Or, le corps du Christ, désormais glorifié, ne peut être corrompu. Par conséquent, il n’est pas présent dans l’eucharistie6. Comment l’Église a-t-elle pu combattre de tels raisonnements qu’elle jugeait hérétiques ? C’est ce que le texte que nous présentons peut nous aider à comprendre.

Des analogies pour penser l’eucharistie : un corps comme les autres ?

Un fragment pastoral inédit

4La Summa de abstinentia, attribuée au dominicain Nicolas de Biard, est un recueil de matériaux de prédication sur divers sujets, rangés selon l’ordre alphabétique en 133 chapitres7. Le chapitre XXIV, intitulé De corpore Christi, s’organise en trois mouvements. Après avoir énoncé certains points dogmatiques, l’auteur indique comment bien communier et conclut sur le comportement à adopter ensuite. Les analogies qui nous intéressent figurent dans le premier mouvement de cet exposé, dont il faut relever la cohérence d’ensemble.

5Cependant, le contenu de ce premier mouvement figure également dans un autre contexte. En effet, on a pu retrouver les analogies qui y sont présentées dans deux autres manuscrits. Elles figurent dans un recueil d’exempla inédit, mais bien connu sous le nom de Compilacio Singularis Exemplorum8. Ce recueil, compilé par un dominicain entre 1277 et 1297, peut-être dans les pays de Loire, est connu par trois manuscrits :

  • Bern, Burgerbibliothek, cod. 679 (xiiie siècle)

  • Upsal, Universitetsbibliotek, C. 523 (xive siècle) (U)

  • Tours, Bibliothèque Municipale, 468 (xve siècle) (T)

6Seuls U et T contiennent le passage en question. Le manuscrit de Bern est d’ailleurs incomplet à d’autres endroits et diffère en plusieurs points des deux autres. Les exempla y sont classés par thèmes et le fragment qui nous intéresse introduit la partie consacrée à l’eucharistie. Intitulé Incipiunt argumenta probancia corporis Christi, il est suivi d’une série d’exempla sur le sujet. En soi, le passage tranche par rapport à la teneur de l’ensemble de la collection. En effet, il ne s’agit pas d’exempla à proprement parler comme dans le reste du recueil, mais d’analogies, de similitudines9. En outre, le passage est beaucoup plus long que la plupart des exempla. Cela laisse à penser que le compilateur a trouvé ce texte ailleurs. Il l’a inséré parce qu’il traite du thème du chapitre, sans tenir compte de sa différence formelle par rapport au reste du propos.

7À l’inverse, dans la Summa de Nicolas de Biard, le passage détonne moins que dans la Compilacio, à la fois dans sa forme (ce ne sont pas des exempla qui suivent, mais d’autres arguments de taille comparable) et dans son propos. Il faut donc supposer que l’auteur de la Compilacio a emprunté le passage à la Summa et non l’inverse. Les deux œuvres sont, en outre, contemporaines l’une de l’autre puisque, d’après le Père Bataillon, la Summa de abstinentia doit être datée entre 1272 et 129510. Elle est connue par de nombreux manuscrits Sophie Delmas en a repéré 184 dont elle donne la liste. Cf. Sophie Delmas, (art. cit. n. 7), p. 312-316. On a pu étudier les mss. suivants (on indique à chaque fois où se trouve le passage dans le manuscrit) : Bordeaux, Bibl. mun., 264, fol. 27-28 ; Grenoble, Bibl. mun., 2095, fol. 4-v (le traité est incomplet dans ce manuscrit) ; Yale, University Library, Beinecke 860, fol. 51v-43 et Beinecke 962, fol. 25v-2611.

8Sur le fond, l’auteur développe dans le passage vingt-trois analogies, que l’on a consignées dans un tableau en annexe. Les propriétés de l’eucharistie sont comparées à celles d’un autre corps, dans le but de susciter la croyance. Cinq propriétés du sacrement retiennent l’attention du compilateur :

  • la transsubstantiation (analogies 1-14) ;

  • le maintien de l’intégrité du corps du Christ malgré les communions (analogies 15-21) ;

  • l’ubiquité du corps du Christ (analogie 22) ;

  • la présence d’hostie sous chaque parcelle (pars pro toto) (analogie 23) ;

  • la présence du plus grand dans le plus petit (analogie 23).

La tradition des analogies : à l’origine des exemples et de la méthode du compilateur

9Une telle manière de procéder n’est ni isolée ni nouvelle lorsque le compilateur écrit12. Les exemples qu’il mobilise ne sont, pour la plupart, guère originaux et il a été possible de retrouver, dans la majorité des cas, leurs sources éventuelles. Il s’agit, avant tout, de la Bible, d’ouvrages de « sciences naturelles » (Ovide, Isidore) et de textes théologiques plus récents.

10De la même manière, la méthode qui consiste à mobiliser des phénomènes naturels ou miraculeux pour les comparer à l’eucharistie n’est pas nouvelle. Dès le xie siècle, plusieurs théologiens avaient dû combattre l’hérésie de Bérenger, écolâtre de Tours, qu’ils accusaient de nier la présence in ueritate du corps du Christ dans l’eucharistie13. Dans ce cadre, certains d’entre eux avaient eu ponctuellement recours à des analogies. Au xiie siècle, de tels recours se sont systématisés, en suivant le modèle d’un texte important écrit par Pierre le Vénérable contre l’hérésie de Pierre de Bruys : le Contra Petrobrusianos (1135 environ)14. Mais, jusqu’à cette époque, il s’agissait seulement de défendre le changement de substance qui se produit dans l’eucharistie. Au xiiie siècle, le propos s’est diversifié et on a aussi défendu d’autres propriétés du sacrement, comme l’ubiquité ou le principe de la pars pro toto.

