Conjectures et réflexions chronologiques. La focale documentaire de deux cartulaires d’Auvergne : xe-xie siècles

Par Julien Muzard
Publication en ligne le 15 avril 2013

Résumé

One of the difficulties in the use of the sources from pre-medieval times Auvergne is the dating – be it rigorous or else estimated – of the charters contained in the cartularies, which allow to observe the games of power between the local protagonists involved. Although it is by no means here question to present a further reflexion on this type of sources, it nevertheless appears appropriate to think about the existing methodologies in the dating of charters, themselves at times sibylline but precious in their contents. Some clues exist, which allow to lessen chronological gaps: abbey or Episcopal mentions, the presence of witnesses or signatories, even the philological analysis of preambles or comminatory formulae. Unfortunately, the very nature of cartularies might induce the feared presence of rewritings, incoherent orders, prejudicial disappearances of acts and interpretations, distorted by the hazards of conservation or the decisions linked to the needs of the communities. But on the whole, is a rigorous dating utterly necessary? Can we not gropingly tread on the path of an estimation, of a chronological range? Do we have to try and decipher the impossible, thus risking to impair these already over-manipulated sources and to increase their hypothetical components? What if the observation of the power go-betweens could allow to make progress following an “anthropological” approach, in which dating sometimes becomes secondary?

Une des difficultés dans l’utilisation des sources de l’Auvergne des temps pré-féodaux est la datation, rigoureuse ou à défaut estimée, des chartes contenues dans les cartulaires permettant d’observer le jeu des pouvoirs des acteurs locaux1. Bien qu’il ne soit pas ici question de proposer une nouvelle réflexion sur ce type de sources2, il convient néanmoins de réfléchir aux méthodologies existantes dans la datation des chartes, parfois sibyllines, mais au contenu précieux. Des indices existent qui permettent de resserrer les intervalles chronologiques : des mentions abbatiales ou épiscopales, la présence de témoins ou de signataires, jusqu’à l’analyse philologique des préambules ou des formules comminatoires. Malheureusement, la nature des cartulaires peut faire craindre une réécriture, des classements incohérents, des disparitions préjudiciables d’actes et des interprétations faussées par les aléas de la conservation ou des choix liés aux besoins des communautés. Mais, sur le fond, est-ce forcément la datation rigoureuse qui importe le plus ? Ne peut-on pas avancer à tâtons dans l’ombre d’une estimation, d’une fourchette chronologique ? Faut-il chercher à décrypter l’impossible, quitte à dénaturer ces sources déjà trop manipulées, et à charger leurs composantes hypothétiques ? Et si l’observation des relais de pouvoir permettait d’avancer « anthropologiquement » dans un sillon où la datation devient parfois secondaire ? L’absence de datation précise ou d’indices implicites peut aussi être l’aveu d’une permanence des pratiques sociales qui se cachent derrière un acte de cartulaire.

Mots-Clés

Texte intégral

Face au matériau brut

1L’Auvergne est un territoire privilégié entre la seconde moitié du xe siècle et le premier tiers du xie s., car elle dispose de riches cartulaires fort utiles pour comprendre une époque méconnue et souvent troublée par les jeux de pouvoir. La région, au premier âge féodal, a été étudiée par les spécialistes de l’historiographie médiévale de la seconde moitié du xxe siècle3, mais semble échapper aux nouvelles perspectives de recherche4. Pourtant, si la documentation ne manque pas, elle se révèle bien délicate d’emploi. L’Ecclesia cluniacensis5 a livré de très nombreuses chartes permettant une immersion dans les territoires proches des établissements religieux. D’autres centres, non moins importants, livrent également une grande quantité de chartes concernant d’autres espaces. C’est le cas du prieuré de Saint-Flour6 ou des chanoines de Brioude7. Les centres bénédictins d’Issoire8 et de Manglieu9 sont mentionnés dans la documentation, mais ne bénéficient pas de sources cartularisées10 pour cette période. Du siège épiscopal de Clermont aux marches du Brivadois, deux établissements se croisent et quadrillent la « Limagne dorée » chère à Sidoine Apollinaire, entre région d’Issoire, Lembron, vaux d’Allier et d’Alagnon11.

2Qualifié de « fille de Cluny », le monastère de Sauxillanges connaît un bel essor au xe siècle, dès sa fondation par le duc Guillaume d’Aquitaine, comte d’Auvergne et figure du très noble lignage des Guilhelmides12. Très rapidement, son cloître rayonne sur les terres voisines entre plaines et moyennes montagnes, nous laissant en héritage pas moins de 979 chartes de diverses transactions avec les pouvoirs laïcs locaux13.

3Contenus dans un cartulaire de seconde main (l’original, vraisemblablement du xiie siècle, étant perdu), dont les actes sont des copies d’érudits des xviie et xviiie siècles14, initialement constitué des épaves de censiers et de chartriers primitifs, ces documents connurent les turpitudes et aléas de conservations, de tris, de sélections et de classements, au nom de logiques qui parfois nous échappent15. Ce corpus, qualifié d’« Himalaya documentaire »16, obtient en 2006 la belle thèse qu’il méritait, lorsqu’Arlette Maquet attaqua son ascension, aidée par la direction de Michel Parisse. À son propos, l’auteur ne cache pas l’extrême difficulté d’utilisation de cette source unique, dont la datation pose régulièrement problème, n’hésitant pas à qualifier l’entreprise de « dangereuse »17.

4Le second cartulaire permettant l’immersion dans les terroirs des xe et xie siècles est constitué par les vestiges de la documentation compilée par les chanoines de Brioude, défenseurs spirituels du sanctuaire du martyr et saint patron de l’Auvergne : saint Julien. Le Liber de honoribus sancto Juliano collatis recense 341 actes à travers deux éditions imprimées du cartulaire, la seconde appelée couramment « Grand Cartulaire de Brioude » car étant plus complète que la première. Ces deux éditions sont également issues de copies du xviie siècle, les manuscrits originaux et les premières copies étant perdus. Ces deux centres d’importance et d’obédience dissemblables se partagent, avec le grand évêque Étienne II et les seigneurs des lignages locaux, la richesse foncière et les subsides du pagus arvernensis18.

