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"SIG et histoire économique : repenser les échanges archaïques ?"
Par Ségolène Maudet
Publication en ligne le 05 avril 2016
Résumé
This article intends to present a methodological approach to the utility of a GIS in a study of economic history. A GIS is used in a PhD about the circulation of objects in Campania in the Iron Age. The archaeological data available is mainly funerary. The utilisation of a GIS with a database allows the study to suggest interpretations at various scales, in order to combine the precision of an intra-site spatial analysis with considerations about the regional exchange network. The theoretical and methodological issues are first detailed. Some encouraging results and perspectives are then presented.
Cet article propose une réflexion méthodologique sur l’utilisation du SIG pour étudier les échanges en Campanie à l’époque archaïque à partir de données funéraires. L’association d’un SIG avec une base de données sur le mobilier des tombes, les tombes et les sites permet ainsi de réfléchir à une analyse spatiale des échanges à plusieurs échelles. Les enjeux théoriques liés à cette nouvelle méthode sont ici présentés, ainsi que les modalités concrètes de réalisation d’un tel SIG. Plusieurs exemples d’utilisation d’un SIG pour étudier les échanges à l’échelle des tombes et de la région sont ensuite exposés.
Mots-Clés
Table des matières
Texte intégral
Introduction
1L’utilisation en archéologie d’un Système d’Information Géographique est devenue courante aujourd’hui, la diversité des emplois possibles illustrant bien la richesse et la plasticité de cet outil1. Construire un SIG oblige à réfléchir avec précision à l’inscription spatiale des données archéologiques, ce qui permet d’en comprendre l’organisation à différentes échelles (contexte funéraire, nécropole, site, région). Le choix de développer un SIG a été motivé par les nombreuses possibilités de cartographie et d’analyse spatiale offertes par ce type de logiciel2.
2Cet article présente une réflexion méthodologique menée autour de l’usage du SIG, dont l’enjeu est d’associer l’archéologie funéraire et l’histoire des échanges. L’utilisation conjointe d’un SIG avec une base de données permet d’enrichir l’analyse des échanges en y ajoutant une dimension intra-site, qui, dans notre cas, concerne avant tout des ensembles de tombes. Cette méthode d’étude de données a pour objectif de proposer quelques pistes de travail pour un questionnement fondamental : que peuvent nous apprendre les mobiliers des tombes sur les échanges commerciaux entre les vivants ?
3Nous commencerons par présenter les enjeux théoriques liés à l’emploi du SIG pour étudier les échanges à partir du matériel funéraire. Le travail préparatoire à la constitution d’un SIG associé à une base de données sera ensuite présenté, en insistant sur la méthodologie concrète. Cette étape préliminaire permettra alors d’aborder les apports du SIG à l’analyse des importations archaïques, à travers la présentation de plusieurs pistes de travail, à l’échelle des tombes, puis de la région.
Constituer un SIG pour étudier les échanges dans la Campanie archaïque : les étapes préalables à l’analyse
Présentation de la recherche : terrain d’étude, sources, problématiques
4Afin de souligner l’apport d’un SIG dans une étude sur les échanges archaïques, il faut rappeler les problématiques et les sources disponibles. Un SIG doit toujours être conçu en lien avec les besoins particuliers : la phase de réflexion en amont doit donc tenir compte des possibilités du logiciel, mais aussi des limites de la documentation utilisable.
5L’objectif de la recherche en cours est d’étudier les échanges dans la Campanie archaïque. La Campanie est la région de la ville actuelle de Naples, qui correspond largement au découpage de la Campania romaine. Il s’agit d’un territoire de plaines très fertiles, bordées de massifs montagneux. L’actuelle côte amalfitaine constitue une péninsule qui sépare la plaine de Salerne, autrefois dominée par Pontecagnano, des plaines de la vallée du Sarno au sud du Vésuve, près de la ville de Pompéi, et de celles de Capoue et de Cumes, plus au nord.