11La démarche peut, elle-même, s’appuyer sur plusieurs passages de Grégoire le Grand et de saint Augustin qui sont à l’origine d’un thème, lui aussi bien connu : celui des miracula quotidiana. L’objectif est simple : déduire à partir de phénomènes naturels quotidiens, mais inexpliqués et jugés prodigieux (comme la naissance d’un nouvel être), la possibilité pour Dieu de produire des miracles plus importants encore (Création, Incarnation et, au Moyen Âge, transsubstantiation).

12Dans le passage qui nous intéresse, il faut cependant distinguer la méthode utilisée pour défendre la transsubstantiation de celle mobilisée pour les autres points problématiques. Dans le cas du changement substantiel, le compilateur prend appui sur la corporalité, en montrant que le changement est l’essence même des corps. Il en déduit que la transsubstantiation n’est qu’un changement parmi d’autres. Dans le cas des autres propriétés, il entend au contraire montrer que les corps dérogent dans certains cas à la règle commune. Le corps sacramentel en ferait de même. C’est une autre forme de corporalité qui est ainsi esquissée.

La transsubstantiation ou comment les corps changent

Tout se transforme...

13Plus de la moitié des analogies est consacrée à la transsubstantiation. L’objectif du prédicateur est de montrer que celle-ci ne diffère pas des autres mutations auxquelles les corps seraient naturellement soumis.

14Les analogies montrent les transformations du corps qui s’opèrent selon trois facteurs : Dieu, l’homme et la nature. Le pouvoir divin de transformer les corps est illustré par les analogies n° 1 à 9, qui reprennent différents épisodes de l’Ancien Testament (Genèse et Exode surtout) et du Nouveau (notamment l’Évangile de Jean). Les capacités de l’homme sont plus restreintes : il s’agit de la fabrication du verre et du fer à partir de minéraux (n° 10 et 11). La nature, enfin, est évoquée à travers l’exemple de la digestion (n° 12). Cette analogie avait émergé au xie siècle dans le cadre de la querelle bérengarienne15. Elle est particulièrement habile puisqu’elle reprend les termes mêmes de la transformation eucharistique : le pain et le vin mangés par l’homme sont assimilés à l’organisme par le processus digestif et deviennent chair et sang.

15Ainsi la transsubstantiation est-elle envisagée dans le cadre plus global d’une propriété partagée par tous les corps : leur capacité à changer. Si Isidore définit le corps comme susceptible de se corrompre, il spécifie en fait une conception plus générale qui place l’ensemble des corps dans une position de soumission au changement. Cette vision, largement répandue aux xiie et xiiie siècles, est en grande partie issue des Métamorphoses d’Ovide. Le poète latin conclut son œuvre par l’évocation d’un monde en perpétuelle mutation. Il écrit ainsi : « Nos corps eux-mêmes se transforment, continuellement, sans relâche »16. La transsubstantiation trouve sa place dans ce mouvement perpétuel, auquel rien de sensible ne peut se soustraire.

16La démarche, qui inscrit le changement substantiel dans le cadre plus large des différentes mutations qui affectent les corps, conduit ainsi à minorer fortement la dimension miraculeuse de la transsubstantiation. Thomas d’Aquin, théologien proche de nos compilateurs à la fois chronologiquement (il écrit dans les années 1250-1260) et spirituellement (c’est un dominicain), a classé les miracles en trois catégories17. Au sommet de la hiérarchie, figurent les miracles par rapport à la substance. Ce sont ceux que la nature ne peut jamais faire (supra naturam). Un rang en dessous, Thomas place les miracles par rapport à leur sujet. Ce sont des phénomènes que la nature peut faire, mais pas dans cet ordre (contra naturam). Enfin, les miracles les moins admirables sont ceux par rapport au mode opératif. Ce sont des œuvres que la nature peut effectuer, mais que Dieu opère sans l’action des principes naturels (praeter naturam).

17Si la transsubstantiation est un changement comparable aux mutations naturelles, mais que Dieu opère sans s’appuyer sur les principes de la nature, alors elle est seulement praeter naturam. Les capacités de la nature sont simplement utilisées par Dieu de manière spécifique et il n’est nul besoin de postuler une corporalité propre au corpus Christi.

Des analogies particulières : Adam et Lazare

18Deux comparaisons méritent une attention particulière : la création d’Adam et la résurrection de Lazare (n° 8 et 9). Elles ne sont employées, semble-t-il, par aucun autre texte fondé sur l’argumentation par analogie.

19Les deux reposent sur la même idée : le passage de l’inanimé à l’animé. Adam était poussière ; Dieu en a fait un être vivant. Lazare était mort ; le Christ l’a ressuscité. Contrairement aux autres mutations, le changement est ici intérieur. Le corps de Lazare ne change pas d’apparence, lorsqu’il passe de la mort à la vie, à la différence qu’un souffle l’anime à nouveau. De même, pour la création d’Adam, on insiste sur la préexistence d’un corps inerte (insensibile corpus) animé ensuite par Dieu.

20Ces deux analogies répondent peut-être à une objection très tôt envisagée. Dans l’eucharistie, le changement n’est pas visible, alors qu’il l’est dans toutes les transformations naturelles. Déjà dans le Contra Petrobrusianos de Pierre le Vénérable, l’auteur évoquait une telle objection : « Mais dans tous ces cas, quand des substances sont changées en substances, leurs apparences sont converties semblablement. En revanche, dans ce sacrement, même si la substance est changée, la forme, elle, ne change pas18 ».

21Avec Adam et Lazare, le prédicateur a trouvé des exemples de miracles où il s’agit de transformer intérieurement les êtres, sans en modifier l’apparence. Il a pu estimer que le passage du corps inerte au corps vivant était particulièrement bienvenu pour illustrer le changement substantiel de l’eucharistie, au cours duquel pain et vin deviennent corps et sang, sans que les apparences ne changent.

Remises en cause

22On perçoit ici les objections et les limites de la démarche analogique. L’essor de la scolastique au xiiie siècle et la réception progressive du corpus aristotélicien ont conduit les théologiens à spécifier les différents types de changements qui pouvaient affecter les corps. On a de plus en plus insisté sur le caractère spécifique de la transsubstantiation.

