Condamnées à être un corps ? Les saintes travesties dans l’hagiographie médiévale française

Par Joanna Augustyn
Publication en ligne le 11 avril 2018

Résumé

The saints Theodora, Pelagia, Marina, Eugenia, Margaret, Euphrosyne, and Dieudonnée dress as monks to protect their chastity. The corporality of which they wish to free themselves is paradoxically central to their lives. In the case of anchorites, its presence is narrated in terms of progressive annihilation. With other saints, it is mentioned primarily when their bodies are being persecuted by the lustful gaze of others (women or fellow monks) and in the moment of the final unveiling (often posthumous) when the material speaks for the spiritual. Is sainthood sexually charged here? If the quest for spiritual perfection is associated with masculinity for saints like Margaret and Eugenia, in all other cases hagiographers do not make a point in marking the sex or gender conflict. The female saints’ virtue corresponds to an ideal of a universal and asexual sainthood; the realm of the sacred being the one place where a transvestite female does not eventually get reintroduced in social order and placed in a binary gender division.

Les saintes Théodore, Pélagie, Marine, Eugénie, Marguerite, Euphrosine et Dieudonnée se déguisent en moines et ermites pour protéger leur chasteté. La corporalité dont elles veulent se libérer est paradoxalement centrale dans leurs vies. Dans le cas des anachorètes, elle est présente dans le récit par un effacement progressif. Pour les autres saintes, elle est mise en avant surtout quand leur corps est persécuté par un regard concupiscent (celui d’autres femmes ou de confrères) et au moment du dévoilement final (souvent posthume) où le matériel parle pour le spirituel. La sainteté est-elle ici sexuellement marquée ? Si le perfectionnement spirituel des saintes Marguerite et Eugénie est associé à la masculinité, dans tous les autres cas, les hagiographes ne tiennent pas à marquer l’opposition entre les sexes. Les vertus des saintes correspondent à l'idéal d'une sainteté universelle et asexuée, l’univers sacré étant le seul où une femme travestie ne finisse pas par être réintroduite dans l’ordre social et replacée dans l’opposition binaire des sexes.

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Texte intégral

1La figure d’une femme déguisée en homme possède une tradition relativement riche dans l’hagiographie chrétienne. Si les premiers récits remontent à l’époque paléochrétienne1, bon nombre de vies de saintes travesties sont traduites en langues vernaculaires à partir du xiiie siècle : Marine, Eugénie, Théodore, Pélagie, Marguerite, Euphrosine et Dieudonnée2. Elles deviennent moines ou ermites soit pour fuir un mariage non voulu, soit pour faire pénitence. À quels moments et de quelle manière leur corps est-il représenté ? Est-il au centre des récits, comme c’est le cas des vies de saintes martyres ? Et s’il l’est, est-il sexué ? La tension entre le caché et le dévoilé, entre l’intérieur et l’extérieur paraît ici cruciale. Vu par les autres, ce corps est souvent objet de désir. Isolé du monde, il semble disparaître. Fragmenté, il n’est représenté qu’à travers quelques éléments : signes à interpréter. Dans tous les cas, le schéma narratif peut se diviser en trois étapes : la fuite sous déguisement, la vie dans un monastère ou un ermitage et la découverte de l’identité. Je vais suivre cette logique, en me concentrant sur la représentation corporelle : le corps voilé, le corps désiré, le corps dévoilé. Les anachorètes étant un cas spécifique, je consacrerai la dernière partie à leur effacement corporel total.

Corps voilé

2L’étape de travestissement repose sur trois attributs cruciaux : la chevelure, le vêtement et le prénom. Couper les cheveux, pour une femme, c’est déjà un acte de rejet de son rôle social et de son attribut sexuel. L’habit masculin que les saintes prennent n’est jamais décrit : c’est juste un signe, un élément du rite de passage. Pour le marquer, les termes les plus généraux suffisent (le plus souvent : habit/robe d’homme3). Une fois la tête rasée et un habit d’homme revêtu, les vierges se donnent un nouveau prénom (parfois c’est une version masculinisée de leur prénom féminin, comme Pélagie – Pélage, Marine – Marin). Grâce à ces attributs, elles ne sont plus identifiables pour leurs familles. Elles sont tout de suite reconnues hommes, ou éventuellement, eunuques.

3Les saintes ne sont jamais blâmées par les hagiographes d’avoir pris un habit masculin. Cela peut paraître surprenant. En effet, le travestissement est interdit par la Bible dans le texte du Deutéronome (22:5). De plus, rejeter le statut donné par Dieu était une transgression illégitime4, sans compter que c’est Satan qui est le maître du déguisement5. Si, dans le cas des saintes, le travestissement ne fait l’objet d’aucune critique (pas plus de la part des narrateurs que de la part des personnages), c’est que l’objectif est louable6.

Corps désiré (Théodore, Eugénie, Euphrosine)

4Le travestissement n’est pas sans conséquences pour la logique du récit. Il permet d’introduire des épisodes semblables à ceux qui se trouvent dans les récits profanes où les héroïnes se déguisent en hommes. Or, la travestie devient malgré elle objet du désir des autres. Il s’agit des épisodes où la travestie en tant que moine est sollicitée par une autre femme, ou qu’elle éveille un désir chez ses confrères. Sans aucun doute, ce type de scène pouvait refléter une anxiété liée à la présence d’une femme en tant qu’être sexuel dans un couvent masculin, mais il pouvait également correspondre à des fantasmes des auteurs et du public.

