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La modélisation 3D pour l’étude d’installations de l’Antiquité. Retour sur l’expérience de la modélisation de séchoirs gallo-romains (Ier-IVe siècle)
Par Guillaume Huitorel et Étienne Chabrol
Publication en ligne le 05 avril 2016
Résumé
Despite the multiplication of discoveries and studies, some questions are still unanswered about roman corn drying kiln in Gaul. Indeed, the operation and destination of these equipment are not completely known. The form and arrangement of corn drying kiln asking questions that archaeologists have responded with several assumptions. To test and demonstrate them, a 3D modeling experiment has been conduct, as part of a communication and an article taking stock of research on corn drying kiln. These modelings, made from existing refounds and working hypotheses, allowed to vary examples around a basic model.This virtual experiment, conducted by an archaeologist, who is an autodidact concerning the modeling software Blender, played a role in technical thinking. The aim is that the 3D models can be controlled, repeated or criticized by archaeologists. However, some issues remain unresolved, such as the performance of structures, where only a computer simulation of heat and smoke or an experiment could provide solutions.
Afin de les mettre à l’épreuve et de les illustrer, une expérience de modélisation 3D a été menée dans le cadre d’une communication et d’un article dressant un bilan des recherches sur les séchoirs et fumoirs. Ces modélisations, réalisées à partir de documents iconographiques, de restitutions déjà existantes et d’hypothèses de travail, ont permis, autour de modèles de base de varier les systèmes d’accès ou d’évacuation de la fumée. Cette expérimentation virtuelle, menée par un archéologue, autodidacte concernant la prise en main du logiciel de modélisation Blender, a joué un rôle dans la réflexion portant sur les solutions techniques des séchoirs, tout en permettant d’obtenir des supports visuels pouvant être commentés, repris ou critiqués par les chercheurs. Toutefois, certaines questions restent encore en suspens, telle la performance des structures, où seule une simulation informatique du comportement de la chaleur et de la fumée ou une expérimentation réelle pourraient apporter des éléments de réflexion.
Mots-Clés
Table des matières
Texte intégral
Introduction1
1En juin 2014, lors du xie colloque de l’association AGER, Produire, transformer et stocker dans les campagnes des Gaules romaines, un bilan sur les installations nommées « séchoirs/fumoirs » a été dressé2. Cette communication revenait sur la question de ces structures de combustion se composant d’un foyer, d’un système de canal de chauffe et d’une chambre de traitement (fig. 1), présentes tout au long de la période romaine en Gaule, dans des contextes aussi différents que des établissements ruraux, des agglomérations ou encore des camps militaires. Si la question de la fonction de ces installations reste encore incertaine, les hypothèses sont nombreuses et diverses, touchant à la sphère de l’agriculture (séchoir à céréales, touraille), de l’élevage (fumoir à viande) ou encore de l’artisanat (céramique, métallurgie). À l’inverse, l’étude de la forme et surtout du fonctionnement de ces structures reste encore à développer. C’est dans cette perspective qu’une nouvelle typologie, née de la relecture de ce dossier et se fondant sur les différentes solutions techniques de ces installations (forme des canaux de chaleur, disposition de la chambre de traitement, etc.), a conduit à la réalisation d’un modèle 3D de ces systèmes.
Fig. 1 : Principaux éléments formant le système des séchoirs à chambre de traitement surélevée et à chambre de traitement basse © Guillaume Huitorel (voir l’image au format original)
2Cet article propose de revenir sur l’aspect méthodologique de la modélisation afin de tirer des conclusions sur les apports et les limites de l’utilisation d’un tel outil numérique dans la recherche archéologique autour de ces installations qui présentent encore de nombreuses zones d’ombre.
Les premières étapes de la recherche
Bilan de la recherche et composition du corpus
3La première étape de l’étude des séchoirs est de réunir la bibliographie disponible afin de dresser un bilan de la recherche sur ces installations, qui commença avant la Seconde Guerre mondiale en Angleterre. Parallèlement à ce travail qui rassemble les typologies et réflexions sur le fonctionnement et l’emploi des séchoirs, un recensement systématique des installations a été effectué. Cette étape prit la forme d’une base de données enregistrant pour chaque structure les informations liées à leur localisation, leur contexte de découverte, leur datation et une description. Le corpus, non exhaustif mais rassemblant plus de 270 séchoirs localisés en France, en Suisse, au Luxembourg, en Belgique et en Allemagne, a permis la création d’une nouvelle typologie se basant sur les différentes solutions techniques des séchoirs.