23Là encore, Thomas d’Aquin est un bon témoin de la démarche. Dans son Commentaire sur les Sentences, il écrit que « cette conversion [la transsubstantiation] n’est semblable à aucune mutation naturelle, mais diffère de toutes »19. Sans reprendre ici tout le raisonnement du théologien, il faut relever cette tendance, qui s’est imposée à partir du début du xiiie siècle, à concevoir le changement eucharistique comme étant totalement différent des autres et, pour reprendre les termes de Thomas, « plus admirable » (miraculosior) que les autres. Cela rend problématique la démarche analogique qui, elle, sert à penser l’eucharistie et ses mutations sur l’exemple d’autres corps.

24Or, si la transsubstantiation ne peut se comprendre entièrement en fonction des autres mutations corporelles connues, il apparaît nécessaire d’envisager le sacrement par une définition de la corporalité qui déroge aux grands principes dérivés d’Ovide et d’Isidore.

Des corps particuliers

Un défi aux propriétés des corps

25On se propose de le montrer en s’attardant d’abord sur les trois dernières propriétés défendues : l’ubiquité, la présence du corps du Christ dans chaque parcelle d’hostie et la présence d’un corps plus grand dans un corps plus petit. Les analogies mobilisées à leur sujet peuvent se comprendre comme des moyens de vulgariser les solutions qu’apportent les théologiens de l’époque aux problèmes liés à la corporalité du sacrement. On peut, pour s’en convaincre, les comparer à différents passages de Thomas d’Aquin qui, on l’a dit, constitue une référence pertinente pour nos compilateurs.

26L’analogie de la voix du prédicateur, qui est entendue en même temps par des personnes se trouvant à des endroits différents (n° 22), démontre qu’il est possible que le corpus Christi soit présent sur différents autels en même temps. Une telle propriété heurte le sens commun et, dans sa Somme théologique, Thomas envisage l’objection suivante à ce sujet : « Aucun corps ne peut être simultanément en plusieurs lieux […]. Mais le corps du Christ est un vrai corps, et il est au ciel. Il ne peut donc se trouver en vérité dans le sacrement de l’autel, mais seulement comme dans un signe »20. La réponse qu’il donne est formulée ainsi : « Le corps du Christ ne se trouve pas dans le sacrement de la manière dont un corps se trouve dans le lieu avec lequel ses dimensions coïncident, mais selon un mode spécial, qui est propre à ce sacrement »21. Thomas postule donc un mode de présence différent de celui qui caractérise habituellement les corps : la corporalité du corpus Christi dans l’eucharistie serait particulière. Dans ce cadre, l’analogie permet au prédicateur de présenter un modèle simple et compréhensible par tous pour une proposition théologique qui peut être difficile à recevoir.

27Il en va de même de l’analogie du miroir (n° 23), que le compilateur reprend à Innocent III22. L’usage qu’il en fait est légèrement différent de celui du pontife. Comme chez Innocent III, la comparaison illustre la présence du corps du Christ sous chaque parcelle d’hostie. Celui qui se regarde dans un miroir entier y voit son image, mais s’il brise le miroir, il voit autant d’images qu’il y a de morceaux brisés. De même, le Christ est présent dans l’hostie mais si on la brise, il est présent sous chaque parcelle. Cependant, dans le texte qui nous intéresse, l’analogie illustre aussi la présence du plus grand dans le plus petit. L’image d’un grand temple peut apparaître dans un petit miroir, de même que le corps du Christ peut être contenu dans une petite hostie. Là encore, la comparaison indique simplement ce que Thomas expose dans la Somme. Sur le premier point, le docteur angélique envisageait l’objection suivante, qui souligne une nouvelle fois la corporalité du sacrement :

Le corps du Christ garde toujours la vraie nature d’un corps et n’est jamais changé en esprit. Or il est essentiel à la notion de corps qu’il soit une quantité ayant position […]. Mais il appartient à la notion d’une telle quantité que les parties diverses existent en diverses parties de l’espace. Il est donc impossible, on le voit, que le Christ tout entier soit présent sous chaque partie des espèces23.

28Cette fois, la réponse du théologien est plus précise : « Cet argument est tiré de la nature que le corps possède selon ses dimensions. Or on a vu que le corps du Christ ne se rattache pas à ce sacrement en raison des dimensions de la quantité, mais en raison de la substance »24. L’objection s’appuie sur les propriétés des corps telles qu’elles sont généralement admises. La réponse, quant à elle, postule une autre corporalité, qui s’affranchirait des dimensions spatiales. Sur la question de la possibilité pour le corps du Christ d’être tout entier dans un corps de dimension nettement inférieure (l’hostie), on retrouve la même dualité. L’objection envisagée pose l’impossibilité d’un corps plus petit de contenir un corps plus grand, selon les propriétés de la corporalité. La réponse affirme que « le corps du Christ est dans ce sacrement par mode de substance et non par mode de quantité »25. Pour les fidèles qui n’avaient pas le loisir de se pencher sur la distinction entre le modum substantiae et le modum quantitatis, l’image du miroir permettait de penser aisément une corporalité affranchie de certaines propriétés généralement admises.

Contrer la dissidence

29Sur la question du maintien de l’intégrité du corpus Christi en dépit des communions, les analogies proposées, plus nombreuses (n° 15-21), visent sans doute davantage à contrer des arguments hérétiques qu’à vulgariser la théologie eucharistique.