5Les saintes dans les vies desquelles ce motif apparaît (Théodore, Eugénie et Euphrosine), choisissent le rôle masculin pour atteindre la chasteté ou protéger leur virginité. Théodore, mariée, succombe aux ardentes supplications d’un amoureux (l’adultère ne vient pas de son initiative à elle, l’hagiographe et l’auteur du miracle insistent là-dessus). Elle devient moine pour faire pénitence. Eugénie et Euphrosine, vierges, fuient le mariage pour garder l’integritas. Une fois déguisées, toutes les trois sont pourtant persécutées par le désir des autres, comme si le corps sexué était leur aspect immuable, constituant une menace pour leur propre chasteté, mais surtout pour la chasteté de leur entourage.

6Dans la vie de sainte Théodore, la scène est réduite à une phrase (« Une pucele vint a li de nuit disanz : ‘Dors o moi’ »7). Mais elle est plus développée dans le Miracle XVIII des Miracles de Notre-Dame par personnages où une jeune fille essaye d’abord de séduire Théodore, pour ensuite lui déclarer son amour : « Frère, s’il vous vient a plaisir / Et a gré, je sui vostre amie. / Onques homme en jour de ma vie / Je n’amay tant com je fas vous »8. Dans la vie d’Eugénie la scène analogue prend une place centrale : une femme riche et noble, Mélancie, est frappée par la beauté de celui qu’elle croyait être le Frère Eugène :

« Cele matrone pensanz que freres Eugenies fust homs. Souvent le visitoit et voianz la noblece de la juventu et la beaute dou cors, de sa amour fu moult emprise et comment ele peust gesir avoec li comenca a penser angoisseuse. [...] Et quant ele fu venue, ele li descouvri comment ele estoit prise pour s’amour et comment ele estoit eschaufee en la convoitise de li. Et li pria que ele gesist avoec li. Et maintenant ele la prist et la commenca acoler et baisier et semondre la de pechier »9.

7Bien sûr, les attentes des femmes sont déçues et leurs avances rejetées. Dans les deux cas, la conséquence du rejet est pareille : une fausse accusation. La fille qui n’a pas réussi à séduire Théodore, assouvit son désir dans les bras d’un autre homme, tombe enceinte et accuse Théodore d’être le père de l’enfant. Théodore finit par être chassée du couvent et elle prend soin de l’enfant qui n’est pas le sien. Eugénie est accusée d’un viol (ce qui est une variante du motif de la femme de Putiphar : Genèse, 39, 1-23), et elle est la seule à ne pas assumer le péché non commis. Il nous reste encore un cas particulier : sainte Euphrosine. Elle se donne le nom d’Esmerade et se présente à l’abbaye comme eunuque. Ce qui la distingue de toutes les autres saintes, c’est qu’elle devient l’objet d’un désir fervent de ses confrères. L’abbé décide de l’isoler dans une cellule, afin que le jeune eunuque ne soumette personne à la tentation. Il le justifie ainsi : « Fiz, tu as grant biaté, si es trop convoitous »10. Ainsi, comme l’a dit John Anson, Euphrosine devient « l’incarnation des désirs les plus cachés de la communauté »11.

8Il convient de se poser la question suivante : qui est en fait objet de désir ? Un homme, une femme, un être androgyne ? Dans le cas de sainte Théodore, nous n’avons pas de détails sur son apparence de moine, mais il est sûr que sa masculinité est généralement reconnue. Elle n’est pas appelée « garçon » (comme l’est par exemple Dieudonnée)12, mais « homme » : l’androgynie juvénile n’est pas évoquée. En ce qui concerne sainte Eugénie, Mélancie tombe amoureuse du frère qu’elle qualifie de très jeune, rien de plus. Le jeune âge supposé en raison du manque de la barbe peut implicitement indiquer une apparence androgyne, mais cela n’est pas mis en avant. Par contre, Euphrosine, en tant qu’eunuque, s’inscrit elle-même dans une catégorie intermédiaire, « le troisième sexe », comme on l’appelait à Byzance13. Les hagiographes insistent sur la beauté d’Euphrosine aussi bien avant qu’après le déguisement. Son corps est vu et désiré par les hommes aussi bien dans le contexte hétéronormatif (quand elle est admirée, sollicitée et demandée en mariage) que dans le contexte homosocial (parmi les confrères).

9Caché sous l’habit d’homme censé les protéger contre tout rapport sexuel, le corps des saintes travesties est perçu comme masculin ou androgyne et persécuté par un regard concupiscent. Le regard semble ici crucial : comme le remarque Howard Bloch en analysant le discours des Pères de l’Église, integritas exige non seulement de ne pas convoiter et de ne pas se laisser souiller par des rapports sexuels, mais également de ne pas se laisser souiller par un regard, par le simple fait d’être convoité14. On peut observer l’insistance sur le corps soustrait au regard des autres premièrement dans les vies de saintes anachorètes auxquelles je vais revenir plus tard, et deuxièmement dans la vie de sainte Marguerite. Dans toutes les versions, même les plus courtes, les auteurs tiennent à nous signaler qu’elle était si chaste qu’elle ne se laissait regarder par personne15. À l’étape du travestissement, elle vit isolée dans une grotte et avant de mourir, elle écrit une lettre pour informer les confrères de son identité et son innocence. Elle tient à ce que ce soient les soeurs qui l’ensevelissent : « Or vos pri que cele que li home n’ont seue estre feme sevelissent les saintes serours. Et soit purgations de la vivant la moustrance de la morant. Si que les femes recognoissent la virge que li mesdisant jugoient avoir fait avoltire »16. Sa volonté est satisfaite. Ainsi son corps nu n’est ni vu ni touché par un homme même après sa mort. Mais ce n’est pas toujours le cas.