Fig. 1 : La Campanie archaïque entre les viiie et vie siècles © Ségolène Maudet (voir l’image au format original)
6Le terme « échanges » désigne les situations où des biens circulent entre les individus3. En ce qui concerne l’étude des échanges en Méditerranée, les travaux de Georges Vallet et de François Villard ont montré l’intérêt d’une quantification du matériel céramique associée à une réflexion sur l’évolution des importations et à des cartes de distribution4. Ces études avaient cependant tendance à accorder trop de confiance à la quantification, en perdant parfois de vue les contextes, souvent divers et fragmentaires, d’où provenaient les tessons5.
7Dans notre cas, une seconde difficulté se présente. Les données disponibles pour étudier la Campanie de l’âge du fer sont avant tout funéraires. Plusieurs nécropoles (Pithécusses, Pontecagnano, Cumes) ont été publiées de façon détaillée, mais très peu d’espaces d’habitat ou de sanctuaires ont été fouillés et publiés. Les analyses anthropologiques des nécropoles ont montré la spécificité de ces contextes, qui ne sont jamais un simple reflet de la société des vivants, de leurs échanges en particulier6. Il est donc indispensable d’étudier les objets importés en tenant compte de leur statut de mobilier funéraire, et de voir, dans un second temps, dans quelle mesure on peut utiliser ces analyses pour comprendre les échanges des vivants. Le SIG, couramment utilisé en archéologie funéraire, permet de disposer d’une cartographie précise des contextes funéraires dans lesquels on a trouvé les objets ayant circulé, ce qui permet pour une nécropole, d’étudier certaines associations spatiales.
8Dans le mobilier funéraire, on se concentre donc plus particulièrement sur les objets non-locaux : fibules, vases, bijoux7. Ces objets importés, trouvés dans les tombes, constituent la trace d’une circulation. Les modalités de celle-ci constituent la problématique principale du travail de thèse, autour d’une étude de son inscription sociale (qui sont les groupes concernés), économique (de quels volumes et de quels types de biens s’agit-il ?) et géographique (quelles sont les routes empruntées ?)8.
9Le SIG constitue un instrument précieux pour étudier ces circulations, puisqu’il permet d’inscrire la distribution de ces importations, par exemple à l’échelle des sites, sur un fond de carte qui contient d’autres informations, comme le relief, les routes, etc. Cette méthode permet ainsi de proposer de nouvelles analyses sur les échanges à l’époque archaïque. Le point de départ de la recherche est l’ensemble des tombes qui contiennent des objets importés en Campanie, qui doivent être contextualisés au sein d’une nécropole, d’un site, d’une région. Pour ce faire, il faut cependant d’abord disposer d’un fond de carte adapté, voire de plusieurs fonds de cartes à différentes échelles, allant de la tombe à la région ou zone géographique. La construction de ces fonds de cartes va maintenant être présentée.
Le SIG en archéologie : principes de fonctionnement et création d’un fond de carte
10Le SIG est un logiciel qui permet de créer des fonds de carte de différents types, et de réaliser un certain nombre de traitements statistiques et graphiques sur les « objets » géographiques, grâce à l’existence d’une « base de données renseignant les objets représentés sur les cartes9 ». Grâce au SIG, le territoire peut être visualisé à plusieurs échelles : de façon très intuitive, le fait de pouvoir passer d’une grande à une petite échelle sur le fond de carte de façon très simple, permet d’observer, par exemple, la région dans son ensemble, mais également la répartition des tombes d’un site donné.
Fig. 2 : Capture d’écran : fonds de carte QGIS, de l’échelle régionale à l’échelle intra-site © Ségolène Maudet (voir l’image au format original)
11L’un de ses grands atouts pour l’historien est également la possibilité de relier les entités spatiales à une base de données. L’édition de cartes d’une grande qualité graphique est également facilitée, avec la possibilité de retravailler le résultat sur des logiciels de dessin vectoriel.