30En effet, les hérétiques sont explicitement mentionnés dans le passage : « De même, les hérétiques se demandent comment le corps du Christ peut être mangé. Même s’il était de la taille d’une montagne, il serait déjà entièrement dévoré »26. L’argument est ancien. Dans la seconde moitié du xie siècle, Guitmond d’Aversa l’attribue déjà aux « Bérengariens »27. La plupart des groupes dissidents le reprennent par la suite et il fait encore florès parmi les hérétiques interrogés par les inquisiteurs du Languedoc au début du xive siècle28. Il est intéressant parce qu’il repose sur une contradiction apparente de la corporalité médiévale. Si le corps du Christ est présent dans l’hostie, il est soumis à la corruption qui caractérise les corps. C’est pourquoi, selon cette perspective, il est anéanti, lors de la communion. Les analogies doivent permettre d’amener les hérétiques à concevoir une autre corporalité, c’est-à-dire un autre mode de présence de Dieu dans les corps. Le corps du Christ n’est pas présent dans l’hostie à la manière d’une montagne de chair, que l’on peut faire disparaître en la mangeant ; il est présent par exemple, comme la lumière qui éclaire les uns et les autres sans jamais diminuer.

31Ce n’est donc pas un hasard si le maintien de l’intégrité du corpus Christi malgré les communions est le deuxième point le plus défendu par le prédicateur (7 analogies). C’est peut-être à ce sujet que les exemples choisis sont les moins classiques également, comme celui de la veuve de Sarepta (n° 21). Selon le premier livre des Rois, le prophète Élie fut nourri par une veuve de cette ville qui ne disposait que d’une jarre d’eau, d’une cruche d’huile et d’une poignée de farine. Mais, bien qu’il les consommât quotidiennement, les denrées ne s’épuisaient pas. Au-delà des exemples bibliques, l’image la plus probante est sans doute celle de la lumière, que le prédicateur a déclinée sous trois formes : le feu, le soleil et la chandelle (n° 16, 19, 20). C’est que la lumière avait l’avantage d’être associée à Dieu, depuis l’Évangile de Jean29.

Un enjeu plus vaste : le modèle de la Création face au dualisme

32Répondre aux hérétiques par le biais d’analogies tirées de la nature est, enfin, particulièrement habile, dans la mesure où cela permet de battre en brèche la thèse essentielle des courants dualistes : la perversion fondamentale de la matière, perçue comme œuvre du diable, par opposition aux esprits, créés par Dieu.

33L’eucharistie se fonde sur une corporalité qui transcende les limites assignées aux corps, en raison de l’intervention divine qui y préside. Toutefois, les comparaisons peuvent aussi suggérer que même dans les corps sur lesquels Dieu n’agit pas directement par le biais du miracle, les pesanteurs de la matière peuvent être contournées. Des propriétés attachées à l’esprit, comme l’ubiquité, l’indivisibilité ou l’impassibilité, peuvent aussi caractériser des corps.

34On peut comparer cette démarche avec celle de Césaire de Heisterbach, qui écrit son Dialogus Miraculorum vers 1219-1223, quelques décennies avant notre compilateur Sur Césaire, voir notamment Fritz Wagner, « Studien zu Caesarius von Heisterbach », dans Analecta Cisterciensia, n° 29, 1973, p. 79-95 et Karl Langosch, « Caesarius von Heisterbach », dans Die Deutsche Literatur des Mittelalters Verfasserlexikon, t. 1, Berlin-New York, W. de Gruyter, 1978, col. 1152-1168. Il consacre le livre IX à l’eucharistie, en faisant reposer une partie de sa rhétorique sur l’idée que tous les corps de la Création reconnaissent le corpus Christi. Il commence par les animaux en expliquant la chose suivante :

Il est assez malheureux que nous autres hommes, pour le salut desquels ce sacrement fut institué, soyons si tièdes à son égard, alors que même les bêtes brutes (bruta animalia), les vers et les reptiles reconnaissent en lui leur Créateur30.

35Suivent des histoires dans lesquelles des bœufs, des abeilles, des mouches, des souris deviennent les témoins de la présence réelle. Mais Césaire va plus loin encore puisqu’il indique : « La gloire de ce sacrement est telle que non seulement les animaux doués de mouvement, mais même les éléments insensibles sentent sa puissance » Ibid., p. 1170-1172 : « Tanta est gloria huius sacramenti, ut non solum bruta in quibus animalia motabilis est, sed et insensibilia elementa virtutem illius sentiant »31. Le cistercien rapporte alors des exempla dans lesquels l’eau, la pierre, l’air et le feu protègent l’eucharistie. La démarche de Césaire est différente de la méthode analogique sur de nombreux points, mais elle témoigne d’une même conception de la corporalité. Fidèle à la définition d’Isidore, Césaire ne distingue pas les corps animés des inanimés. Cependant, il ne met pas l’accent sur la corruption, qui serait leur caractéristique essentielle, mais au contraire sur leur capacité à s’affranchir des limites que leur assigne leur condition corporelle. L’oxymore insensibilia sentiant souligne cette tension qui traverse ces corps qui sont plus que des corps, matière dépourvue de sensibilité et pourtant sensible à la présence de Dieu. Tous sont parcourus par le même souffle divin qui les pousse à reconnaître leur Créateur. La Création n’est pas l’œuvre du diable, elle est, comme l’homme, à l’image de Dieu. Tel est, en somme, le propos de Césaire et de nos compilateurs dominicains.

36L’eucharistie est donc le lieu par excellence où se rencontrent les tensions liées à la corporalité médiévale. Le défi des théologiens était de penser un corps qui est plus qu’un corps tout en limitant au maximum, dans le cadre d’une foi en quête de raison, la dimension miraculeuse. Ce difficile équilibre était, en outre, remis en cause par les propositions jugées dissidentes qui, au contraire, tiraient des limites assignées aux corps des arguments pour nier la possibilité que Dieu puisse y être présent. Ces vingt-trois analogies constituent donc un témoignage précieux de l’importance que revêtaient les enjeux de la corporalité au xiiie siècle.

Sources imprimées

37Césaire de Heisterbach, Dialogus Miraculorum, éd. et trad. allemande Horst Schneider et Nikolaus Nösges, t. 4, Turnhout, Brepols, 2009.

38Guitmond d’Aversa, De corporis et sanguinis Christi ueritate in eucharistia, éd. Jacques-Paul Migne, Patrologia latina, t. 149, Paris, 1853, col. 1427-1495.