Corps dévoilé (Théodore, Marine, Eugénie)

10Souvent, pour que la sainteté soit reconnue, le corps doit être dévoilé. Si le vêtement était un signe du rejet de la sexualité, le corps mis à nu est une vérité découverte : non pas une vérité identitaire dans le sens du sexe physique ou de la reconnaissance d’un proche, mais une vérité spirituelle. C’est la senefiance de celle qui vivait en cachette, qui supportait de fausses accusations avec humilité et se soumettait à des mortifications. La scène du dévoilement, d’habitude, ne prend pas beaucoup de place dans le récit. Pourtant, elle est décisive.

11Dans les vies de saintes Théodore et Marine, le spectacle du dévoilement du corps est repris deux fois, pour faire monter la tension et attirer l’attention. Et c’est un spectacle posthume : les saintes qui ont gardé le secret de leur sexe et qui sont restées silencieuses au moment de l’accusation, ne parlent pas. Leurs corps parlent à leur place. Ainsi, dans le cas de Marine, les confrères sont les premiers à dévoiler le cadavre : « il orent le cors despoillié », ensuite vient l’abbé à qui l’on le montre : « il orent levé le drap »17. Il faut ajouter qu’à ce moment-là, le vacillement des genres grammaticaux est le plus visible : on peut observer une hésitation entre « il estoit feme » et « elle fut femme » selon les versions, et parfois au sein de la même version18. Le corps de Théodore est également découvert à deux reprises : par les confrères et par le père de l’accusatrice. Dans le miracle de sainte Théodore, où, il faut le dire, le manque de didascalie fait parfois disparaître des subtilités et oblige à appeler les choses de façon plus explicite, l’accent est mis très clairement sur la nudité. Il ne peut y avoir de doute, tout le corps est présenté. L’abbé dit aux moines : « Seigneurs, veoir le vueil tout nu / Pour savoir qu'il est devenu : / Monstrez le moy » (v.1554-1556). L’un d’eux répond : « Jusqu'au chief le rebracerons / Et puis nu le vous monstrerons » (v. 1558-59)19. Le non-dit du corps dévoilé dans les récits de vie contraste avec la nudité explicite dans le miracle. Le regard concentré sur le tissu ôté et sur le geste même du dévoilement devient un regard posé sur le nu.

12Le corps nu est donné en spectacle également dans la vie de sainte Eugénie, à une différence importante près : c’est elle qui dévoile son corps pour prouver son innocence. Son geste est très théâtral : « Et ce disanz ele dessira sa cote des le chief tant que as piez et chascuns vit que ele estoit feme »20 ou « Et dont prist sa cote et la derompi jusques a la sainture par dessus et par dessouz aussy et dist qu’elle estoit femme si comme il apparoit »21 (la scène est, par ailleurs, représentée sur un des chapiteaux de la basilique de Vézelay22). Cela s’inscrit dans la logique de la vie de sainte Eugénie dont l’existence religieuse appartient à l’espace public. Dire qu'elle ne vit pas dans l'ascèse, à l'écart, semble être en dessous de la vérité. Elle est entourée de deux élèves, Prote et Hyacinthe, elle devient prévôt, elle est connue pour ses capacités de guérisseuse. Après le dévoilement, toute sa famille se convertit et Eugénie part en une sorte de croisade pendant laquelle elle devra subir encore plusieurs mortifications pour finalement mourir par décapitation (cela la rapproche plus des vies de saints martyrisés pour leur enseignement chrétien que de celles de saintes persécutées en raison d’un échange matrimonial rejeté ou d’un désir inassouvi).

13Comme le dit Frédérique Villemur, l’invisible du corps doit se manifester « dans un visible transmué et sanctifié ». Il faut reconnaître Pélagie en Pélage, Eugénie en Eugène et Marine en Marin pour les dire autres23. Et pour les dire saintes. Le matériel parle ici pour le spirituel. Pourtant, si je dis que la nudité est donnée en spectacle, je tiens à souligner en même temps que ce spectacle est tout à fait différent par rapport à ce que l’on peut observer dans les vies de saints martyrs des deux sexes. Là, le corps nu est maltraité publiquement et la corporalité du martyr nous renvoie à l’humanité du Christ24. En revanche, dans le cas des saintes travesties, l’imitatio Christi ne réside pas dans la mortification du corps, et surtout, elle ne se joue pas à l’extérieur. Elle consiste surtout en la prise en charge d’un péché non commis pour lequel elles font ensuite pénitence avec humilité. C’est une imitatio Christi intérieure que l’entourage ignore et n’apprend qu’à la fin de leur vie ou après leur mort25.