La charte comme objet d’information(s)

5Les actes de la pratique compilés dans les cartulaires auvergnats révèlent principalement des donations pro anima19, des cessions de terres, et dans une moindre mesure des ventes20, des testaments, des actes de fondation d’établissements religieux, des réceptions d’oblats21, des brefs de cens, et des renonciations aux mauvaises coutumes par des actes de déguerpissement22. Le contenu livre des épisodes incomplets de la vie locale et souligne les liens entre les acteurs du pouvoir, à travers le double prisme des centres religieux et des stratégies lignagères des puissants, les humbles étant, bien entendu, presque totalement ignorés23. Les donations de terres sont observées en creux, au moment où ces biens sont transférés par leur possesseur pour être intégrés à un autre temporel. Ces donations étant parfois négociées, réécrites, réévaluées, la datation stricte et précise devient hypothétique et bien aléatoire, l’origine des transactions se perdant dans les limbes de la transmission documentaire et de la succession d’intérêts.

6Qu’apporte la datation de sources si diverses et tronquées par le biais des copies ? Les deux cartulaires ne semblent pas compilés selon la même logique. Celui de Brioude intègre dans le corps des chartes des éléments chronologiques parfois assez précis permettant de dater les actes étudiés24. L’étude en est facilitée, mais il est nécessaire de vérifier ces informations et de les croiser avec le contenu d’autres actes, car les erreurs sont courantes. Le travail d’Alexandre Bruel, Essai sur la chronologie du Cartulaire de Brioude, démontre l’existence de chartes aussi imprécises ou indatables que dans le Cartulaire de Sauxillanges. C’est par exemple le cas de la charte n° 139 (CXLVII du Grand Cartulaire), datée d’août 955-956 qui cumule deux difficultés. En premier lieu, la charte porte dans sa datation le nom du roi Lothaire, ce qui est impossible, car les synchronismes du prévôt et du doyen ne permettent pas d’accepter cette date. De plus, le corps de la charte précise « vingtième année de ce prince », or, il ne peut en aucun cas s’agir de lui. La Gallia Christiana cite cette charte et la donne comme étant de la vingtième année de Louis IV. On pourrait accepter l’idée d’une confusion avec son prédécesseur Louis IV, mais alors le problème s’accentue car ce dernier ne régna que 18 ans25. L’hypothèse la plus probable est d’accepter l’idée d’un décompte des années malgré la mort de ce roi, ce qui explique peut-être la confusion par une réécriture postérieure avec l’insertion du roi Lothaire, sans modifier le décompte initial des vingt années. La charte est donc datée de 955-956 (vingtième année du règne de Louis IV, mort depuis moins de deux ans, soit la deuxième année du règne du roi Lothaire).

7S’il y a des erreurs et des incertitudes dans la documentation brivadoise, le Cartulaire de Sauxillanges est encore plus obscur, la datation étant soit absente, ou tout au plus indiquée de manière lacunaire, puisque le jour et le mois côtoient généralement un intervalle de règne ou d’abbatiat, lorsqu’il existe26. La majorité des actes est donc datable, mais bien approximativement, par analogie ou par des procédés indirects, qui sont loin d’être infaillibles ou satisfaisants.

8Parmi ces systèmes de datation, les chartes mentionnent les abbés clunisiens ou bénédictins, les règnes ou les précisions épiscopales. C’est par exemple le cas de la donation de deux églises par l’évêque Étienne II en faveur de la communauté (Saux. n° 16 / 481). Cette charte existe en deux exemplaires dans le cartulaire avec quelques variantes et des graphies différentes pour les noms des témoins (Gausbert pour Josbert). La charte n° 16 est datée de 953, 18e année du règne du roi Louis27. La charte n° 481 est datée de 94328. L’analyse des témoins et les recoupements avec d’autres chartes où ils apparaissent ne permettent pas de trancher entre ces deux dates, néanmoins, il est possible de plaider pour une charte n° 481 retravaillée, peut-être pour faire valoir des droits antérieurs. Le copiste a probablement oublié un caractère lors de la formule du protocole final. Le caractère de la dizaine « X » ne se retrouve plus, ne laissant que la fin de l’année, soit « VIII » (V et 3 fois le caractère I). L’évêque Étienne II ne prenant ses fonctions qu’en 942 alors qu’il est encore abbé de Conques, il est permis de privilégier l’année 953 où il s’implante durablement dans les territoires des seigneurs cités dans la liste de témoins. En effet, 943 est peut-être un peu prématuré pour une action d’envergure…

9Ces grands hommes connus de tous ne laissent guère de marges d’erreurs, ce qui n’est pas forcément le cas des personnages secondaires, peu connus de nos études contemporaines, ou susceptibles de forts risques d’homonymie, en particulier lorsqu’ils bénéficient de noms redondants qui sont les signes d’un héritage lignager fortement ancré29. Que faire d’une charte qui ne mentionne que la présence d’un doyen, d’un prieur ou d’un prévôt ? Parfois, le personnage est connu par recoupement entre quelques actes, mais souvent il demeure inconnu par ailleurs et cette seule occurrence ne permet pas d’aller plus loin dans la datation. À ces limites s’ajoutent celles des erreurs – omissions volontaires ou non – lors des copies30. Les seigneurs des familles laïques appelées à donner ou à vendre des biens fonciers, et souvent à apposer leurs seings dans le protocole final des actes, sont énumérés par des listes de noms simples, propices à confondre les hommes. Les familles étant liées et imbriquées, parfois territorialisées selon les mêmes stratégies foncières ou matrimoniales, ces noms ne permettent pas de démêler l’écheveau chronologique. La famille seigneuriale des vicomtes et comtours de Nonette – ce beau titre de comtour, peut-être issu de Catalogne, demeure ambigu – est apparentée à la famille tige des Clermont, héritière d’un beau lignage Guilhelmide. Les noms varient peu : Armand, Amblard (principalement), Étienne et Guy (dans une moindre mesure) sont des noms qui se répètent dans cette famille en l’espace de deux siècles. Les familles Usson (château mentionné dès le xe siècle, prison de la Reine Margot – Marguerite de Valois – entre 1586 et 160531) et Paillers-Montboissier sont entremêlées et les hommes à la tête des lignages conservent les mêmes noms et des terres voisines32. L’anthroponymie se heurte donc ici à ses limites.