La nécessité de modéliser
4À la suite de cet important travail de recensement des installations et des études les concernant, deux principales difficultés sont apparues. La première – la plus souvent abordée dans les travaux relatifs aux séchoirs – est celle de la destination de ces structures. La seconde, directement liée à la première, est la question de leur fonctionnement. C’est autour de ce second point que nous avons d’abord ouvert notre enquête, la question se posant surtout pour quatre types de structures (fig. 2).
Fig. 2 : Évocation des séchoirs en T (a), à canal de chauffe périphérique (b), à canal de chauffe central (c) et hybride (d) © Guillaume Huitorel (voir l’image au format original)
5Les séchoirs :
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en T
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à canal de chauffe périphérique
-
à canal de chauffe central
-
et les séchoirs dits « hybrides ».
6La mauvaise conservation des structures sur la majorité des sites pour des raisons taphonomiques et de mode de construction3, ne permet pas, dans la majorité des cas, de comprendre l’élévation des structures ni même le mode de construction de la chambre et ses éventuels accès ou évacuation de la fumée4. C’est donc autour de cette question que résident de nombreux problèmes. Ainsi, nous avons rassemblé et proposé de nouvelles hypothèses au sujet de la disposition des chambres de traitement, la présence d’évents, de cheminées, etc., qui n’ont pas toujours pu être abordées dans l’article AGER. Toutefois, dans un souci de tester ces différentes hypothèses et de les visualiser, un besoin de restitution s’est rapidement fait ressentir au cours de cette recherche. La modélisation 3D, par sa rapidité de mise en œuvre et sa capacité à modifier à volonté un modèle de base, s’est imposée comme l’outil le mieux adapté pour mener à bien ce projet.
La conception de la modélisation
Le logiciel de modélisation : Blender
7Tout travail scientifique nécessite l’utilisation d’outils adaptés aux problématiques et aux objectifs développés. Pour la modélisation en trois dimensions, cet outil prend la forme d’un logiciel (software), payant ou libre de droit (open source).
8Pour ce projet, notre choix s’est porté sur le logiciel open source, Blender (fig. 3). Ce dernier a pour avantage d’être gratuit, en constante amélioration, polyvalent et relativement puissant. D’autre part, il fonctionne sur les plateformes les plus usitées telles que Windows, Mac ou GNU/Linux. L’interface et la prise en main du logiciel étant simples, il se révèle relativement facile d’utilisation5. Enfin, la possibilité d’ajouter des fonds de plan, des coupes, des relevés, des photographies et des dessins archéologiques, permet une modélisation au plus juste du monument ou de la structure étudié6. L’archéologue peut donc entreprendre lui-même ces études grâce à des logiciels 3D qui sont aujourd’hui très accessibles des points de vue technique et financier7.
Fig. 3 : Séchoir en cours de modélisation sur Blender © Étienne Chabrol (voir l’image au format original)
Le processus de création du modèle 3D
9La création de modèles 3D, d’après des données de fouille et notamment des relevés et des photographies en 2D, peut s’avérer délicate, même si le développement de la photogramétrie et des relevés laser permettent aujourd’hui d’anticiper la modélisation.
10Avant de commencer la modélisation, il est impératif de définir l’état dans lequel l’on souhaite représenter les structures. Lors de la fouille, ces dernières ne sont souvent conservées qu’au niveau de leurs fondations, l’élévation et le système de couvrement ne nous parvenant que très rarement. Il est alors possible de restituer une installation telle qu’elle nous est parvenue ou bien sous sa forme à l’époque de son utilisation. Dans ce second cas, un travail de comparaison avec des structures similaires ou proches est nécessaire afin de pallier le manque d’informations que la conservation nous impose.