39Innocent III, Mysteriorum Evangelicae Legis et Sacramenti Eucharistiae Libri Sex, éd. Jacques-Paul Migne, Patrologia latina, t. 217, Paris, 1855, col. 861B.

40Isidore de Séville, Etymologiarum Libri XX, éd. Jacques-Paul Migne, Patrologia latina, t. 82, Paris, 1850, col. 73-728.

41Ovide, Métamorphoses, éd. et trad. Georges Lafaye, t. 3, Paris, Les Belles lettres.

42Paschase Radbert, De corpore et sanguine Domini, éd. Paulus Beda, Turnhout, Brepols, 1969.

43Pierre le Vénérable, Contra Petrobrusianos hereticos, éd. James Fearns, Turnhout, Brepols, 1968.

44Ratramne de Corbie, De corpore et sanguine Domini. Texte original et notice bibliographique, éd. Jan Nicolaas Bakhuizen van den Brink, Amsterdam-Londres, North-Holland, 1974.

45Le Registre d’Inquisition de Jacques Fournier (évêque de Pamiers) 1318-1325, trad. Jean Duvernoy, Paris-La Haye-New York, Mouton, 1977-1978.

46Thomas d’Aquin, Prima pars Summae theologiae, dans Opera omnia iussu impensaque Leonis XIII P. M. edita, t. 5, Rome, Typographia polyglotta S. C. propaganda fide, 1889.

47id., Tertia pars Summae theologiae, dans Opera omnia iussu impensaque Leonis XIII P. M. edita, t. 12, Rome, Typographia Polyglotta S. C. de Propaganda Fide, 1906.

48id., De potentia, dans Opera omnia, t. 13, Quaestiones disputatae. De potentia. - De malo, éd. Stanislas Édouard Fretté, Paris, L. Vivès, 1875.

49id., Summa contra Gentiles, dans Opera omnia iussu impensaque Leonis XIII P. M. edita, t. 14, Rome, Typis Riccardi Garroni, 1926.

50id., Scriptum super "Sententiis" magistri Petri Lombardi, éd. Marie-Fabien Moss, Paris, Lethielleux, 1947.

51id., Somme théologique, trad. Aimon-Marie Roguet, t. 4, Paris, Cerf, 1986.

52Marc Vaisbrot, Édition critique de la « Compilacio Singularis Exemplorum » d’après les manuscrits d’Upsal, de Tours et de Berne (La seconde partie), thèse dactylographiée de l’École des chartes, 1968.

Bibliographie

53Louis-Jacques Bataillon, « Similitudines et "exempla" dans les sermons du xiiie siècle », La prédication au xiiie siècle en France et en Italie : études et documents, Aldershot-Brookfield, Ashgate, 1995, p. 191-205.

54id., « Intermédiaires entre les traités de morale pratique et les sermons : les distinctiones bibliques alphabétiques », dans Les genres littéraires dans les sources théologiques et philosophiques médiévales. Définition, critique et exploitation, dir. R. Bultot, Louvain-la-Neuve, Institut d’études médiévales, 1982, p. 213-226.

55Caroline Bynum, Christian Materiality. An Essay on Religion in Late Medieval Europe, New York, Zone Books, 2011.

56Henry Chadwick, « "Ego Berengarius" », The Journal of Theological Studies, n° 40, 1989, p. 414-445.

57Sophie Delmas, « La Summa de abstinentia attribuée à Nicolas de Biard : circulation et réception », dans Entre stabilité et itinérance. Livres et culture des ordres mendiants xiiie-xve siècle, dir. N. Bériou, M. Morard et D. Nebbiai Dalla Guarda, Turnhout, Brepols, 2014, p. 303-327.

58Karl Langosch, « Caesarius von Heisterbach », dans Die Deutsche Literatur des Mittelalters Verfasserlexikon, t. 1, Berlin-New York, W. de Gruyter, 1978, col. 1152-1168.

59Gary Macy, The Theologies of the Eucharist in the early Scholastic Period. A Study of the Salvific Function of the Sacrament according to the Theologians c. 1080-c. 1220, Oxford, Clarendon Press, 1984.

60id., « Berengar’s Legacy as Heresiarch », dans Auctoritas und Ratio. Studien zu Berengar von Tours, dir. P. Ganz, R. Huygens, F. Niewöhner, Wiesbaden, O. Harrassowitz, 1990, p. 47-67.

61Jean de Montclos, Lanfranc et Bérenger : la controverse eucharistique du xiiie siècle, Leuven, Spicilegium sacrum Lovaniense, 1971.

62Catherine Vincent, Fiat lux. Lumière et luminaires dans la vie religieuse en Occident du xiiie au début du xvie siècle, Paris, Cerf, 2004.

63Fritz Wagner, « Studien zu Caesarius von Heisterbach », Analecta Cisterciensia, n° 29 (1973), p. 79-95.

64François Wallerich, « "Simile inuenitur in natura". Les analogies de la nature dans la pastorale de l’eucharistie (xiie-xiiie s.) », Revue d’histoire ecclésiastique, n° 111/3-4, juillet-décembre 2016, p. 525-550.

65Jean-Thiébaut Welter, L’« Exemplum » dans la littérature religieuse et didactique du Moyen Âge, Paris-Toulouse, Occitania, 1927, p. 236-244.