10Certes, dans la seconde moitié du xe siècle, apparaissent progressivement les noms à double variable, ce qui permet de saisir plus facilement l’identité de chacun33. Il ne semble pas que cette règle apparaisse de manière abrupte ; elle répond plutôt à de simples besoins ponctuels d’apporter des précisions, car les personnages de première zone sont de plus en plus nombreux, et il devient nécessaire de préciser les centres de pouvoir ou les titres, afin d’éviter des erreurs et des confusions lourdes de conséquences. Les noms simples perdurent ainsi encore au xie siècle34, sans que l’on puisse attester d’une véritable mutation documentaire, mais tout au plus, d’une série d’ajustements successifs qui s’imposent de manière pragmatique.

11Se servir des mentions d’hommes plus importants et dater par tranche selon des personnages incontournables, tels l’abbé ou le roi, mène parfois à des incohérences. Que penser par exemple des chartes dont le règne ne correspond pas à l’abbé ou à un personnage cité35 ? Est-ce une erreur de copiste, volontaire ou non, un oubli d’une précision bien utile à notre compréhension, une lacune documentaire qui manque au puzzle, ou une falsification grossière ? Quel que soit le principe retenu, la recherche précise de la datation mène parfois à l’impasse. Certains actes du Cartulaire de Brioude répondent à cette problématique et posent la question de la substitution d’un roi par un autre. C’est par exemple le cas de la charte n° 147, dont le protocole de datation imprimé porte la mention « … anno decimo sexto regnante Karolo rege Francorum ». Or, nous pensons qu’il faut entendre « Lotario » et non « Karolo ». Le 10e prévôt Robert est cité dans la Gallia Christiana à la seizième année de règne du roi Lothaire (969). Avec cette correction, tout concorde, y compris le doyen Armand. De plus, le vicomte et abbé laïque Dalmas est bien Dalmas II, en fonction entre 952 et 983. En raison de ces corrections, la charte est donc datée de février 960. Imprimé en 1935, le Grand Cartulaire de Brioude intègre cette correction et propose cette charte sous le numéro CLVIII et indique bien le roi Lothaire pour l’année 970.

12Est-ce une erreur de lecture lors de la copie, erreur qui se serait reproduite au fil des copies successives ? Il est difficile d’être catégorique. Et est-ce finalement si utile pour 10 ans ? Repérer les personnalités citées et les liens les unissant aux religieux dépositaires de l’écriture n’est-il pas plus intéressant ? Or, savoir situer chronologiquement - même approximativement - ces hommes en fonction de leurs titres ou particularismes peut être beaucoup plus révélateur qu’une date si précise soit elle… Les reconstructions généalogiques ou schémas d’apparentement souffrent de matière dans les tableaux de filiation, plus en raison de lacunes documentaires que par l’absence de dates très précises. Le paradoxe est à ce point prégnant qu’il est possible de dresser des listes de vicomtes de familles seigneuriales locales grâce à des chartes datées par recoupement ou par simples intervalles chronologiques de plusieurs années, voire décennies36. Les débats ne portent alors plus sur la datation mais sur la succession des hommes et sur les intervalles intergénésiques.

13Les travaux de la table ronde consacrée aux cartulaires et organisée par l’École nationale des Chartes du 5 au 7 décembre 1991 concluent l’ouvrage éditant les actes en synthétisant les méthodes de travail et en appelant à la prudence face au matériau brut constitué par ce type de documentation37. À cette première difficulté parfaitement exposée par Patrick Geary à travers l’article fondateur « Entre gestion et gesta »38, s’ajoutent le discrédit historiographique du xe siècle, ainsi que la controverse sur la mutation féodale (encore prégnante en Auvergne), et l’interconnexion imparfaite entre les documentations clunisienne, bénédictine et épiscopale, toutes lacunaires39. Comment s’en sortir alors devant ce nœud gordien ?

14Énumérant les différentes manières de supputer les années, le médiéviste Arthur Giry, éminent diplomatiste de la seconde moitié du xixe siècle, s’attarde sur les deux siècles concernés par notre propos. Les qualifiant d’« époques d’incurie et d’ignorance », il fait état d’une absence de toute règle fixe et de choix arbitraires dans la manière de déterminer le point de départ pour compter les années de règne40. Conformément à l’historiographie de son temps, il fait également état de cette anarchie notariale impliquant également les années de pontificat, d’abbatiat, ou de tout autre jalon permettant de dater avec précision, ou à défaut de déterminer un intervalle chronologique. Les exemples précédemment exposés semblent aller dans son sens. Ces indices chronologico-régaliens permettent donc de déterminer tout au plus un ersatz de périodicité, mais sont parfois bien trompeurs, l’influence des grands prélats étant peut-être à l’origine d’ajouts et de réécritures des actes destinés à renforcer le prestige de ces grands hommes par les liens du sang et de la terre, parfois même par les vecteurs hagiographiques, extrêmement difficiles à déceler, et plus encore à prouver. Ces conditions de datation nécessaires mais non suffisantes étant instables, il convient donc de passer par d’autres biais afin de circonscrire la datation des pièces documentaires au contenu souvent aride.

15S’atteler à comprendre les liens de pouvoir entre établissements religieux, emprise épiscopale et seigneurs locaux nécessite l’utilisation des chartes contenues dans les cartulaires, lesquels sont objets de tris, de sélections, de falsifications et d’interpolations. Néanmoins, il n’est guère aisé de s’en passer pour le xe siècle et pour la zone étudiée41. L’exemple des cartulaires de Sauxillanges et de Brioude nous montre un panel de pièges et un lot d’actes très avares en dates précises, ne permettant tout au plus que des datations approximatives. Resserrer les intervalles chronologiques de chartes peut-être usurpées, suspectes de modifications ou d’aléas de copies entre xe et xviie siècles s’apparente à une gageure. Marie Saudan, auteur d’une préédition des actes du chapitre cathédral de Clermont, considère le Cartulaire de Sauxillanges comme beaucoup trop imprécis et décide ainsi de ne pas l’utiliser systématiquement42. Ces imprécisions étaient déjà relevées par Henry Doniol dans l’introduction au Cartulaire de Sauxillanges lors de l’impression du cartulaire, même s’il le considérait alors comme un document bien plus abouti, rigoureux et précis qu’il ne l’est en réalité43. Dans le même sens, Albert Lesmaris, un autre érudit, voyait les erreurs d’Henry Doniol, et mettait lui aussi en garde contre un document qu’il jugeait « nécessaire de réviser44 ». Enfin, Arlette Maquet note qu’une nouvelle édition du cartulaire s’imposerait aujourd’hui45.

16Que faire alors lorsque les principaux moyens de datation n’aboutissent pas aux conclusions souhaitées ? Les cartulaires sont-ils si réticents à livrer leur contenu ?