11Pour notre expérience de modélisation des séchoirs, les élévations, la couverture et tout ce qui concerne l’aspect général des installations sont superflus et ne servent qu’à embellir l’image dans la mesure où l’œil se focalise de prime abord sur ces éléments plutôt que sur le sujet principal de notre étude, à savoir dans ce cas précis, le fonctionnement des installations et les différentes solutions techniques pouvant exister. Par ailleurs, il faut prendre en compte que si l’on souhaite représenter l’élévation d’un bâtiment ou ajouter des décors, l’application de textures est nécessaire. Ces textures sont des images ou des photographies qui viennent s’appliquer en lieu et place des faces géométriques des volumes dans la modélisation, or l’image peut très vite sembler « vieillie », pixélisée ou floue si les textures utilisées ne sont pas de bonne qualité. L’emploi d’images en haute définition peut permettre de réduire ces défauts mais rallonge en contrepartie le temps de création du rendu final, ce qui n’est pas dans l’intérêt du chercheur qui souhaite multiplier les modèles.
12Dans notre cas, les premières modélisations des séchoirs représentaient les structures en élévation (fig. 4). Toutefois, après les rendus préliminaires, plusieurs questions se sont imposées à nous auxquelles nous ne pouvions répondre, notamment à propos du mode de construction et de couverture des installations. De quel type est la couverture des séchoirs ? Quels matériaux composent leur élévation ? Comment distinguer les séchoirs installés dans un bâtiment de ceux isolés ?
Fig. 4 : La modélisation des séchoirs d’avril à décembre 2014 (DAO Chabrol E.) © Étienne Chabrol (voir l’image au format original)
13Chacune de ces hypothèses pouvait mériter une modélisation, ce qui aurait conduit à présenter un trop grand nombre de modèles, et hors du sujet qui nous intéressait dans cette étude.
14Donc, après plusieurs essais, entre lesquels chacun donnait son avis ou ses corrections, il a été décidé de présenter lors du xie colloque AGER, des écorchés des séchoirs afin de montrer davantage l’aspect technique des structures plutôt que leur élévation.
15Peu après la communication présentée lors du colloque, les modélisations se sont davantage concentrées sur cet aspect, en supprimant définitivement l’élévation et la toiture, permettant de se focaliser essentiellement sur le caractère fonctionnel des installations8. Par ailleurs, nous avons choisi de supprimer les textures pour faire des calculs de rendus moins réalistes et plus géométriques, davantage didactiques et s’accordant mieux avec les données lacunaires des découvertes archéologiques. Ce choix permet également de réduire considérablement le temps de calcul des rendus finaux, augmentant notablement la fréquence de modélisation. Durant les mois suivants, les modèles ont encore gagné en simplicité grâce à la suppression des dernières textures, afin de définitivement se concentrer sur l’aspect technique des séchoirs.
16La modélisation en trois dimensions est donc un processus relativement long dans la mesure où elle nécessite une interaction entre l’archéologue et l’infographiste après chaque création d’images afin que chacun donne son avis sur les différents modèles, propose des modifications et émette de nouvelles hypothèses de travail, qui aboutissent à différentes versions9.
L’exemple des séchoirs en T
17L’exemple des séchoirs de type IIa ou séchoirs en T peut illustrer la démarche suivie pour cette expérience de modélisation (fig. 5). Ce type de séchoir, fort représenté dans le corpus d’installations, présente un canal de chauffe principal rectiligne et un canal secondaire moins long, perpendiculaire au premier, reproduisant ainsi la forme générale d’un T. La chambre de traitement, comportant une sole, se situe au-dessus de ces deux canaux. Toutefois, plusieurs interrogations demeurent au sujet du type de couverture de la chambre et de ses systèmes d’accès ou d’évacuation de la fumée10. La modélisation a pour objectif de créer des modèles permettant de réfléchir à cette seconde question. La documentation primaire, rassemblée dans la base de données, permet de proposer différentes hypothèses dont certaines avaient déjà été envisagées par des chercheurs, voire même pour certaines, déjà restituées.