12Le SIG permet d’étudier de manière conjointe des images, des plans, mais aussi de dessiner des formes à partir de ces images et de superposer un grand nombre de « couches » d’informations différentes10. Sur le même fond de carte, on peut avoir le tracé d’un fleuve et de routes, mais aussi un plan ancien avec la physionomie des villes, et également dessiner librement des formes, comme le périmètre supposé d’un territoire urbain. Le fond de carte du SIG, ainsi que tous les tracés, sont localisés précisément dans l’espace : chaque point possède des coordonnées uniques. Cela permet par exemple de calculer des distances précises entre deux sites ou la surface d’une zone de nécropole. L’étude des données archéologiques gagne ainsi en précision, permettant de réaliser un grand nombre de mesures et de calculs fiables. Les données déjà localisées qui sont disponibles concernent cependant avant tout les territoires contemporains.
13Pour travailler sur la Campanie archaïque, il faut se livrer à un travail de reconstitution de la géographie de cette époque, notamment à partir de plans de fouilles ou de documents postérieurs, romains notamment. L’outil fondamental ici est le géoréférencement11. Il s’agit de donner des coordonnées précises au plan ou à l’image, ce qui permet de le placer sur le fond de carte. On indique des points de repère sur l’image, auxquels on peut attribuer des coordonnées géographiques. Il est également possible de faire correspondre ces points à des repères sur le fond de carte. Pour « caler » un plan de fouilles, on peut repérer l’emplacement d’une voie ferrée ou d’un croisement de routes. Ces éléments sont déjà présents sur le fond de carte, car il s’agit de données contemporaines. On peut alors indiquer des points de repères à la fois sur l’image et sur le fond de carte, et ainsi superposer l’image sur le fond de carte.
14Pour illustrer la mise en œuvre de ce procédé, la construction d’une couche vectorielle, « tombes_pon1 », qui contient un échantillon des tombes de l’âge du Fer de Pontecagnano, va être détaillée12.
15Pour obtenir des données localisées sur lesquelles référencer les coordonnées des plans, une source d’informations indispensable est constituée par le site italien de la Campanie, qui fournit sur un portail géographique divers tracés géolocalisés pour la région : routes, voies ferrées, fleuves, ligne de côte, etc.13. Chaque site est ensuite localisé de façon précise, en important des images et des plans sur le fond de carte.
Fig. 3 : Le géoréférencement des plans de fouilles, sur un fond de carte composé de données vectorielles fournies par la région (tracé du chemin de fer en vert, fleuves en bleu, routes en violet) © Ségolène Maudet (voir l’image au format original)
De proche en proche, on en arrive ainsi à pouvoir localiser sur le SIG les zones de fouilles. Dans le cas de fouilles préventives en milieu urbain, comme à Pontecagnano, la forme et l’emplacement de la zone correspond le plus souvent au bâtiment construit après ces fouilles, et donc visible par exemple sur GoogleMaps14.
16Il est ensuite possible de dessiner les polygones des tombes, en suivant le plan de fouilles géoréférencé et en attribuant à chaque polygone un identifiant unique « id », qui correspond au numéro de la tombe tel qu’indiqué dans la publication15.
Fig. 4 : Le dessin vectoriel des tombes sous forme de polygones © Ségolène Maudet (voir l’image au format original)
On obtient ainsi un fond de carte avec le dessin des tombes de quelques secteurs de la nécropole occidentale de Pontecagnano : cette couche vectorielle est nommée « tombes_pon1 ». Pour exploiter ce fond de carte, il faut ensuite l’associer avec une base de données.