17Partons des écrits et des enseignements de ces érudits locaux, parfois conspués ou accablés en raison d’un manque de méthode. Au centre des enjeux politiques, l’Auvergne a bénéficié très tôt du concours de savants et de chercheurs à l’approche positiviste et qui ont sérieusement balisé les contours de la médiévistique. Qu’apportent-ils en ce qui concerne la datation ?

18À défaut d’accorder un crédit illimité aux premiers historiens et érudits régionaux, il convient dans un premier temps de relire leurs ouvrages, car ces travaux constituent des points de départ non négligeables, et des sources intarissables d’interrogations laissées en suspens. Après Baluze et son Histoire généalogique de la maison d’Auvergne se succédèrent l’abbé Louis-Antoine Chaix de la Varène et sa Correspondance diplomatique des papes concernant l’Auvergne, Augustin Chassaing, Marcelin Boudet, Albert Lesmaris, et le pittoresque Jean-Baptiste-Maurice Biélawski, guide touristique avec sa belle Histoire de la comté d’Auvergne et ses Récits d’un touriste auvergnat. Comble de mépris, les travaux de ces hommes sont souvent interpellés, voire largement déconstruits sur le plan méthodologique, mais leurs conclusions sont trop souvent reprises en l’état, sans que leurs continuateurs n’apportent le moindre ajout. Des erreurs communément admises deviennent des vérités et se transmettent sans la moindre vérification. Loin d’être parfaits sur les plans méthodologiques et scientifiques, ces travaux méritent néanmoins d’être connus, même s’ils ne résolvent pas les dilemmes chronologiques. Enfin, Henry Doniol consacre son énergie à l’étude des cartulaires, mais la datation lui semble secondaire, car il lui préfère sensiblement l’identification et la localisation des toponymes. Il faudra toute la pugnacité d’Alexandre Bruel et d’Auguste Bernard pour aborder ce problème à travers l’étude des chartes de Cluny.

19Concernant les datations, les cartulaires bénéficient des travaux de Christian Lauranson-Rosaz et d’Arlette Maquet, qui entreprennent une relecture de fond de la documentation, permettant de proposer de nouvelles datations ou à défaut de resserrer des propositions plus anciennes. L’exercice est poussé à son paroxysme par les spécialistes de linguistique et d’onomastique qui utilisent le moindre indice pour aboutir à de nouvelles hypothèses46. Malgré tout, aussi séduisantes que paraissent leurs déductions, il est possible de rejeter certaines interprétations servant à leurs démonstrations47. Il est d’ailleurs souvent inutile d’ergoter sur les datations et d’infertiles débats, les copistes ayant collationné des sources à partir de copies bien postérieures aux originaux. La datation est donc encore dans une impasse.

20Peut-on étudier le contenu des chartes en se dédouanant des débats chronologiques et en faisant le deuil d’une datation précise et indiscutable ? C’est possible, mais surtout inéluctable, pour avancer dans la compréhension anthropologique d’une société trop souvent reléguée à la caricature véhiculée par les vieux poncifs historiographiques : citons le xe siècle qualifié de « siècle de fer et de plomb », ou de « désert culturel ». Je n’ose exposer ici les qualificatifs relatifs à l’économie féodale. Un article d’une revue de vulgarisation titrait cependant avec raison : « L’économie féodale : un bilan positif »48.

21N’est-il pas temps de confronter l’Auvergne aux nouvelles perspectives historiographiques issues de l’anthropologie ? Ce bastion arverne semble encore résister à l’approche initiée par Dominique Barthélemy. Au-delà de la question de la datation, il convient de se tourner vers les logiques humaines et en direction des liens d’homme à homme. Les jeux et enjeux du pouvoir troublent la chronologie car de rapides constats montrent une permanence des logiques, qu’elles soient foncières, matrimoniales, territoriales ou documentaires. La datation n’intervient pas pour proposer des césures entre xe et xie siècles.

22Saisir les liens d’homme à homme, les conflits et les liens entre familles et centres religieux est possible par différentes méthodes : l’anthroponymie, la reconstruction généalogique, mais surtout par la connaissance des territoires mentionnés dans les actes. La terre, centre d’enjeux du don et du contre don devient le reflet de l’implantation seigneuriale, et permet donc par les qualificatifs administratifs ou territoriaux de proposer des périodes de territorialisation des pouvoirs. Par cet angle d’attaque, la datation des sources paraît encore essentielle. Qui oserait s’attaquer à un pan de l’histoire médiévale locale sans tenter de résoudre ce premier point ? Or, l’analyse de groupes de chartes aux points communs et tournant autour des mêmes petits groupes de potentats locaux ou de relais intermédiaires du pouvoir, permet de se délester de cet encombrant dilemme, facilitant l’étude de l’ objet et évitant de trop bousculer une matière documentaire déjà instable par essence. L’exemple caractéristique est celui d’un chevalier auvergnat, Gautier, mentionné par groupe de chartes, dont on peut ainsi saisir les possessions et les liens de fidélité. Le susnommé Gautier est chevalier issu d’un terroir situé entre les centres de pouvoir, qu’ils soient vicariaux et religieux49. Malgré l’absence de mention de toute appartenance à un lignage local, il est parfaitement possible de comprendre sa stratégie foncière, territoriale et probablement matrimoniale ou pré-lignagère sans pour autant recadrer la datation de chartes, particulièrement discrètes à ce propos50. La datation pose ici le problème de plusieurs ensembles chronologiques concernant Gautier. Quelques chartes le mentionnent dans les années 940-950, d’autres dans les années 960-970, enfin certaines à la fin du siècle. Sommes-nous en présence d’un seul homme ? Peut-on supposer que les chartes les moins éloquentes en liens et en détails mentionnent un fils ou un autre membre de sa famille ? Y a-t-il une seule, deux ou peut-être trois générations ? Difficile de trancher au-delà de l’hypothétique. Le premier Gautier des années 940-950 est peut-être le père de celui qui sévit dans les années 970-980. Rien n’interdit la longévité arverne d’un homme âgé d’une vingtaine d’années lorsqu’il apparaît comme simple témoin en 943, sexagénaire dans les années 970-980, et vieillard à la fin du xe siècle. L’analyse linguistique et l’onomastique corroborent la portion chronologique que deux chartes, plus précises que les autres, dénoncent51. Cet acte plus disert peut même être l’objet de modifications ou d’interpolations ; la force d’une analyse plurielle et l’étude d’un groupe de chartes dépasse l’ornière méthodologique de la datation, facilite même l’objet d’étude, car il permet un regard critique se dédouanant de datations qui pourraient compliquer le cas et lui adjoindre des hypothèses générationnelles utiles par leurs séduisantes hypothèses, mais non nécessaires à la compréhension de ce qu’est un modeste chevalier à la fin du xe siècle52.

