Éditorial

Par Alessia Chapel et Sarah Casano-Skaghammar
Publication en ligne le 23 avril 2018

1La Journée Jeunes Chercheurs de l'année 2017 se proposait d’investiguer les « différents aspects et dimensions de la corporalité antique et médiévale » au prisme des nombreuses disciplines humanistes. Fidèles à la thématique lancée, les contributions recueillies aujourd’hui dans ce sixième numéro des Annales de Janua auront permis d’aborder de multiples facettes de la notion de « corps », et ce dans une approche résolument interdisciplinaire qui s’est avérée très riche et constructive. À travers les deux périodes et de manière polyvalente, le corps a donc été interrogé dans sa spiritualité, sa matérialité, ses déclinaisons sociales et politiques, mais aussi dans ses ambiguïtés.

2Pour la période antique, à travers l’exemple de vies de philosophes de tradition néoplatonicienne, Maël Goarzin axe sa réflexion sur le statut ambivalent de la corporalité dans les pratiques quotidiennes liées au souci de soi. Au croisement de la dimension spirituelle et de la dimension matérielle, l’auteur met en évidence leur complémentarité, « le lien étroit qui existe entre soin de l’âme et du corps », nuançant donc toute opposition rigide entre ces deux réalités. Perçu de manière tantôt négative, tantôt positive, le corps joue donc un rôle essentiel dans le parcours de l’âme vers les réalités intelligibles. En portant son étude sur le corps du soldat romain exposé aux violences de la guerre, Sophie Hulot approfondit, en revanche, la complexité des rapports entre l’idéal héroïque de la virtus et le statut ambivalent des blessures. À travers la prise en compte des valeurs culturelles, de la réalité pratique du combat et des impératifs d’ordre militaire et politique, son analyse vise à réévaluer « l’idéal romain en matière d’attitude corporelle » et nous montre enfin que celui-ci fonderait ses normes sur un « subtil mélange entre mise en danger de soi et protection de sa chair ». Pour sa part, Caroline Husquin s’appuie sur l’exemple de l’empereur Hadrien pour expliquer le lien étroit entre la relation que le prince entretenait avec le Sénat et la description de son corps dans la littérature. « Sous l'Empire, le corps du prince est devenu l’un des lieux privilégié de l’expression de l’assentiment ou de la contestation du pouvoir en place ». C'est de cette affirmation que découle l'argumentaire de l'auteur démêlant le corps politique et le corps naturel d'Hadrien, « bel homme » au début de son règne pour devenir un « corps décrépit » à la fin de de sa vie lorsque déclinait la qualité de ses relations avec le Sénat. Finalement, Fatma Touj (dont les recherches sont encore en cours et qui n’a pas souhaité publier sa communication) a jeté un regard sur le corps « archéologique » et nous a permis d’apprécier l’importance de l’étude des pratiques corporelles liées à l’inhumation aux fins d’une meilleure compréhension des influences entre les Phéniciens et les populations autochtones de Tunisie sur une période allant du ive au iie siècle av. J.-C.