Effacement corporel des anachorètes : Dieudonnée – Pélagie (avatars d’Alexis et de Marie l’Égyptienne)

14Le corps des anachorètes n’est jamais scruté : il n’est pas objet de désir et il n’est pas mis à nu après la mort. Retirées du regard extérieur, comment saintes Pélagie et Dieudonnée sont-elles représentées ? Sainte Pélagie la Pénitente est une des plus connues parmi les saintes travesties. La tradition hagiographique qui la concerne est la seule dont une édition complète soit actuellement disponible (en commençant par les récits paléochrétiens pour finir par les versions en langues vernaculaires, dont quatorze sont des vies en prose française plutôt tardives)26. Par contre, la vie de sainte Dieudonnée, mère de saint Jean Bouche d’Or, ne nous est arrivée que par un seul témoin (Bibliothèque royale de Belgique, 10295-10304)27.

15Pélagie d’Antioche était une femme belle et riche, pécheresse vivant dans le siècle. Elle se convertit après avoir rencontré Nonnus, un évêque très pieux qui a fondu en larmes à sa vue. Pélagie décide de donner tous ses biens aux pauvres et de se retirer dans un ermitage en habit masculin. En tant que frère Pélage, elle mène une vie tout à fait ascétique. Ce n’est qu’après sa mort que l’on découvre son identité. Si sa vie suit dans les grandes lignes le schéma de celle de Marie l’Égyptienne, celle de sainte Dieudonnée fait écho à celle de saint Alexis. Dieudonnée, une fois devenue veuve (très jeune), ne veut pas se remarier. Plongée dans le deuil, elle choisit une vie érémitique : elle aussi donne tous ses biens aux pauvres et s’enfuit pour errer d’abord déguisée en homme, ensuite – dès que son apparence change après de dures épreuves – en mendiante-ascète. Elle est hébergée par sa mère qui ne la reconnaît pas pour, finalement, vivre dans un reclusage construit par son fils devenu évêque. Ce n’est qu’après sa mort qu’elle est reconnue par son fils et sa mère, lorsqu’ils la retrouvent morte, avec un visage miraculeusement embelli. Ils découvrirent son histoire grâce aux tablettes sur lesquelles elle l’avait transcrite.

16Je propose de juxtaposer ces deux histoires, même si elles ne sont au premier regard liées que par l’aspect ascétique. Même si Pélagie et Dieudonnée commencent leur vie érémitique pour des raisons tout à fait différentes et à partir d’une situation sociale opposée, au niveau de la représentation corporelle, ce rapprochement s’impose pour moi. Les deux suivent le chemin d’un dépouillement progressif : Dieudonnée quitte sa famille, Pélagie quitte ses nombreux compagnons, elles se défont des biens matériels. Dans le cas de Dieudonnée, le déguisement n’est qu’une garantie de non-reconnaissance et un moyen de voyager en sécurité. Elle revêt son habit féminin dès que cela lui paraît possible, une fois le teint de son visage changé. Dans le cas de sainte Pélagie, les hagiographes mettent un peu plus l’accent sur le déguisement même. Certainement, pour une courtisane qui jouit de sa sexualité et qui séduit tout le monde par ses parures, le fait de porter un habit d’ermite ou une haire selon les versions est plus significatif au niveau symbolique. Sa sexualité et son corps sont le lieu de sa conversion.

17Dans les deux cas, la vie érémitique n’est pas relatée en détails. Les auteurs ne nous donnent que des indices : le désert ou l’ermitage, le jeûne, l’isolement. La vie érémitique ne se passe pas, elle consiste en l’absence et elle est présente dans le récit, paradoxalement, par l’absence. Retirées du monde, les saintes sont pour ainsi dire retirées du récit par une sorte d’ellipse. Leur objectif est de fuir le regard extérieur. En effet, elles ne sont pas vues.

18Pour la représentation corporelle, cela a une conséquence comparable : leur corps est présent par son annihilation. Il disparaît au sens physique puisqu’il est soumis aux plus graves mortifications : le jeûne, la vie dans des conditions très modestes et pénibles. Il disparaît aussi au sens social et métaphysique : il n’est pas vu, il n’est plus objet de désir, il n’est aucunement objet de préoccupation des saintes. Ainsi, on perçoit la corporalité des anachorètes par son manque. Le corps de la sainte ne réapparaît que sans vie et c’est le moment d’une prise de conscience de l’entourage. Contrairement aux vies des autres saintes travesties, le moment de la découverte de l’identité n’est pas un moment de dévoilement du corps nu féminin. Dans le cas de Pélagie, et cela est récurrent dans toutes les versions de manière étonnamment conséquente, son corps est mis hors de la celle par les moines qui « trouvent que c’était une femme ». Le regard, sous-entendu, ne scrute pas le corps nu. Le geste du dévoilement est complètement absent du texte. Pour Dieudonnée, la scène fait écho à la mort de saint Alexis. Le visage de Dieudonnée apparaît comme beau et jeune de sorte qu’il devient reconnaissable ; les tablettes relatant sa vie sont retrouvées. Les deux éléments, l’un d’ordre miraculeux, l’autre d’ordre matériel (comme source du récit), éloignent le corps dans son aspect matériel et sexuel.

19L’anachorète est un signe qui parle par l’annihilation du soi. Sa sainteté se joue à l’intérieur dans un double sens : dans un espace fermé du reclusage et en son for intérieur. La question des frontières entre les sexes, de la sexualité tenaillante ou du corps qui séduit sans le vouloir, n’est pas ici présente.