La construction d’une base de données reliée au SIG
17La base de données a été constituée, pour chaque site, à partir des publications de fouilles16. Le catalogue du mobilier funéraire a permis d’effectuer une première phase de saisie en trois tables liées :
Fig. 5 : Schéma des tables de la base de données © Ségolène Maudet (voir l’image au format original)
Cette phase de saisie consiste à conserver les catégories du catalogue (matériau de l’objet, dimensions, couleur de l’argile, etc.), en les ordonnant dans un tableau. Après la première phase de saisie est venue une phase de codage, pour construire des variables plus pertinentes pour l’analyse, comme le nombre d’importations par tombes ou le nombre moyen d’objets en matériau rare et précieux17. Les publications de fouilles n’étant pas conçues pour répondre à des questionnements sur les échanges, il a fallu créer des indicateurs synthétiques, en faisant des allers-retours entre les données, le matériel, les conditions de fouilles et l’expérimentation de variables nouvelles à partir de diverses statistiques descriptives appliquées aux données saisies18.
18Le logiciel de tableurs Excel ne permet pas d’effectuer des calculs statistiques élaborés et surtout il n’est pas compatible avec le SIG. On a donc choisi de déplacer les données dans un logiciel de bases de données plus complexe, un Système de Gestion de Bases de Données Relationnelles et Objets (SGBDRO), ici PostgreSQL. Ce logiciel est capable de gérer différentes tables, reliées entre elles par des colonnes communes. On peut ainsi effectuer des requêtes sur plusieurs tables à la fois, par exemple ici : « Quelles sont les tombes de la période X qui contiennent des vases grecs ? ». Cette requête ira chercher des informations dans la table des tombes (datation) et dans la table des objets (vases grecs).
19L’importation de ces tableurs Excel dans PostgreSQL, système de gestion de bases de données relationnelles et objets, se fait de façon simple, après avoir converti les tableurs au format csv.
Fig. 6 : L’interface de PostgreSQl et la table « pon1 » des tombes © Ségolène Maudet (voir l’image au format original)
On a donc, à l’issue de ces procédures, une base de données PostgreSQl avec notamment une table « pon1 » qui contient un certain nombre d’informations sur les tombes, et une couche vectorielle dans QGIS, « tombes_pon1 » avec le dessin de ces tombes. L’utilisation conjointe de ces deux outils pour étudier les échanges, à l’échelle intra-site puis régionale, permet d’enrichir la réflexion historique, ce que l’on va maintenant présenter.
Jeux d’échelles : la dimension spatiale des échanges, de la tombe au réseau régional
La typologie des objets importés dans le mobilier funéraire à l’échelle intra-site
20L’étude des échanges, pour dépasser la simple addition de fragments, nécessite de travailler à l’échelle des contextes archéologiques dont sont issus les objets importés. L’échantillon considéré reste le même, à savoir les zones de Stanzione, Bisogno et Bovi de la nécropole occidentale de Pontecagnano19. La lecture de la bibliographie, comme l’étude attentive du matériel funéraire, ont permis de formuler quelques hypothèses sur une possible typologie des tombes par rapport à ces importations.
21Il s’agit de définir plus précisément de quels phénomènes les objets importés sont la trace. La présence, dans une tombe, d’un vase provenant d’Étrurie méridionale, par exemple, peut renvoyer à plusieurs types de circulation. L’objet peut avoir appartenu au défunt d’origine étrusque : il s’agit donc de l’immigration d’un individu originaire des territoires étrusques. Il peut également être un cadeau, lié à des pratiques de don/contre-don, entre membres d’élites. Il peut enfin être lié à des échanges commerciaux qui concernent des volumes et une gamme de biens plus importants : importation d’amphores de vin de Grèce, avec lesquelles arrive en Campanie un ensemble d’objets de pacotille, comme des vases à boire par exemple20.