Fig. 5 : Les étapes du processus de modélisation et l’exemple des séchoirs en T © Guillaume Huitorel (voir l’image au format original)
Au total, quatre hypothèses différentes de solutions techniques ont été compilées pour les séchoirs en T :
-
A : double plancher permettant aux gaz de circuler sous le sol de toute la chambre de traitement, puis communiquant avec celle-ci par des évents.
-
B : plancher unique couvrant le canal principal, seul le canal secondaire reste ouvert.
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C : plancher unique couvrant le canal principal et le canal secondaire, sauf un ou deux évents situés aux extrémités de la barre du « T ».
-
D : plancher unique couvrant le canal principal et le canal secondaire, seuls les évents sont surmontés de tubulures formant des cheminées assurant le tirage sans que la fumée ne communique avec la chambre de traitement.
18La documentation primaire, les différentes hypothèses et surtout les nombreuses et continuelles discussions entre les collaborateurs ont conduit à la réalisation de modèles initiaux. Après des retouches régulières portant à la fois sur l’aspect technique des restitutions (formes des évents, systèmes de maintien de la chambre, etc.) et sur des choix visuels, trois modèles, représentant autant d’hypothèses, ont été finalisés. L’hypothèse A (double plancher), a été modélisée, mais sa restitution 3D a révélé un système complexe, peu convaincant dans son fonctionnement et pas véritablement fondé sur les données archéologiques. La modélisation a donc permis de mettre à l’épreuve cette hypothèse de système interne et de l’écarter.
Bilan d’une expérimentation virtuelle
La modélisation comme outil de recherche
19L’utilisation d’un logiciel de modélisation pour l’étude des séchoirs a été d’un apport majeur sous plusieurs aspects.
20La modélisation 3D est employée comme un outil méthodologique à part entière dans la démarche opérée pour étudier les séchoirs. Elle s’adapte d’abord parfaitement à l’archéologie par son aptitude à restituer, à partir d’un modèle de base, toutes les variations que l’on souhaite, correspondant à autant d’hypothèses de solutions techniques. Il est ainsi possible, par exemple, de tester l’impact de certaines observations de terrain directement sur le modèle 3D11.
21La modélisation 3D des séchoirs permet ainsi de mettre à l’épreuve les différentes hypothèses proposées, certaines, peu cohérentes étant même écartées12 (hypothèse A séchoir en T supra). La réalisation des modèles 3D par un archéologue connaissant la période et les problématiques soulevées par les séchoirs, faisant de lui non pas un simple prestataire de services mais un collaborateur de la recherche, davantage acteur de cette expérience, a accentué l’aspect méthodologique de cet outil numérique.
22L’expérimentation en réalité virtuelle d’installations, appareils ou machines de l’Antiquité n’est pas une première. Le volet « Sciences et Techniques » de l’équipe « Plan de Rome » (Université de Caen) dirigée par Philippe Fleury propose depuis plusieurs années – à partir des textes et notamment ceux de Vitruve – des restitutions 3D qui visent à « vérifier le fonctionnement des machines, parfois de les comprendre et dans certains cas de proposer des hypothèses d’interprétation novatrices13 ».
23Les travaux de cette équipe comme ceux effectués autour des séchoirs illustrent bien l’utilisation scientifique que l’on peut faire de la modélisation 3D pour tester des hypothèses de travail au fur et à mesure de la réflexion.
24La création de modèles en trois dimensions permet également de générer pour une publication imprimée, des images vues sous l’angle que l’on désire ou encore des écorchés (fig. 6). Aussi, il a été possible de normaliser et de rendre plus aisément perceptible la représentation des différentes hypothèses proposées autour des solutions techniques des chambres de traitement des séchoirs (fig. 7), qui pour certaines d’entre-elles, avaient déjà été restituées14.