Conclusion : N’y-t-il plus ni homme ni femme ?

20La corporalité dont les saintes travesties veulent se libérer est paradoxalement centrale dans leurs vies. Dans le cas des anachorètes, elle semble être présente par le manque et l’anéantissement. Pour les autres saintes, elle est mise en avant surtout par le désir des autres et au moment du dévoilement final. Les hagiographes accordent beaucoup de place justement à ces épisodes28. Sont-ils fascinés ou obsédés par l’inversion des sexes ? Ou au contraire, s’inscrivent-ils dans le principe paulinien de l’indifférence des sexes ? Il paraît que l’on peut observer les deux attitudes, la deuxième étant plus fréquente.

21L’opposition des sexes, correspondant à la conception qui veut que la femme soit à l’homme ce que le corps est à l’âme, est évoquée dans deux cas. Avant tout, dans la vie de sainte Eugénie au moment où elle se déguise et se présente à un abbé : « Adonques com ele fust venue a celui et deist que ele estoit hom, cil dist : Voirement es tu diz hom. Car com tu soies feme, tu fais faiz d’ome. »29 ou « Et quant Eugenne fu alee a lui et elle dist qu’elle estoit homme, il dist : Voirement tu es homme car tu euvres vertueusemment »30. Dans la version francoprovençale, une spiritualité virilisée est encore plus soulignée. L’abbé dit : « Dreitiment as nom Eugenios, qar tu ovres bein come hom perfaiz », le narrateur ajoute ensuite : « Qi poit cuidier que illi fust fenna, qar li vertu de Jhesu Crist et li virginita senz tachi la covrie issi que illi fust resemblanz a homen »31. Cela s’inscrit bien dans le discours de saint Jérôme :

Aussi longtemps que la femme est pour l’accouchement et les enfants, elle est aussi différente de l’homme que le corps de l’âme. Cependant si elle aspire à servir le Christ plus que le monde, alors elle arrête d’être une femme et doit être appelée un homme32.

22Pourtant, il faut dire qu’Eugénie se distingue des autres saintes travesties : elle a une haute position en tant que moine, elle est finalement reconnue pour ses miracles – elle n’assume aucune pénitence pour un péché non commis, puisqu’elle dévoile son identité au moment de l’accusation. Elle est un saint viril, pour ainsi dire. Marguerite, elle, ne veut pas profiter des privilèges liés à son rôle masculin : elle refuse de devenir le maître de l’abbaye, mais à force d’être priée, elle finit par l’accepter. Aucun personnage masculin ni le narrateur n’évoque la « masculinité » de sa foi. C’est elle-même qui le fait dans une lettre laissée avant la mort : « Je sui homme. Je n’ay pas menti pour decevoir car j’ay monstre que j’ay eu vertu d’omme »33. La vertu et le perfectionnement spirituel sont ici identifiés à la masculinité et non pas à un idéal de la sainteté universelle, asexuée.

23Qu’en est-il des autres saintes qui, faussement accusées, vivent une pénitence indue ? Marie Delcourt y voit une logique cruelle : si la travestie « a prétendu abdiquer un sexe méprisé et appartenir au sexe supérieur, qu’elle accepte les conséquences de son audace »34. Le corps qui aurait dû être soumis au pouvoir masculin et être objet d’échange entre les hommes, est soumis à l’ascèse, à l’humiliation, à la souffrance : comme par punition pour l’élévation du statut social35. Certes, on peut avoir tendance à considérer que le travestissement féminin ne peut pas être vu comme un renoncement mais comme une élévation dans une société où la hiérarchie des sexes est forte. Pour citer Caroline Bynum :

Because women were women, they could not embrace the female as a symbol of renunciation. Because society was male-dominated, they could not embrace the male as a symbol of renunciation. To become male was elevation, not renunciation, and elevation was a less significant reversal given the values at the core of medieval Christianity36.

24Pourtant, à regarder les textes mêmes de plus près, je dirais plutôt que, sauf dans les cas d’Eugénie et de Marguerite, les hagiographes ne tiennent pas à souligner l’opposition entre les sexes ni, comme je l’ai déjà évoqué, à blâmer la prise du rôle social masculin ou la qualifier d’usurpation. Au contraire, ils mettent les saintes dans des contextes où elles ne jouissent aucunement de leur statut social acquis (jeûnant dans une grotte ou devant la porte du couvent). Elles ne gagnent rien en devenant hommes, sauf la possibilité de garder la chasteté.

25Cela m’amène à une autre conclusion. Si les saintes peuvent protéger la chasteté en se travestissant, elles la protègent contre les obligations sociales oppressives. Cette oppression appartient à un autre ordre : ordre profane. Contrairement aux récits profanes où les femmes déguisées en jongleurs ou chevaliers finissent par être replacées dans la dichotomie sexuelle (soit par le retour au rôle féminin, soit par le changement de sexe), les saintes vivent comme moines ou ermites jusqu’à leur mort. Uniquement dans l’espace sacré, il leur est possible de ne pas être réintégrées dans les obligations sociales qu’elles ont fuies. La fuga mundi, motif commun à un bon nombre de saints des deux sexes, consiste toujours en un rejet du monde. Dans le cas des saintes travesties c’est avant tout le rejet de la sexualité qui est en cause. Contrairement à ce que l’on peut présumer, dans la plupart des vies, la hiérarchie entre les sexes n’est pas fortement marquée ; la frontière entre les sexes s’estompe). Le passage d’un sexe à l’autre n’est pas présenté par les hagiographes mêmes comme une transgression qu’il faut corriger par un retour à l’ordre établi. Certes, le corps matériel est au centre des récits : voilé, désiré, dévoilé ou annihilé par des mortifications. Mais il est là comme signe d’une sainteté universelle.