23Que Gautier soit un chevalier des années 950, de la fin du xe siècle ou de l’aube du xie siècle ne change rien en soit. Ses possessions sont celles d’un homme d’armes de ce que l’on peut qualifier de fin du haut Moyen Âge. Ses terres, parfois citées depuis la fin du viiie siècle, sont exploitées et se trouvent au centre de l’attention des puissants jusqu’aux derniers feux du cartulaire. Le vocabulaire n’évolue guère, n’admet toujours pas la moindre mutation documentaire d’envergure, si l’on excepte les désignations territoriales qui s’effacent, mais de manière progressive, et les mentions du double nom – signe de l’épuisement des noms à partie unique – révélateurs de la volonté de ne pas générer de confusions, ce qui démontre la force de la vocation mémorielle et commémoratrice des cartulaires.

24Exploiter les cartulaires, c’est également les croiser avec d’autres sources. Les actes du chapitre cathédral de Clermont complètent à merveille ceux des centres religieux, voisins du pouvoir épiscopal. L’évêque, cet acteur essentiel des jeux du pouvoir, nous aide à avancer sur le chemin de la compréhension anthropologique de la société du xe siècle. L’exemple d’un plaid daté de 958 semble pertinent53. Ici, la datation est également secondaire, car ce plaid pourrait exister sur la totalité du règne du grand évêque Étienne II. Les actes de déguerpissement dispersés dans le cartulaire conservent les mêmes logiques, entre la fin du xe siècle et la première moitié du xie. Certaines familles sont à ce propos coutumières du fait et régulièrement recadrées, sans qu’il soit permis d’invoquer une quelconque anarchie des temps. Tout au plus, l’évêque intervient-il pour jalonner de garde-fous des territoires riches et donc objets de luttes et de compétitions nobiliaires. Les grands seigneurs admettent les spoliations, rentrent dans le rang, acceptent de reculer devant ce grand prélat. En somme, il n’y a ni honte ni déclassement à reculer devant Dieu54. Au contraire, être admonesté par le prélat prouve au moins que celui-ci leur reconnaît le rang d’interlocuteur acceptable. Ainsi le dénommé Calixte, seigneur de la famille de Montmorin, se rend au plaid en famille et fait œuvre de justice en rendant à un chanoine nommé Amblard une terre injustement détenue (nom habituellement porté dans la famille seigneuriale de Nonette). Il endosse donc l’habit du clientélisme épiscopal. La victime de la spoliation est peut-être également liée à l’évêque par les liens du sang, le prélat étant le beau-frère du vicomte de ladite famille55. Au-delà du simple plaid ou de la prétendue entreprise de pacification d’une Auvergne plongée dans l’anarchie, quel bel exemple d’une Paix de Dieu, par le prisme d’une Paix épiscopale. Et qu’elle soit de 958 ou de 990 ne change rien. Cette grande famille persiste et signe trois générations plus tard (au début du xie siècle, probablement vers 1031-1048), lorsque Calixte, fils d’Étienne de Montmorin, renonce à nouveau à ses mauvaises coutumes56. Le passage de la fin du xe siècle n’a rien modifié des habitudes des seigneurs usurpateurs. Notons au passage la transmission du nom Calixte, identité propice aux mauvaises coutumes, et le nom Étienne, fortement représenté chez les Clermont, dont l’évêque Étienne II est issu. Il y a de fortes présomptions de liens familiaux entre l’évêque, les Clermont, les vicomtes de Nonette et la famille de Montmorin, qui reste d’ailleurs proche du pouvoir épiscopal, même au début du xiiie siècle, au cœur de la conquête capétienne de l’Auvergne.

Au-delà de la datation…

25En définitive, quelle belle opportunité que celle de se pencher sur la datation ! Double opportunité, car elle permet de prendre de la hauteur face à des sources trop manipulées et très sensibles, mais également de s’interroger sur le rapport entre la datation du contenu et la compréhension du contenant. Cette étape essentielle permet de repenser nos sources, de ne pas pécher par excès de méthode scientifique ou d’impossible exhaustivité. Dans le cas auvergnat, la recherche d’une datation ultra précise est certes souhaitable, mais ne vaut-il pas mieux s’interroger aussi sur le maintien des formes des chartes de cartulaires dans un long xe siècle, jusque vers 1030/50, prouvant ainsi que ce qui compte ici c’est la continuité des objectifs des chartes de donation ? Paradoxalement, l’imprécision de la datation est ici un critère positif pour cerner le rythme d’évolution de la société du premier âge féodal. De nombreuses interrogations restent en suspens. Sont-elles toutes dépendantes de la datation au point de n’avancer qu’à un rythme très modeste ? Celle-ci ne doit pas constituer un frein, mais le vecteur d’un nouvel élan qui permettra peut-être de se défaire des vieux paradigmes idéologiques et historiographiques.

Documents annexes

Notes

1 Doniol H., Cartulaire de Sauxillanges, Académie des Sciences, Belles Lettres et Arts, Clermont-Ferrand, 1861 (1ère édition) / 1864 (2e édition). Id., Cartulaire de Brioude, Académie des Sciences, Belles Lettres et Arts, Clermont-Ferrand, 1863. Baudot M., Baudot A.-M., Grand cartulaire du chapitre Saint-Julien de Brioude. Essai de restitution. Mémoire de l’Académie des Sciences, Belles-Lettres et Arts de Clermont-Ferrand, Tome XXXV, (Tome XCV de la collection des Annales et Mémoires), De Bussac, Clermont-Ferrand, 1935.

2 Cf. à ce sujet : Guyotjeannin O., Morelle L., Parisse M. (réunis par), Les cartulaires. Actes de la Table ronde organisée par l’École nationale des chartes et le G.D.R. 121 du CNRS (Paris, 5-7 décembre 1991), Paris, École des chartes, 1993.