Fig. 6 : Restitution d’une variante de séchoir en T vue sous plusieurs angles (DAO Chabrol E.) © Étienne Chabrol (voir l’image au format original)
Fig. 7 : Modèles 3D pour les séchoirs en T, à canal de chauffe périphérique, à canal de chauffe central et hybride (DAO Chabrol E.) © Étienne Chabrol (voir l’image au format original)
25Grâce à leur publication en ligne ou en format numérique, il est possible d’aller plus loin dans la diffusion de modèles en 3D en proposant une vidéo permettant de montrer le rendu de la modélisation (voir vidéo) et non pas uniquement une vue en 2D. Il faut toutefois prendre en compte le temps supplémentaire nécessaire à la création de la vidéo. En effet pour une vidéo d’environ une minute, et à raison de 24 images par seconde, il nous a donc fallu générer plus de 1300 images sans compter les différentes passes de rendus (ombres, occlusions, couleurs, etc.) qui multiplient le temps de calcul pour la vidéo.
26L’image qui résulte de cette expérience joue un rôle d’outil scientifique dans le processus de recherche autour des séchoirs et également, dans le cadre d’une publication, un rôle de médiation entre les chercheurs et le lecteur, proposant un support visuel à des hypothèses écrites, dont les nuances sont généralement délicates à appréhender15.
Les limites de la modélisation et des problématiques encore en suspens
27Si cette expérience de modélisation virtuelle des séchoirs est une réussite, il n’en demeure pas moins que certains aspects de celle-ci peuvent être modérés.
28L’outil 3D lui-même impose certaines limites. Ce type d’approche est chronophage, d’abord pour la prise en main du logiciel mais aussi pour le processus de modélisation lui-même qui demande de nombreuses retouches après discussions entre les chercheurs afin d’aboutir à un modèle répondant de manière concrète aux problématiques soulevées16.
29Dans le cas d’une modélisation aboutissant à une publication, la question de l’aspect visuel est tout aussi primordiale. Le passage du modèle 3D à l’image 2D doit donc être réfléchi et l’image produite ne doit pas être trop rapidement dépassée, ce qui peut être notamment le cas avec l’application de textures.
30Pour la recherche, si cette expérience de modélisation 3D a joué un rôle important dans cette nouvelle étude des séchoirs, elle a également posé des questions auxquelles elle ne peut répondre.
31La question de la performance (comportement de la fumée, de la chaleur, températures atteintes, etc.) de ces installations n’est pas abordée dans cette expérimentation, qui ne peut générer une combustion au comportement réaliste. Il faudrait, pour appréhender cet aspect de la problématique, employer un logiciel de simulation de la mécanique des fluides, comme ceux utilisés pour simuler des incendies (Fire Dynamics Simulator) tel que PyroSim. Il serait également possible de tenter une expérimentation réelle, méthode qui n’a pas été réitérée depuis celle de P.J. Reynolds et J.K. Langley en 1979 à la Buster Farm, mais qui impliquerait de construire l’ensemble des hypothèses modélisées et de les tester à partir d’un protocole commun17. Dans le cadre de l’étude des séchoirs, l’archéologie expérimentale et la modélisation 3D seraient donc deux approches complémentaires, qui permettraient certainement de mieux appréhender ces installations et leur fonctionnement.
32La construction de séchoirs impliquerait de réaliser une élévation ainsi qu’une toiture, question qui n’a pas été abordée dans le cadre de cette première expérience de modélisation 3D, mais qui doit être la suite logique de ce projet, permettant de comprendre la forme que prenaient les installations à l’époque, ainsi que l’impact de leur architecture sur le fonctionnement.
33Enfin, la fonction des séchoirs, question certainement la plus débattue dans les travaux touchant à ces installations, n’est pas directement abordée dans cette expérience, les modèles finaux ne présentant ni viandes fumées, ni céréales, les deux produits majoritairement évoqués par les archéologues. Toutefois pour les auteurs, cette expérimentation virtuelle s’inscrit, au contraire, au cœur de cette problématique en apportant des éléments de réflexion concernant l’accès de la fumée à la chambre de traitement des installations et son évacuation, nuançant ainsi le débat entre séchoirs et fumoirs.