Bibliographie

Textes anciens et médiévaux

Sources manuscrites

26Paris, BnF, fr. 242, col. 137a - 138b, 205va - 206va, 231a - 231va.

27Paris, BnF, fr. 20330, col. 155b - 156vb, 239a - 240va, 273a - 273va.

Sources imprimées

28Barbara Ferrari, « Versioni anticofrancesi in prosa della Vita di Santa Marina », Carte romanze, Serie I, Milan, Cisalpino, 1995, p. 125-158.

29Écrits Apocryphes Chrétiens, dir. F. Bovon et P. Geoltrain, Paris, Gallimard, 1997, vol. 1, p. 1127-1177.

30La vie de sainte Euphrosine, éd. Robert Thomas Hill, The Romanic Review, 10/3, 1919, p. 159-169 et 191-232.

31La Vie de saint Jean Bouche d’or et la Vie de sainte Dieudonnée, sa mère, éd. Hermine Dirickx van der Straeten, Liège, Vaillant-Carmanne, 1931.

32Miracle XVIII, Miracles de Nostre Dame par personnages, éd. Gaston Paris et Ulysse Robert, t. 3, Paris, Firmin Didot, 1878, p. 67-133.

33Pélagie la Pénitente : Métamorphoses d’une légende, t. 2, éd. Pierre Petitmengin, Paris, Études augustiniennes, 1984.

34Helmut Stimm, Altfrankoprovenzalische Übersetzungen hagiographischer lateinischer Texte aus der Handschrift der Pariser Nationalbibliothek fr. 818, Wiesbaden, Akademie der Wissenschaften und der Literatur, 1955.

35Hildegarde de Bingen, Scivias : « Sache les voies » ou Livre des visions, trad. Pierre Monat, Paris, Les éditions du Cerf, 1996.

36Vie de Marine d’Egipte viergene : poemetto agiografico del XIII secolo, éd. Barbara Ferrari, Milan, LED, 2000.

37Vie et office de sainte Marine (textes latins, grecs, coptes, arabes, syriaques, éthiopien, haut-allemand, bas-allemand et français), éd. Leon Clugnet, Paris, Picard, 1905.

Études

38John Anson, « The Female Transvestite in early Monasticism: the Origin and Development of a Motif », Viator, 5, 1974, p. 1-32.

39Joanna Augustyn, « Le no-body d’une sainte : l’image du corps dans les vies de saintes travesties », dans La représentation du corps dans la littérature, dir. H. Lotfinia, M. Ghassemi, K. Hayek, Lille, Éditions du Conseil scientifique de l’Université Lille 3, 2016, p. 41-48.

40Ralph Howard Bloch, « La misogynie médiévale et l’invention de l’amour en occident », Les Cahiers du GRIF, 47, 1993, p. 9-23.

41Caroline Bynum, « “...And Woman His Humanity”: Female Imagery in the Religious Writing of the Later Middle Ages », dans Gender and Religion: on the Complexity of Symbols, dir. C. W. Bynum, S. Harrell, P. Richman, Boston, Beacon Press, 1986, p. 257-288.

42Caroline Bynum, Fragmentation and redemption: Essays on gender and the human body in medieval religion, New York, Zone Books, 1991.

43Marie Delcourt, « Le complexe de Diane dans l’hagiographie chrétienne », Revue de l’histoire des religions, tome 153, n° 1, 1958, p. 1-33.

44Brenda Dunn-Lardeau, La Légende dorée. Édition critique, dans la révision de 1476 par Jean Batallier, d’après la traduction de Jean de Vignay (1333-1348) de la Legenda aurea (c. 1261-1266), Paris, Honoré Champion, 1997.

45Sandra Lowerre, The Cross-Dressing Female Saints in Wynkyn de Worde’s 1495 Edition of the Vitas Patrum, Berne, Peter Lang, 2006.

46Yelena Mazour-Matusevich, « La position de Jean Gerson (1363-1429) envers les femmes », Le Moyen Âge, vol. 112, n° 2, 2006, p. 337-353.

47Cristina Noacco, La métamorphose dans la littérature française des xiie et xiiie siècles, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2008.

48Nicole Pellegrin, « Le genre et l’habit. Figures du transvestisme féminin sous l’Ancien Régime », Clio. Histoire‚ femmes et sociétés, 10, 1999, en ligne <http://clio.revues.org/252> [consulté le 30/03/2016].

49Francis Salet, Cluny et Vézelay. L’œuvre des sculpteurs, Paris, Société française d’archéologie, 1995, p. 168.

50Georges Sideris, « Une société de ville capitale : les eunuques dans la Constantinople byzantine (ive-xiie siècle) », Les villes capitales au Moyen Âge, Actes du congrès de la Société des historiens médiévistes de l’enseignement supérieur public, 36, Istanbul, Publications de la Sorbonne, 2006, p. 243-274.