3 Cf. Fournier G., Le Peuplement rural en Basse-Auvergne durant le haut Moyen Âge, Presses Universitaires de France, Aurillac, 1962 (en juin 2011, une troisième édition est publiée par l’Académie des Sciences, Belles-Lettres et Arts de Clermont-Ferrand). Concernant l’Auvergne, ce monumental ouvrage constitue un point de référence constant. Dans le sillage de Gabriel fournier, Christian Lauranson-Rosaz, Professeur d’histoire du droit, a soutenu en 1984 une thèse faisant autorité par un dépouillement des sources forçant le respect, mais s’inscrit dans la ligne tracée par l’école mutationniste de ses prédécesseurs – Jean-Pierre Poly et Éric Bournazel –, et délivre une analyse opposant pouvoir public déliquescent et privatisations violentes des seigneurs locaux, dans une anarchie « arveno-méridionale » ; Cf. Lauranson-Rosaz Chr., L’Auvergne et ses marges (Velay, Gévaudan) du viiie au xie siècle. La fin du monde antique ?, Cahiers de la Haute-Loire, Thèse (Paris X) soutenue en 1984, éditée en 1987 (seconde édition 2007) ; Poly J.-P., Bournazel É., La mutation féodale, xe-xiie siècles, Paris, Presses Universitaires de France, Collection Nouvelle Clio n° 16, 1980 (1ère édition).

4 Les travaux novateurs élaborés dans le sillage de Dominique barthélemy ne s’attardent pas sur l’Auvergne, encerclée par les travaux du Vendômois, de l’Autunois et du Rouergue. Cf. Barthélemy D., La mutation de l’an mil a-t-elle eu lieu ? Servage et chevalerie dans la France des xe et xie siècles, Paris, Fayard, 1997 ; Id., L’An mil et la Paix de Dieu. La France chrétienne et féodale, 980-1060, Paris, Fayard, 1999 ; Id., Chevaliers et miracles : la violence et le sacré dans la société féodale, Paris, Colin, 2004 ; Id., La chevalerie. De la Germanie antique à la France du xiie siècle, Paris, Fayard, 2007 ; Barthélemy Dominique, Bruand Olivier, Les pouvoirs locaux dans la France du centre et de l’ouest (viiie-xie siècles). Implantation et moyens d’action, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2004 ; Bruand Olivier, Les origines de la société féodale. L’exemple de l’Autunois (France, Bourgogne), Dijon, Éditions Universitaires de Dijon, 2009 ; Fray Sébastien, L’aristocratie laïque au miroir des récits hagiographiques des pays d’Olt et de Dordogne (xe-xie siècles), thèse préparée sous la direction de M. le Professeur Dominique Barthélemy, Université Paris-Sorbonne, 2011. Cet auteur réexamine la datation des récits hagiographiques, notamment les éléments de la Vita Geraldi.

5 Au-delà de la formule empruntée à Dominique Iogna-Prat, peut-on appliquer ce modèle à un prieuré de l’Auvergne du xe siècle qui se réfère aux grands abbés de Cluny, mais se comporte parfois comme une entité indépendante ? Cf. Iogna-Prat Dominique, Ordonner et exclure. Cluny et la société chrétienne face à l’hérésie, au judaïsme et à l’islam (1000-1150), 2e édition corrigée, Paris, Champs Flammarion, 2000, p. 41 et sq.

6 Sous-préfecture du Cantal.

7 Sous-préfecture de Haute-Loire.

8 Sous-préfecture du Puy-de-Dôme.

9 Canton de Vic-le-Comte, arrondissement de Clermont-Ferrand, Puy-de-Dôme.

10 Néologisme utilisé par Laurent Morelle. Cf. Morelle Laurent, « Michel Zimmermann : l’écriture documentaire comme théâtre d’expérimentation », Médiévales 52, printemps 2007, p. 181-196. L’article traite de l’ouvrage de Michel Zimmermann : Écrire et lire en Catalogne (ixe-xiie siècle), Bibliothèque de la Casa de Velázquez, Volume n° 23, Madrid, 2003 (2 volumes).

11 Le Lembron ou Lembronnais est également appelé « Limagne des buttes ». L’origine du nom est le ruisseau du Lembronnet. C’est la zone autour du village de Saint-Germain-Lembron (Puy-de-Dôme), dont l’ancien nom usité dans les chartes est Liziniat (Liziniacus, Liziniaco), possession et donation religieuse aux mains de l’évêque Étienne II (942-†984). Cf. concernant cette double donation épiscopale : Cartulaire de Brioude n° CCCCXXXIV (7 octobre 945), n° 336 ou CCCCXLVIII (février 962).

12 Le modeste centre appelé à devenir la dépendance clunisienne est né de deux donations successives, l’une en 910 par Guillaume le Pieux, duc d’Aquitaine, lors d’un séjour qu’il fit dans la villa de Sauxillanges, la seconde en 927 par son neveu et successeur le comte Acfred. Concernant cette double donation, cf. Fournier Gabriel, Le peuplement rural en Basse-Auvergne durant le haut Moyen Âge, Aurillac, Presses Universitaires de France, 1962, p. 490-495 ; Cf. également charte n° 146 du Cartulaire de Sauxillanges (910) ; désormais : Saux. n° 146 (910) ; Baluze, Histoire généalogique de la Maison d’Auvergne, t. 2, p. 21 ; concernant la charte de fondation : Saux. n° 13 (927) ; Maquet Arlette, Cluny en Auvergne (910-1156), Thèse de doctorat (nouveau régime) en Histoire médiévale préparée sous la direction de M. le Professeur M. Parisse, Université Paris I, Panthéon-Sorbonne, mai 2006, 3 volumes, p. 186-203.

13 Ces actes permettent de reconstituer les schémas d’apparentement des familles seigneuriales locales. Parmi elles, les Clermont, Nonette, Usson, Mercœur et Paillers-Montboissier sont déjà des lignages bien implantés au cœur des territoires.

14 BnF, Ms. Latin 5454. L’autre copie provient des AN (LL 1014).

15 Cartulaire de Sauxillanges, édité par Henry Doniol, 1861 / 1864. Son classement n’est ni totalement chronologique, ni même établi par zones territoriales. Des choix de mémoire sont hautement probables dans sa constitution primitive, à défaut dans ses copies.