Conclusion et perspectives
34La modélisation des séchoirs, dans le cadre d’une relecture du dossier encore débattu de ces installations, est une réussite. Du temps et des compétences sont exigés pour accomplir ce type d’expérimentation virtuelle, toutefois le processus de réalisation et les modèles en résultant ont eu un double intérêt dans cette recherche. La réflexion et les nombreuses discussions autour de la modélisation se sont révélées être des outils à part entière dans la recherche menée sur les séchoirs, permettant de tester différentes hypothèses. L’outil numérique a donc été au cœur de la recherche sans prendre le pas sur celle-ci. De plus, les images provenant de cette expérience ont joué un rôle de médiation, permettant d’illustrer à partir d’une base commune les différentes hypothèses de solutions techniques envisagées pour plusieurs types de séchoirs. Ces images, qui bien sûr ne sont pas définitives, pourront être dans les années à venir, reprises, critiquées et modifiées.
35Les chercheurs en Sciences Humaines utilisent aujourd’hui un important ensemble d’outils informatiques leur permettant de classifier, trier, dessiner ou encore cartographier. La réalisation de modèles 3D se démocratise depuis une dizaine d’années en Histoire et en Archéologie, mais reste encore souvent un moyen de diffusion des connaissances, peu utilisé comme outil de recherche18. Le développement de logiciels open source très performants, pourrait conduire, dans les années à venir, à une utilisation plus systématique de l’outil 3D dans la démarche des chercheurs.
36Vidéo : Trois variantes de solutions techniques pour les séchoirs en T.
Bibliographie
Karine Boulanger, « La restitution 3D comme outil de recherche archéologique. L’exemple du bâtiment antique de Bouxière-sous-Froimont », Archéopages, 35, 2012, p. 87-89.
Jessica De Bideran, « L’image “médiatrice”. Apport et évolution de l’image de synthèse », Dossier d’archéologie, 361, 2014, p. 50-53.
Maurizio Forte, « Virtual reality, cyberarchaeology, teleimmersive archaeology », dans 3D Recording and Modelling in Archaeology and Cultural Heritage. Theory and best practices, dir. F. Remondino, S. Campana, Oxford, Archaeopress (BAR International series, 2598), 2014, p. 113-127.
Sorin Hermon, « Reasoning in 3D: a critical appraisal of the role of 3D modelling and virtual reconstructions in archaeology », dans Beyond Illustration: 2D and 3D Digital Technologies as Tools for Discovery in Archaeology, dir. B. Frischer, A. Dakouri-Hild, Oxford, Archaeopress (BAR International series, 1805), 2008, p. 36-45.
Gaétan Le Cloirec, « Les atouts de l’imagerie 3D pour l’archéologie de terrain (réflexions à partir d’exemples fouillés récemment en Bretagne) », dans Visual Retrospect 2009. Actes du colloque Pessac (France), 18-19-20 novembre 2009, dir. J. France, Bordeaux, Ausonius (Collection Archéovision, 4), 2010, p. 107-113.
Peter Reynolds et Jack Langley, « Romano-British Corn-Drying Oven: an Experiment », Archaeological Journal, 136, 1979, p. 27-42.
Paul Van Ossel, Guillaume Huitorel, « Séchoirs et fumoirs. Réflexions autour de structures de transformation polyvalentes », dans Produire, transformer et stocker dans les campagnes des Gaules romaines, Actes du colloque international AGER XI, éd. F. Trément, Clermont-Ferrand, à paraître, s. p.
Robert Vergnieux, « Restituer en trois dimensions. De la fouille à son interprétation par les chercheurs », Dossier d’archéologie, 361, 2014, p. 20-25.
Robert Vergnieux, « Réalité virtuelle : un outil pour l’archéologie », dans Actes du Colloque Virtual Retrospect 2003, éd. R. Vergnieux, C. Delevoie, Bordeaux, Éditions Ausonius (Archéovision, 1), 2004, p. 13-16.
Documents annexes
- Fig. 1 : Principaux éléments formant le système des séchoirs à chambre de traitement surélevée et à chambre de traitement basse
- Fig. 2 : Évocation des séchoirs en T (a), à canal de chauffe périphérique (b), à canal de chauffe central (c) et hybride (d)
- Fig. 4 : La modélisation des séchoirs d’avril à décembre 2014 (DAO Chabrol E.)
- Fig. 5 : Les étapes du processus de modélisation et l’exemple des séchoirs en T
- Fig. 6 : Restitution d’une variante de séchoir en T vue sous plusieurs angles (DAO Chabrol E.)