Annexes

Transcription du texte d’après le ms. Upsal, Universitetsbibliotek, C. 523

66<fol. 39> Incipiunt argumenta probancia corporis Christi

67De corpore Christi tenendum est, quod fide nostra est, quod est ibi uerum corpus sub specie panis quando sacerdos pronunciat uerba hec : « Hoc est enim corpus meum etc » (Mt 26,26, Lc 22,19, Mc 14,22). Panis in corpus Christi et uinum in sanguinem Christi conuertitur illa uerbi uirtute, qua uerbum caro factum est et habitauit in nobis (Jn 1,14), qua omnia dixit et facta sunt (Jn 1,3), qua uxor Loth in statuam mutauit, qua uirgam Moysy mutauit in colubrem, qua fontes et flumina Egypti conuertit in sanguinem, qua aquam conuertit in uinum. Item, si uerbum Elye ignem de celo potuit deponere, quare uerbum Christi non poterit panem in carnem mutare ? Certe maius est aliquid creare, quam quod est in aliud mutare. Item, si potuit insensibili corpori Ade et mortuo Lazaro uitam inspirare, et de terra insensibili facere rem sensibilem, quare non poterit panem in carnem mutare ? Item, homo facit tota die de terea ferrum, de cinere uitrum, sed numquid Deus homine impotencior ? Item, si panis et uinum in homine macillente mutatur in carnem <fol. 39v> et sanguinem, multo forcior uirtute domini potest mutari panis in carnem et sanguinem Christi. Item, si queras quomodo ibi esse corpus Christi potest cum uidere non possim, respondeo : credis iumenta et animalia exisse de terra et tamen non uidisti, [et te talem patrem et animum habuisse et tamen non uidisti32] quare ergo non credis esse corpus Christi sub illa specie panis, licet non uideas ? Non enim fides est rerum apparencium (He 11,1). Item, querunt heretici quomodo potest manducari corpus Christi ab omnibus : si esset mons magnus, totus comestus esset. Respondeo : sicut de quinque panibus saciauit quinque milia hominum de quibus maiores reliquie remanserunt quamuis essent quinque panes, sic potest totam ecclesiam de corpore suo pascere sine sui descrecencia. [Item calor et splendor ignis et odor rose et sapientia hominis omnibus se communicat quantum in se est sine sui decrecentia.33] Similiter se sol omnibus comunicat, sic et candela candelis multis sine sui detrimento ignem et lucem ministrat. Item mulier Sareptena cotidie comedebat de farina ydrie et non diminuebatur, nec farina, nec oleum de lethico. Sic tota ecclesia cottidie sumit corpus Christi sine diminutione et detrimento suo. Item, sicut una uox predicatoris eodem momento ab omnibus auditur ad quod potest peruenire, sic potest Deus facere ut unum corpus Christi numero ab omnibus percipiatur sacramentaliter. Item, mirantur quod in una hostia tam parua totum corpus Christi sit in omnibus partibus illius hostie simul unitis, ita quod in nulla parte est totum. Tamen si diuidatur in partes, est totum in qualibet parte. Et non mirantur quod in uno speculo apparat tota ymago sua unita et diuidatur speculum in partes, quot essent partes speculi, tot essent integre eius ymagines. Item, mirantur aliqui quomodo in tam modica specie, tamen corpus et totum est, et non mirantur quomodo in modico speculo apparet unum magnum templum.

Les vingt-trois analogies et leurs sources possibles

Comparant

Citation

Sources éventuelles

1. Incarnation

« uerbum caro factum est et habitauit in nobis »

Jn 1,14

2. Création

« omnia facta sunt »

Jn 1,3

3. Épouse de Loth

« uxor Loth in statuam mutauit »

Gn 19,26

4. Bâton de Moïse

« uirgam Moysy mutauit in colubrem »

Ex 7,10

5. Fleuves d’Égypte

« fontes et flumina Egypti conuertit in sanguinem »

Ex 7,20

6. Eau des noces de Cana

« aquam conuertit in uinum »

Jn 2,9

7 Sacrifice d’Élie

« uerbum Elye ignem de celo potuit deponere »

2R 1,10

8 Création d’Adam

« potuit insensibili corpori Ade et mortuo Lazaro uitam inspirare »

Gn 2,7

9 Résurrection de Lazare

Jn 11

10. Métallurgie

« homo facit tota die de terea ferrum... »

Simon de Tournai, Disputatio XC, éd. Joseph Warichez, Les Disputationes de Simon de Tournai. Texte inédit, Louvain, Spicilegium sacrum lovaniense, 1932, p. 259-260.

11. Verrerie

« ...de cinere uitrum »

Pierre le Vénérable, (éd. cit. n. 14), p. 106.

12. Digestion

« panis et uinum in homine macillente mutatur in carnem et sanguinem »

Guitmond d’Aversa, (éd. cit. n. 15), col. 1431C-D ; Alger de Liège, De Sacramentis (PL 180, col. 766 C) ; Pierre le Vénérable, (éd. cit n. 11), p. 106-107.

13. Création des animaux

« iumenta et animalia exisse de terra »

14. Naissance

« et te talem patrem et animum habuisse et tamen non uidisti »

15. Multiplication des pains

« de quinque panibus saciauit quinque milia hominum de quibus maiores reliquie remanserunt »

Mt 14,14-21, Mc 6,34-44, Lc 9,12-17, Jn 6,5-14

16. Feu

« calor et splendor ignis et odor rose et sapiencia hominis omnibus se communicant »

17. Rose

18. Sagesse

19. Soleil

« se sol omnibus comunicat »

20. Chandelle

« candela candelis multis sine sui detrimento ignem et lucem ministrat »

21. Veuve de Sarepta

« mulier Sareptena cotidie comedebat de farina ydrie et non diminuebatur, nec farina, nec oleum de lethico »

1R 17,14

22. Voix du prédicateur

« una uox predicatoris eodem momento ab omnibus auditur ad quod potest peruenire »

23. Miroir brisé

« in uno speculo apparat tota ymago sua unita et diuidatur speculum in partes, quot essent partes speculi, tot essent integre eius ymagines »

Innocent III, (éd. cit. n. 22), col. 861B.

« in modico speculo apparet unum magnum templum »

Notes

1 Paschase Radbert, De corpore et sanguine Domini, éd. Paulus Beda, Turnhout, Brepols, 1969 ; Ratramne de Cordie, De corpore et sanguine Domini. Texte original et notice bibliographique, éd. Jan Nicolaas Bakhuizen van den Brink, Amsterdam-Londres, North-Holland, 1974.