16 Métaphore utilisée par l’auteur à l’occasion du colloque de Blesle (Haute-Loire) en présence de Michel Parisse : Cf. Maquet Arlette, « Entre don et faveur : Oda, Mainsinde, Ermengarde de Bourbon et les autres Arlette », La place et le rôle des femmes dans l’histoire de Cluny, Colloque d’histoire du 22 au 25 avril 2010 à l’occasion du 1100e anniversaire de l’abbaye de Cluny (910-2010).

17 Ibid., p. 109-110.

18 Vaste ensemble territorial subdivisé en comtés et en vicairies. Cf. Saudan Marie, Espaces perçus, espaces vécus : géographie historique du Massif central du ixe siècle au xiie siècle, Université Paris I, 3 volumes, 2004.

19 Par exemple : Saux. n° 253 (954-986), 38 (954-986), 511 (994-1049).

20 Par exemple : Saux. n° 373 (avril 947 « … in mense aprili, anno XII, regnante Lodovico rege. »), 198 (954-986).

21 Par exemple : Saux. n° 312 (942-954), 178 (954-994), 714 (996-1031).

22 Cf. Maquet Arlette, op. cit. L’auteur dresse la typologie d’une grande partie des chartes du cartulaire.

23 Les paysans n’apparaissent qu’indirectement, lorsqu’ils sont au centre d’une donation, car fixés à la terre concernée. Les mentions de corvées, de cens ou de charrois en font également rapidement allusion.

24 Malgré quelques chartes posant un certain nombre de problèmes, le Cartulaire de Brioude est plus prolixe quant à la question de la chronologie. Cf. Bruel Alexandre, « Essai sur la chronologie du Cartulaire de Brioude, précédé de quelques observations sur le texte de ce cartulaire d’après de nouveaux manuscrits », dans Bibliothèque de l’école des chartes, 1866, tome 27, p. 445-508.

25 Du 19 juin 93 au 10 septembre 954, soit une durée de 18 ans, et deux mois et demi environ.

26 C’est par exemple le cas de la charte n° 71 (datée du mois de juin, sous le règne du roi Lothaire, 954-986).

27 « Data mense decembrio anno XVIII regnante Ludovico rege ».

28 « Data mense decembrio anno VIII regnante Ludovico rege ».

29 Ces familles se transmettent des « noms-héritages » qui se suivent pendant plusieurs générations, parfois de manière atavique. C’est le cas des Mercœur et du nom Ithier, des Nonette avec les noms Amblard et Armand, ou des Brezons apparentés aux Nonette avec le nom Eustorge. Certaines familles semblent légèrement déroger à la règle en intégrant un des noms emblématiques d’un autre lignage. Est-ce une présomption de liens matrimoniaux ou de fidélité / vassalité ? Difficile d’être catégorique. Les terres possédées et l’implantation foncière permettent parfois de corroborer et d’appuyer l’hypothèse.

30 Les confusions sont parfois décelables : l’imbroglio entre Usson et Paillers-Montboissier semble inextricable.

31 Canton de Sauxillanges, arrondissement d’Issoire, Puy-de-Dôme.

32 Cf. Les Usson semblent porter les noms suivants : Hugues, patronyme héréditaire, Pons et Bégon. Hugues est un nom très courant et partagé par d’autres familles, comme les Paillers-Montboissier. C’est l’origine de la regrettable confusion d’Albert Lesmaris dans son étude consacrée aux Usson. Cf. Lesmaris Albert, Saint-Étienne-sur-Usson d’après le Cartulaire de Sauxillanges, Librairie-Éditeur Émile Larose, Paris, 1904. Cf. Christian, L’Auvergne…, op. cit., p. 177. Pons est un nom courant chez les Brioude, Bégon est un nom courant qui est également celui de l’évêque successeur d’Étienne II. Ces caractéristiques onomastiques peu favorables, ainsi que l’absence presque totale de mentions des noms des femmes de la famille sont une des causes du mystère nimbant la famille.

33 À travers l’exemple des deux chartes de donation épiscopale précédemment citées, un témoin initialement appelé Désiré devient dans une charte renégociée Désirée de Mercœur. Cet homme appartenant au beau lignage de cette famille, il convient d’ajouter une précision peut-être oubliée initialement, alors que les deux chartes n’hésitaient pas à apposer les titres vicomtaux et abbatiaux. Le vicomte Amblard de Nonette, apparenté à l’évêque et étant assez singulier, tant par son nom symptomatique de cette famille que par ses actions d’impétuosité, la précision n’est pas utile.

34 La charte du Cartulaire de Sauxillanges n° 141, datée de 994-1049, mentionne des noms simples et des noms doubles. Ce caractère hybride montre un ajustement progressif en fonction des besoins.

35 C’est par exemple le cas de la charte du Cartulaire de Brioude n° 178 (941 ou 1036 selon le roi privilégié). La version imprimée mentionne le règne de Louis (année 941). Or, il n’y a d’abbé Étienne que sous le roi Henri Ier (année 1036). Faut-il remplacer « Ludovico » par « Henrico » ? Difficile d’être catégorique. Certains noms et l’entité vicariale plaideraient pour la datation la plus haute.

36 Cf. Lauranson-Rosaz Christian, « Vicomtes et vicomtés en Auvergne et dans ses marges (ixe-xie s.) », dans Debax Hélène (éd.), Vicomtes et vicomtés dans l’Occident médiéval, Toulouse, Presses Universitaires du Mirail, 2008, p. 213-222. D’autres sources sont utilisées pour dresser une prosopographie vicomtale, mais les cartulaires livrent de remarquables indices chronologiques ainsi que des détails tels que les liens familiaux, matrimoniaux ou les surnoms des seigneurs.

37 Cf. Guyotjeannin Olivier, Morelle Laurent, Parisse Michel (réunis par), Les cartulaires. Actes de la Table ronde… op.cit.

38 Geary Patrick, « Entre gestion et Gesta », dans Guyotjeannin Olivier, Morelle Laurent, Parisse Michel (réunis par), Les cartulaires. Actes de la Table ronde… Op.cit.

39 En dehors des chartes et des cartulaires, l’Auvergne possède une série d’actes relatifs au pouvoir épiscopal, très présent dans la zone étudiée et logiquement interconnecté avec les communautés religieuses. Cf. Saudan Marie, Préédition des actes du chapitre cathédral de Clermont. Vol. 1 : ixe-xie siècles, Clermont-Ferrand, 2009. Travail préliminaire et intermédiaire à l’édition des actes du chapitre cathédral de Clermont, l’ouvrage est le fruit d’une collaboration entre Christian Lauranson-Rosaz, Jean-Pierre Chambon, Jacques Pericard, Emmanuel Grelois, et l’auteur.