- Fig. 7 : Modèles 3D pour les séchoirs en T, à canal de chauffe périphérique, à canal de chauffe central et hybride (DAO Chabrol E.)
Notes
1 Les auteurs tiennent à remercier le professeur Paul Van Ossel et Mathieu Linlaud pour leurs conseils avisés.
2 Paul Van Ossel, Guillaume Huitorel, « Séchoirs et fumoirs. Réflexions autour de structures de transformation polyvalentes », dans Produire, transformer et stocker dans les campagnes des Gaules romaines, Actes du colloque international AGER XI, éd. F. Trément, Clermont-Ferrand, à paraître, s. p.
3 Les matériaux employés pour la construction des séchoirs sont souvent de mauvaises qualités et ne sont pas liés entre eux.
4 Les matériaux utilisés pour la base des séchoirs et leur montage à sec tendent à indiquer des élévations en matériaux périssables.
5 De nombreux guides de bonne qualité sont disponibles gratuitement sur internet, et permettent d’acquérir les bases et de progresser sur le logiciel.
6 Robert Vergnieux, « Restituer en trois dimensions. De la fouille à son interprétation par les chercheurs », Dossier d’archéologie, 361, 2014, p. 20-25, en part. p. 22.
7 Gaétan Le Cloirec, « Les atouts de l’imagerie 3D pour l’archéologie de terrain (réflexions à partir d’exemples fouillés récemment en Bretagne) », dans Visual Retrospect 2009. Actes du colloque Pessac (France), 18-19-20 novembre 2009, dir. J. France, Bordeaux, Ausonius (Collection Archéovision, 4), 2010, p. 107-113, en part. p. 107.
8 Sorin Hermon, « Reasoning in 3D: a critical appraisal of the role of 3D modelling and virtual reconstructions in archaeology », dans Beyond Illustration: 2D and 3D Digital Technologies as Tools for Discovery in Archaeology, dir. B. Frischer, A. Dakouri-Hild, Oxford, Archaeopress (BAR International series, 1805), 2008, p. 36-45, en part. p. 37.
9 La plateforme technologique de l’Institut Ausonius, Archéovision, a mis en place un protocole de modélisation se fondant sur trois versions : V1 pour le premier modèle virtuel, V2.1 à V2.x pour les différents états intermédiaires et V3 pour la dernière version considérée comme visualisable (Robert Vergnieux, « Réalité virtuelle : un outil pour l'archéologie », dans Actes du Colloque Virtual Retrospect 2003, éd. R. Vergnieux, C. Delevoie, Bordeaux, Éditions Ausonius (Archéovision, 1), 2004, p. 13-16, en part. p. 15).
10 Des indices archéologiques et ethnologiques laissent envisager plusieurs solutions : dallage, rondin de bois, plancher, etc.
11 G. Le Cloirec (art. cit. n. 7), p. 108.
12 R. Vergnieux (art. cit. n. 6), p. 23.
13 D’après la présentation du volet « Science et Technique » de l’équipe « Plan de Rome » : https://www.unicaen.fr/ersam/machines.php?fichier=fichier1 consulté le 18/04/2015.
14 S. Hermon (art. cit. n. 8), p. 39.
15 Jessica De Bideran, « L’image “médiatrice”. Apport et évolution de l’image de synthèse », Dossier d’archéologie, 361, 2014, p. 50-53.
16 Karine Boulanger, « La restitution 3D comme outil de recherche archéologique. L’exemple du bâtiment antique de Bouxière-sous-Froimont », Archéopages, 35, 2012, p. 87-89, en part. p. 89.
17 Peter Reynolds et Jack Langley, « Romano-British Corn-Drying Oven: an Experiment », Archaeological Journal, 136, 1979, p. 27-42.
18 Maurizio Forte, « Virtual reality, cyberarchaeology, teleimmersive archaeology », dans 3D Recording and Modelling in Archaeology and Cultural Heritage. Theory and best practices, dir. F. Remondino, S. Campana, Oxford, Archaeopress (BAR International series, 2598), 2014, p. 113-127, en part. p. 116.