51Frédérique Villemur, « Saintes et travesties du Moyen Âge », Clio. Histoire‚ femmes et sociétés, 10, 1999, en ligne <https://clio.revues.org/253> [consulté le 12/09/2013].

Documents annexes

Notes

1 Les chercheurs sont d’accord pour reconnaître la première apparition du motif d’une femme déguisée en moine dans les Actes de Paul et Thècle. Voir Actes de Paul, trad., prés. et comm. Willy Rordorf, Pierre Cherix et Rodolphe Kasser, dans Écrits apocryphes chrétiens, dir. F. Bovon et P. Geoltrain, Bibliothèque de la Pléiade, Paris 1997, vol. 1, p. 1127-1177. Pour la plupart des saintes faisant objet du présent article, les sources indirectes sont des vies grecques des vie et viie siècles, traduites d’abord en latin et ensuite en langues vernaculaires.

2 Les sources indirectes de ces récits sont des vies grecques des vie et viie siècles. Il n’est pas facile de retracer le chemin des traductions, faute d’éditions critiques complètes et d’études diachroniques détaillées. Car il existe une multitude de versions vernaculaires, je me limiterai à quelques exemples de traductions françaises de la Légende dorée des xiiie et xive siècles (pour Théodore, Marguerite, Marine, Pélagie et Eugénie), une version francoprovençale de la vie de Sainte Eugénie du xiiie siècle, la vie de sainte Euphrosine (récit du xiiie siècle), une version dramatique de la vie de sainte Théodore (miracle du xive siècle) et la vie de sainte Dieudonnée (récit du xive siècle).

3 Par exemple : « vestue d’un habit d’omme » (Vie de sainte Marine, Paris, BnF, fr. 22911 dans Vie et office de sainte Marine (textes latins, grecs, coptes, arabes, syriaques, éthiopien, haut-allemand, bas-allemand et français), éd. Leon Clugnet, Paris, Picard, 1905, p. 163), « robe d’omme » (Miracle XVIII, Miracles de Nostre Dame par personnages, éd. Gaston Paris et Ulysse Robert, t. 3, Paris, Firmin Didot, 1878, v. 422), « en robe d’ome » (Vie de sainte Marguerite, Paris, BnF, fr. 20330, col. 137a).

4 Sandra Lowerre, The Cross-Dressing Female Saints in Wynkyn de Worde’s 1495 Edition of the Vitas Patrum, Berne, Peter Lang, 2006, p. cxiii.

5 Voir Cristina Noacco, « Les métamorphoses diaboliques », La métamorphose dans la littérature française des xiie et xiiie siècles, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2008, p. 161-181.

6 Dans le discours théologique, le travestissement est parfois admis, il peut se justifier pour protéger la virginité ou la vie. Telle est l’attitude de saint Thomas d’Aquin (Saint Thomas d’Aquin, Summa Theologiæ. III : Secunda secundæ, Madrid, Biblioteca de Autores Cristianos, 1963, cité par : Nicole Pellegrin, « Le genre et l’habit. Figures du transvestisme féminin sous l’Ancien Régime », Clio. Histoire‚ femmes et sociétés, 10, 1999, en ligne <https://clio.revues.org/252> [consulté le 30/03/2016]) ou d’Hildegarde de Bingen (Hildegarde de Bingen, Scivias : « Sache les voies » ou Livre des visions, trad. Pierre Monat, Paris, Les éditions du Cerf, 1996, p. 345).

7 Vie de sainte Théodora, Paris, BnF, fr. 20330, col. 156a

8 Miracle XVIII, Miracles de Nostre Dame par personnages (op. cit. n. 3), v. 752-755.

9 Paris, BnF, fr. 20330, col. 239vb.

10 « La vie de Sainte Euphrosine », The Romanic Review, 10/3, 1919, v. 581.

11 John Anson, « The Female Transvestite in early Monasticism: the Origin and Development of a Motif », Viator, 5, 1974, p. 17.

12 « En guise d’un garçon s’estoit aparillie » (v. 140) ou « entr’iaus fu recüe comme garçons trotant » (v. 148). La Vie de saint Jean Bouche d’or et la Vie de sainte Dieudonnée, sa mere, éd. Hermine Dirickx van der Straeten, Liège, Vaillant-Carmanne, 1931.

13 Voir Georges Sidéris, « Une société de ville capitale : les eunuques dans la Constantinople byzantine (ive-xiie siècle) », Les villes capitales au Moyen Âge, Actes du congrès de la Société des historiens médiévistes de l'enseignement supérieur public, 36, Istanbul, Publications de la Sorbonne, 2006, p. 243-274.

14 Ralph Howard Bloch, « La misogynie médiévale et l’invention de l’amour en occident », Les Cahiers du GRIF, 47, 1993, p. 15.

15 « Elle refusoit a estre veue de touz hommes » (Paris, BnF, fr. 242, col. 231a) ou « Ele ne voloit que nuls hom la veist » (Paris, BnF, fr. 20330, col. 273a).

16 Paris, BnF, fr. 20330, col. 273va.

17 Barbara Ferrari, « Versioni anticofrancesi in prosa della Vita di Santa Marina », Carte romanze, Serie I, Milan, Cisalpino, 1995, p. 125-158.