2 Particulièrement représentative de cette tendance est la profession de foi imposée à Bérenger au concile de Rome de 1079. Cf. Henry Chadwick, « "Ego Berengarius" », The Journal of Theological Studies, n° 40, 1989, p. 414-445.

3 Voir les exemples cités infra.

4 Isidore de Séville, Etymologiarum Libri XX, éd. Jacques-Paul Migne, Patrologia latina, t. 82, Paris, 1850, col. 399B : « Corpus dictum, eo quod corruptum perit. Solubile enim atque mortale est, et aliquando solvendum ».

5 Sur les enjeux de la tension entre l’Incarnation et la corruption des corps au Moyen Âge, cf. Caroline Bynum, Christian Materiality. An Essay on Religion in Late Medieval Europe, New York, Zone Books, 2011.

6 Les apories où conduit une trop forte insistance sur la corporalité de l’eucharistie sont résumées dans : Gary Macy, The Theologies of the Eucharist in the early Scholastic Period. A Study of the Salvific Function of the Sacrament according to the Theologians c. 1080-c. 1220, Oxford, Clarendon Press, 1984, p. 72.

7 Sur cette œuvre, cf. Sophie Delmas, « La Summa de abstinentia attribuée à Nicolas de Biard : circulation et réception », dans Entre stabilité et itinérance. Livres et culture des ordres mendiants xiiie-xve siècle, dir. N. Bériou, M. Morard et D. Nebbiai Dalla Guarda, Turnhout, Brepols, 2014, p. 303-327.

8 Le recueil a été identifié dans l’ouvrage classique : Jean-Thiébaut Welter, L’« Exemplum » dans la littérature religieuse et didactique du Moyen Âge, Paris-Toulouse, Occitania, 1927, p. 236-244. C’est Welter qui a donné le titre au recueil, d’après une mention du ms. de Tours. Une thèse de l’École des chartes restée inédite s’est aussi intéressée au recueil : Marc Vaisbrot, Édition critique de la « Compilacio Singularis Exemplorum » d’après les manuscrits d’Upsal, de Tours et de Berne (La seconde partie), thèse pour le diplôme d’archiviste paléographe [dactyl.], 1968. Elle est conservée aux Archives nationales : Paris, Arch. nat., AB, XXVIII, n° 451. Contrairement à ce qu’annonce le titre, il ne s’agit pas de l’édition critique intégrale du recueil, puisque, sur les 1049 exempla qu’il recense, Marc Vaisbrot ne donne l’édition que des n° 224-1049. La partie consacrée à l’eucharistie n’est pas éditée.

9 Sur la distinction, parfois difficile à établir, entre exempla et similitudines, cf. Louis-Jacques Bataillon, « Similitudines et "exempla" dans les sermons du xiiie siècle », La prédication au xiiie siècle en France et en Italie : études et documents, Aldershot-Brookfield, Ashgate, 1995, p. 191-205.

10 Id., « Intermédiaires entre les traités de morale pratique et les sermons : les distinctiones bibliques alphabétiques », dans Les genres littéraires dans les sources théologiques et philosophiques médiévales. Définition, critique et exploitation, dir. R. Bultot, Louvain-la-Neuve, Institut d’études médiévales, 1982, p. 213-226 en part. p. 215.

11 Sophie Delmas en a repéré 184 dont elle donne la liste. Cf. Sophie Delmas, (art. cit. n. 7), p. 312-316. On a pu étudier les mss. suivants (on indique à chaque fois où se trouve le passage dans le manuscrit) : Bordeaux, Bibl. mun., 264, fol. 27-28 ; Grenoble, Bibl. mun., 2095, fol. 4-v (le traité est incomplet dans ce manuscrit) ; Yale, University Library, Beinecke 860, fol. 51v-43 et Beinecke 962, fol. 25v-26.

12 Pour toute cette partie, on se permet de renvoyer à notre article : François Wallerich, « "Simile inuenitur in natura". Les analogies de la nature dans la pastorale de l’eucharistie (xiie-xiiie s.) », Revue d’histoire ecclésiastique, n° 111/3-4, juillet-décembre 2016, p. 525-550.

13 Voir à ce sujet : Jean de Montclos, Lanfranc et Bérenger : la controverse eucharistique du xie siècle, Leuven, Spicilegium sacrum Lovaniense, 1971.

14 Pierre le Vénérable, Contra Petrobrusianos hereticos, éd. James Fearns, Turnhout, Brepols, 1968.

15 Guitmond d’Aversa, De corporis et sanguinis Christi ueritate in eucharistia, éd. Jacques-Paul Migne, Patrologia latina, t. 149, Paris, 1853, col. 1431C-D.

16 Ovide, Métamorphoses, éd. et trad. Georges Lafaye, t. 3, Paris, Les Belles lettres, 2009, p. 214-215 : « Nostra quoque ipsorum semper requieque sine ulla/ corpora uertuntur » (chap. XV, v. 214-215).

17 Thomas a développé cette typologie, de manière sensiblement identique, dans trois œuvres. Voir Thomas d’Aquin, Summa contra Gentiles, dans Opera omnia, t. 14, Rome, Typis Riccardi Garroni, 1926 p. 312-315 (chap. 101) ; id., De potentia, dans Opera omnia, t. 13, Quaestiones disputatae. De potentia. - De malo, éd. Stanislas Édouard Frette, Paris, L. Vivès, 1875, p. 183-185 (Q. 6, art. 2) et id., Prima pars Summae theologiae, dans Opera omnia iussu impensaque Leonis XIII P. M. edita, t. 5, Rome, Typographia polyglotta S. C. de Propaganda Fide, 1889, p. 480 (Q. 105, art. 8).

18 Pierre le Vénérable, (éd. cit. n. 14), p. 108 : « Sed in hiis, quando substantie in substantias mutantur, species quoque pariter conuertuntur. In hoc autem sacramento etiam si substantia mutetur, forma tamen non mutatur ».