40 Giry Arthur, Manuel de diplomatique, Nouvelle édition, Paris, Librairie Félix Alcan, 1925, pages 86-87.

41 Malgré les recommandations au sujet de l’utilisation des chartes, il est totalement inconcevable d’étudier l’Auvergne sans s’appuyer sur leur contenu.

42 Saudan Marie, Espaces perçus, espaces vécus… op. cit, p. 73.

43 Doniol Henry, Notes sur le Cartulaire de Sauxillanges, édition 1861, p. 469-470. L’auteur accorde au cartulaire une organisation, ou un classement. Peut-être est-ce un peu exagéré…

44 Lesmaris Albert, Saint-Étienne-sur-Usson, d’après le Cartulaire de Sauxillanges…, Op. cit, p. 2-3.

45 Maquet Arlette, Cluny en Auvergne.., op. cit., p. 110.

46 Cf. la spectaculaire démonstration de Jean-Pierre Chambon : « L’onomastique du censier interpolé (ca. 946) dans la charte de fondation du monastère auvergnat de Sauxillanges », Revue de linguistique romane, t. 68, 2004, p. 105-180. Cf. même auteur : « La Carta de censu de Berlerias (Cartulaire de Sauxillanges n° 979) : datation, localisation et remarques lexicographiques », Lengas, t. 54, 2003, p. 217-247. La démarche est rigoureusement identique, mais la charte est postérieure à notre propos, datée « vers 1130 », et non plus par la datation habituellement proposée « sous l’abbatiat de Hugues », c’est-à-dire 1049-1109.

47 Ainsi par exemple, Jean-Pierre Chambon considère que les hommes mentionnés dans l’acte sont des paysans ou des tenanciers d’exploitations agricoles. Or, certains noms relevés par Christian Lauranson-Rosaz sont analysés comme des noms aristocratiques. Nous pensons qu’il s’agit plus vraisemblablement de relais de pouvoir, de lieutenants du pouvoir local, ou de membres de ces familles. Certains noms (Armand, Armannus) semblent l’attester ainsi que la présence de deux femmes que l’auteur qualifie sans preuve de veuves. Il nous semble que cette proposition ainsi que la mention dans la documentation corroborent l’état d’une certaine importance et de liens privilégiés avec la communauté naissante.

48 Cf. Bruand Olivier, « L’économie féodale. Un bilan positif » dans Histoire et images médiévales, Thématique n° 15, Nov.-Déc. 2008-Janv. 2009, Apt, Éditions Astrolabe, 2009. L’économie carolingienne ne semble pas si atone. Cf. même auteur : Voyageurs et marchandises aux temps carolingiens, Les réseaux de communication entre Loire et Meuse aux viiie et ixe siècles, Bruxelles, Éditions De Boeck Université, 2002. Cf. également : Gouguenheim Sylvain, Regards sur le Moyen Âge, 40 histoires médiévales, Paris, Tallandier, 2009 (particulièrement le chapitre consacré à l’économie carolingienne).

49 Cf. Muzard Julien, « Terres et pouvoirs dans les vicairies d’Usson et de Nonette à travers le Cartulaire de Sauxillanges », dans : Châteaux, églises et seigneurs en Auvergne au xe siècle : lieux de pouvoir et formes d’encadrement, Journée d’étude, sous la direction d’Olivier Bruand, Maison des sciences de l’homme, Clermont-Ferrand, Presses Universitaires Blaise Pascal, C.H.E.C., Mai 2010.

50 Les chartes mentionnant Gautier et sa famille : Saux n° 18 (954), 28 (953-954), 38 (954-986), 54 (mai 971), 62 (février 974), 68 (943), 94 (28 mars 970/981), 96 (954-994), 97 (954-986), 109 (954-994), 129 (996-1031), 150 (954-986), 196 (954-986), 221 (28 mars 970/981), 222 (942-954), 257 (954-986), 287 (996-1031), 343 (964-993 selon CLR), 360 (954-984), 396 (994-1049), 418 (ND), 497 (953-954), 500 (942-954), 764 (996-1031), 765 (996-1031).

51 Il s’agit des chartes n° 54 (mai 971) et 62 (février 974). Gauthier semble être un adulte dans la force de l’âge vers les années 970.

52 L’identification de la terre principale de Gautier (Albiacus, Albiaco) a fait un temps débat, mais un consensus semble se dessiner et efface les anciennes propositions de localisations. Cette terre est identifiée à Aubiat, commune d’Auzat-sur-Allier, localité proche de la vicairie de Nonette, centre de pouvoir de la famille seigneuriale éponyme.

53 Archives Départementales du Puy-de-Dôme (63), 3 G, Armoire 18, Sac A, Pièce n° 4 (septembre 958).

54 Cf. Myriam Soria-Audebert et Cécile Treffort, Pouvoirs, Église, société : conflits d’intérêts et convergence sacrée (ixe-xie siècle), Paris, Presses Universitaires de Rennes, 2008, p. 113 concernant ce plaid. Dominique Barthélemy insiste également sur l’attitude des princes et potentats locaux lorsqu’ils réintègrent le rang d’un ordre épiscopal qui souhaite limiter le développement des violences seigneuriales.

55 Ibid., p. 163-172.

56 Cf. Lauranson-Rosaz Christian, L’Auvergne…, op. cit., p 181-182.

Pour citer ce document

Par Julien Muzard, «Conjectures et réflexions chronologiques. La focale documentaire de deux cartulaires d’Auvergne : xe-xie siècles», Annales de Janua [En ligne], Les Annales, n° 1, Deuxième partie : datation, mis à jour le : 29/10/2019, URL : https://annalesdejanua.edel.univ-poitiers.fr:443/annalesdejanua/index.php?id=206.

Quelques mots à propos de :  Julien Muzard

Statut : Doctorant à l’université de Clermont-Ferrand et enseignant en histoire et géographie au lycée Théodore de Banville de Moulins (Allier). - Laboratoire : Centre d’Histoire « Espaces et cultures ». - Directeur de recherches : Olivier BRUAND. - Sujet de thèse : Le pouvoir épiscopal d’Étienne II à Étienne IV. Contrôle de l’espace et relations de clientèle entre Clermont et Haute-Auvergne (942-1025). Au cœur des lignages : enjeux de pouvoir, conflits et encadrement. - Thématiques de recherche ...