18 Ibid.

19 Miracle XVIII, Miracles de Nostre Dame par personnages, (op. cit. n. 3), p. 124.

20 Paris, BnF, fr. 20330, col. 240b.

21 Paris, BnF, fr. 242, col. 206b.

22 Il s’agit du chapiteau septentrional de la septième pile du côté nord de la nef. La sculpture correspond au numéro 59 du plan réalisé par Francis Salet, Cluny et Vézelay. L’œuvre des sculpteurs, Paris, Société française d’archéologie, 1995, p. 168.

23 Frédérique Villemur, « Saintes et travesties du Moyen Âge », Clio. Histoire‚ femmes et sociétés, 10, 1999, en ligne <https://clio.revues.org/253> [consulté le 12/09/2013].

24 Voir Caroline Bynum, Fragmentation and redemption: Essays on gender and the human body in medieval religion, New York, Zone Books, 1991, p. 204.

25 Je parle ici avant tout de Marine et Théodore qui prennent soin des enfants qui ne sont pas les leurs, et de Marguerite, enfermée dans une grotte, presque complètement privée de nourriture (on ne lui apporte qu’un peu de pain et d’eau de temps à autre). Toutes les trois sont exclues du couvent, admonestées par l’abbé et les confrères.

26 Pélagie la Pénitente : Métamorphoses d’une légende, vol. 2, éd. Pierre Petitmengin, Paris, Études augustiniennes, 1984.

27 Il faut tout de même ajouter qu’elle a encore une variante dramatique : un des Miracles de Notre-Dame par personnages contient la vie de saint Jean Chrysostome et d’Anthure, sa mère. Même si le nom de la sainte est différent, il s’agit bel et bien de la même histoire.

28 La période de la vie ascétique est la plus longue au sens temporel (de 3 à 7 ans), mais la plus courte dans le récit : elle fait toujours l’objet d’une ellipse.

29 Paris, BnF, fr. 20330, col. 239va.

30 Paris, BnF, fr. 242, col. 205vb. « Viriliter » dans les versions latines, voir Brenda Dunn-Lardeau, La Légende dorée. Édition critique, dans la révision de 1476 par Jean Batallier, d’après la traduction de Jean de Vignay (1333-1348) de la Legenda aurea (c. 1261-1266), Paris, Honoré Champion, 1997, p. 1306, n. 4.

31 Helmut Stimm, Altfrankoprovenzalische Übersetzungen hagiographischer lateinischer Texte aus der Handschrift der Pariser Nationalbibliothek fr. 818, Wiesbaden, Akademie der Wissenschaften und der Literatur, 1955, p. 72 et 73.

32 Saint Jérôme, The Commentaries of Origen and Jerome on St. Paul’s Epistle to the Ephesians, éd. Ronald Heine, Oxford-New York, 2002, p. 237, cité en français par : Yelena Mazour-Matusevich, « La position de Jean Gerson (1363-1429) envers les femmes », Le Moyen Âge, vol. 112, n° 2, 2006, p. 337-353.

33 Paris, BnF, fr. 242, col. 231v a.

34 Marie Delcourt, « Le complexe de Diane dans l’hagiographie chrétienne », Revue de l’histoire des religions, tome 153, n° 1, 1958, p. 32. Il me semble que voir un « sadisme » (le mot employé par Marie Delcourt) dans le fait que les travesties mortifient leurs corps et subissent une pénitence indue, c’est méconnaître l’esprit chrétien. Il ne faut pas perdre de vue l’idéal de l’imitatio Christi où supporter une humiliation avec humilité c’est s’élever spirituellement. C’est précisément la vertu louée dans les vies des saintes travesties. Par ailleurs, ces dernières ne sont pas plus persécutées que les autres saints martyrs ; il est difficile de soutenir que leur pénitence soit une réponse des hagiographes à une usurpation du rôle masculin.

35 Moi-même, je partageais ce point de vue dans mon article « Le no-body d’une sainte : l’image du corps dans les vies de saintes travesties », dans La représentation du corps dans la littérature, dir. H. Lotfinia, M. Ghassemi, K. Hayek, Lille, Éditions du Conseil scientifique de l’Université Lille 3, 2016, p. 41-48.

36 Caroline Walker Bynum, « “...And Woman His Humanity”: Female Imagery in the Religious Writing of the Later Middle Ages », dans Gender and Religion: on the Complexity of Symbols, dir. C. W. Bynum, S. Harrell, P. Richman, Boston, Beacon Press, 1986, p. 273.

Pour citer ce document

Par Joanna Augustyn, «Condamnées à être un corps ? Les saintes travesties dans l’hagiographie médiévale française», Annales de Janua [En ligne], n° 6, Les Annales, Moyen Âge, mis à jour le : 18/09/2019, URL : https://annalesdejanua.edel.univ-poitiers.fr:443/annalesdejanua/index.php?id=1797.

Quelques mots à propos de :  Joanna Augustyn

Statut : Doctorante (en cotutelle). Laboratoire : Mondes anciens et médiévaux (Paris-Sorbonne) / Institut d’études romanes (Université de Varsovie). - Directeurs de recherche : Sylvie Lefèvre et Agata Sobczyk. - Titre de la thèse : L’ambivalence sexuelle dans la littérature narrative de la France médiévale. - Thématiques de recherche : littérature narrative française du xiie au xve siècle, hagiographie médiévale française, études de genre, travestissement et transgenre dans la littérature médiév ...