19 Thomas d’Aquin, Scriptum super "Sententiis" magistri Petri Lombardi, éd. Marie-Fabien Moss, Paris, Lethielleux, 1947, p. 446 (L. 4, D. 11, Q. 1, art. 3, qc. 1, ad. 1) : « haec conversio sub nulla naturalium mutationum continetur, sed ab omnibus differt ».

20 id., Tertia pars summae theologiae, dans Opera omnia iussu impensaque Leonis XIII P. M. edita, t. 12, Rome, Typographia Polyglotta S. C. de Propaganda Fide, 1906, p. 155 (Q. 75, art. 1, arg. 3) : « Praeterea, nullum corpus potest esse simul in pluribus locis […]. Ergo videtur quod non sit secundum veritatem in sacramento altaris, sed solum sicut in signo ». Traduction extraite de : Thomas d’Aquin, Somme théologique, trad. Aimon-Marie Roguet, Paris, Cerf, 1986, p. 571.

21 Ibid., p. 156 (Q 75, art. 1, ad. 3) : « Ad tertium dicendum quod corpus Christi non est eo modo in sacramento sicut corpus in loco, quod suis dimensionibus loco commensuratur, sed quodam speciali modo, qui est proprius huic sacramento ». Traduction : Thomas d’Aquin (trad. cit. n. 20), p. 573.

22 Innocent III, Mysteriorum Evangelicae Legis et Sacramenti Eucharistiae Libri Sex, éd. Jacques-Paul Migne, Patrologia latina, t. 217, Paris, 1855, col. 861B.

23 Thomas d’Aquin, Tertia pars ..., (éd. cit. n. 20), p. 182 (Q 76, art. 3, arg. 3) : « corpus Christi semper veram retinet corporis naturam, nec unquam mutatur in spiritum. Sed de ratione corporis est ut sit quantitas positionem habens […]. Sed ad rationem huius quantitatis pertinet quod diversae partes in diversis partibus loci existant. Non ergo potest esse, ut videtur, quod totus Christus sit sub qualibet parte specierum ». Traduction : Thomas d’Aquin, (trad. cit. 20), p. 585-586.

24 Ibid., p. 183 (Q 76, art. 3, ad. 3) : « ratio illa procedit de natura corporis quam habet secundum quantitatem dimensivam. Dictum est autem quod corpus Christi non comparatur ad hoc sacramentum ratione quantitatis dimensivae, sed ratione substantiae ». Traduction : Thomas d’Aquin, (trad. cit. n. 20), p. 586.

25 Ibid., p. 179 (Q. 76, art. 1, ad. 3) : « quod corpus Christi est in hoc sacramento per modum substantiae, et non per modum quantitatis ». Traduction : Thomas d’Aquin, (trad. cit. n. 20), p. 584. Pour l’objection cf. Ibid., p. 178 (Q. 76, art. 1, arg. 3) : « corpus maioris quantitatis non potest totum contineri sub minoris quantitatis mensura ».

26 Item querunt heretici quomodo potest manducari corpus Christi. Si esset mons magnus iam totus comestus esset.

27 Guitmond d’Aversa, De corporis et sanguinis Christi veritate in eucharistia, éd. Jacques-Paul Migne, Patrologia latina, t. 149, Paris, 1853, col. 1450 B-D. Sur la question des « Bérengariens » et de leurs idées, cf. Gary Macy, « Berengar’s Legacy as Heresiarch », dans Auctoritas und Ratio. Studien zu Berengar von Tours, dir. P. Ganz, R. Huygens, F. Niewöhner, Wiesbaden, O. Harrassowitz, 1990, p. 47-67.

28 Le Registre d’Inquisition de Jacques Fournier (évêque de Pamiers) 1318-1325, trad. Jean Duvernoy, Paris-La Haye-New York, Mouton, 1977-1978, t. 1, p. 261, t. 2, p. 572, t. 3, p. 1009.

29 Par exemple, Jn 1,9. Sur la place centrale de la lumière dans le christianisme médiéval, cf. Catherine Vincent, Fiat lux. Lumière et luminaires dans la vie religieuse en Occident du xiiie au début du xvie siècle, Paris, Cerf, 2004.

30 Sur Césaire, voir notamment Fritz Wagner, « Studien zu Caesarius von Heisterbach », dans Analecta Cisterciensia, n° 29 (1973), p. 79-95 et Karl Langosch, « Caesarius von Heisterbach », dans Die Deutsche Literatur des Mittelalters Verfasserlexikon, t. 1, Berlin - New York, W. de Gruyter, 1978, col. 1152-1168.

31 Césaire de Heisterbach, Dialogus Miraculorum, éd. et trad. allemande Horst Schneider et Nikolaus Nösges, t. 4, Turnhout, Brepols, 2009, p. 1760 : « Satis miserabile est, quod nos homines pro quorum salute hoc sacramentum institutum est, tam tepidi circa illud sumus, cum bruta animalia, vermes et reptilia in illo Creatorem suum recognoscant ».

32 Ibid., p. 1170-1172 : « Tanta est gloria huius sacramenti, ut non solum bruta in quibus animalia motabilis est, sed et insensibilia elementa virtutem illius sentiant ».

Pour citer ce document

Par François Wallerich, «Penser la présence de Dieu dans les corps. L’eucharistie et ses analogies dans un matériau de prédication du xiiie siècle», Annales de Janua [En ligne], n°6, Les Annales, Moyen Âge, mis à jour le : 19/09/2019, URL : https://annalesdejanua.edel.univ-poitiers.fr:443/annalesdejanua/index.php?id=1850.

Quelques mots à propos de :  François Wallerich

Statut : ATER à l’Université Paris-Nanterre. - Laboratoire : CHISCO (Centre d’Histoire Sociale et Culturelle de l’Occident). - Directeur de recherche : Catherine Vincent. - Titre de la thèse : Les miracles eucharistiques (XIe-XIIIe siècle) : enjeux intellectuels et religieux. - Thématiques de recherches : Église au Moyen Âge central ; prédication ; hagiographie ; encadrement pastoral. - Contact : francois.wallerich91@orange.fr ...