3Les quatre autres communications de la journée portaient en revanche sur la période médiévale. En examinant les vies de sept saintes ayant eu recours au travestissement pour protéger leur chasteté, Joanna Augustyn nous expose le combat difficile de ces femmes pour se libérer de leur corps. Leur histoire est racontée par les hagiographes suivant un schéma narratif précis commençant par la fuite sous déguisement (le corps voilé), la vie dans un monastère ou un ermitage (le corps désiré) et la découverte de l'identité (le corps dévoilé). Ces histoires fascinantes sont l'occasion de s'interroger sur la place donnée dans l'hagiographie médiévale au corps sexué. L'effacement corporel et le changement de sexe étaient-ils perçus par les hagiographes comme une transgression ? Par son analyse, Charlotte Pichot continue à porter un regard sur la figure de la femme etutilise des sources judiciaires pour appréhender la perception et la valeur de son corps au Moyen Âge. Elle nous démontre ainsi l'existence d'un lien étroit entre le corps féminin et l'honneur grâce à l'étude minutieuse des descriptions physiques contenues dans plusieurs lettres de rémissions datant des xive et xve siècles. Le vocabulaire spécifique lié au corps féminin ; le rôle des hommes pour la sauvegarde de ce corps ; le code corporels particulier destinés aux femmes et même le rôle de ces dernières dans le respect ou non de ce code sont autant d'éléments offerts par ces sources. Ces informations permettent une meilleure compréhension du lien entre le corps féminin et l'honneur mais nous éclairent également sur la notion de criminalité et la place des femmes dans la société du bas Moyen Âge. Thierry Gregor se propose en revanche d’approcher « l’impact des activités de construction sur le corps des bâtisseurs » de l’époque médiévale. À l’aide des connaissances actuelles sur les pratiques des chantiers et sur les pathologies liées au port des charges et à l’emploi des outils, l’auteur analyse l’expérience corporelle du travail dans un petit corpus de miniatures datant du xie-xve siècles et d’après les restes archéologiques de deux individus. Nous envisageons ainsi la réalité du chantier médiéval, les gestes et les postures d’un « corps en activité, […] qui travaille […], qui subit et qui souffre ». Enfin, grâce à deux textes dominicains de la seconde moitié du xiiie siècle François Wallerich nous introduit aux débats théologiques entourant l'eucharistie liés aux tensions qui touchent la notion même de « corporalité ». Le Christ est-il présent dans l'eucharistie ? Certains, convaincus que ce corps particulier ne peut se corrompre, affirment qu'il ne peut être présent dans les matériaux corruptibles que sont le pain et le vin. Ces propos, jugés hérétiques par l'Église, rencontrent l'opposition des ecclésiastiques voulant prouver la présence du corps du Christ dans l'eucharistie. Par son article, l’auteur nous emmène à la découverte de l'argumentaire des prédicateurs dominicains qui exploitent dans une certaine mesure la possibilité d'un corps hors du commun.

4Nos plus sincères remerciements s’adressent aux différents acteurs qui auront garanti la réussite et la qualité de ce projet. Tout d’abord les membres de l’Association Janua – Caroline Lambert, Nicolas Michel et Cheyenne Noël – qui ont rédigé l’appel à communication et suivi de près l’organisation et le bon déroulement de cette sixième journée d’études. Le soutien logistique et financier de l’Université de Poitiers, du CESCM et d’HeRMA a également garanti la réussite de cette rencontre annuelle.

5Au cours du processus d’édition, les auteurs et nous-mêmes avons bénéficié des précieux conseils apportés par les membres du comité scientifique – Martin Aurell, Lydie Bodiou, Nadine Dieudonné-Glad, Estelle Ingrand-Varenne, Pierre-Marie Joris, Éric Palazzo, Ghislaine Stouder et Alexandre Vincent– épaulés, dans le cadre de certains articles, par Vincent Debiais, Yves Lafond et Sylvain Roux. Leurs analyses soignées et leurs remarques pointues ont non seulement aiguillé les auteurs dans leurs révisions, mais ont également continué à assurer la bonne qualité de la revue.

6Aussi, nous adressons nos remerciements aux membres du comité de relecture qui ont donné de leur temps pour ce projet d’édition et qui nous ont permis d’effectuer de minutieuses relectures formelles : Pauline Maouchi, Cécile Maruéjouls, Marine Remblière, Mélanie Riveault et Elise Vernerey.

7Cette journée et ce numéro de la revue n’auraient cependant pas vu le jour sans les auteurs eux-mêmes. Nous saluons donc à nouveaux, Joanna Augustyn, Maël Goarzin, Thierry Gregor, Sophie Hulot, Caroline Husquin, Charlotte Pichot et François Wallerich. Leur engagement et leur preuve de sérieux au cours de ces derniers mois auront nettement contribué à rendre agréable et fructueux tout le parcours éditorial.

8Nous remercions chaleureusement tous les autres acteurs du projet qui ont travaillé avec nous dans l’ombre, notamment Vanessa Ernst-Maillet, secrétaire d’édition qui s’occupe chaque année de l’épopée de la mise en ligne ; Sylvain Sonnet du service I-Médias qui ne manque jamais de nous aider dans cette dernière étape d’édition ; ainsi que Flavie Grout, éditrice pour les Cahiers de Civilisation Médiévale, qui nous a également aidées lors de la révision des normes éditoriales. Enfin, nous souhaitons adresser un remerciement particulier à Amélie Rigollet qui nous a épaulées et formées lors de notre prise en charge des fonctions éditoriales.

Pour citer ce document

Par Alessia Chapel et Sarah Casano-Skaghammar, «Éditorial», Annales de Janua [En ligne], n° 6, Les Annales, mis à jour le : 29/05/2018, URL : https://annalesdejanua.edel.univ-poitiers.fr:443/annalesdejanua/index.php?id=1860.