22Une piste pour étudier cette typologie est d’analyser la distribution des objets importés dans les tombes. De façon schématique, on pourrait ainsi associer la présence de plusieurs objets provenant du même lieu, mais dans une tombe unique, à une mobilité individuelle. Une distribution espacée et large, c’est-à-dire que plusieurs tombes, dans des zones distantes de la nécropole, contiennent des objets importés, peut être rapprochée d’échanges commerciaux. La présence exclusive d’objets importés dans certaines tombes, liées au même groupe familial, et associée à d’autres marqueurs de distinction, pourrait se rapprocher de mécanismes de dons entre élites.
23L’outil adapté à ce type de questionnements est le constructeur de requête SQL disponible dans QGIS21. Il faut connecter le fond de carte « tombes_pon1 » avec la table de données « pon1 » précédemment définies22. Le résultat de cette connexion sera un fond de carte dans lequel chaque dessin de tombe sera relié à un certain nombre d’informations, issues de la table de données : sa datation, l’âge du défunt, etc. Il est alors possible d’interroger la table de données sur ces informations, ce qui sélectionne certaines tombes, qui apparaissent d’une couleur distinctive sur le fond de carte.
Fig. 7 : La couche vectorielle pon3 et sa table attributaire © Ségolène Maudet (voir l’image au format original)
24On peut effectuer une requête SQL et sélectionner, par exemple, les tombes qui possèdent des importations orientales ainsi qu’un nombre d’ornements supérieur à la moyenne :
Fig. 8 : Construction de requête et affichage des tombes sélectionnées dans QGIS © Ségolène Maudet (voir l’image au format original)
En multipliant les requêtes de ce type, on peut affiner la compréhension de la distribution des types d’objets dans la nécropole, en lien avec d’autres indicateurs, et enrichir l’analyse des importations. Le SIG permet ainsi d’étudier à micro-échelle la distribution des objets importés. Le même fond de carte peut également servir à réfléchir à l’organisation spatiale de ces circulations d’objets, à l’échelle de la région campanienne.
L’organisation des échanges dans le territoire campanien
25Les cartes de distribution, souvent utilisées pour visualiser les importations d’un bien à l’échelle régionale, présentent ces distributions dans un espace lissé et uniforme, sans prise en compte des reliefs, des vallées fluviales. L’un des objectifs de cette thèse est de redonner au territoire toute son épaisseur et sa complexité, en étudiant l’organisation de l’espace campanien et sa structuration autour de quelques grands sites et autour des axes fluviaux. Cet aspect du SIG est encore en cours d’élaboration : nous présentons ici plusieurs pistes de travail.
26L’outil du SIG permet tout d’abord de cartographier le territoire, grâce aux couches vectorielles des fleuves, du relief et de la ligne de côte. On peut ainsi intégrer à l’analyse les apports majeurs des recherches en géomorphologie sur l’aspect ancien des territoires23. Il est ainsi possible de présenter une carte du territoire « reconstitué » en replaçant, en lien avec les restes archéologiques, une zone dunaire ou une ligne de côte. Un site aujourd’hui dans les terres peut apparaître idéalement situé en bord de lagune, avec un accès aisé et abrité depuis le littoral, ce qui contribue à expliquer son insertion dans des échanges maritimes lointains. Là encore, le SIG n’invente rien, mais il permet de visualiser de façon efficace sur une carte les résultats de différentes études souvent dispersées.
27Le SIG propose également plusieurs outils d’analyse spatiale qui peuvent servir à modéliser l’organisation de la région et à établir une éventuelle hiérarchie entre les sites, en fonction de leur taille et de leur emplacement sur des axes de circulation. Francesca Fulminante a récemment employé un SIG muni d’outils d’analyse de réseau pour étudier l’émergence des centres urbains en Étrurie, au nord de Rome24. Les paramètres utilisés sont la taille des sites, leur situation par rapport aux réseaux de routes et de voies fluviales, leur distance les uns par rapport aux autres25. À partir de ces données, on peut appliquer certains indices de centralité, afin d’étudier de façon dynamique la mise en place de ces grands centres étrusques. Les analyses spatiales traditionnelles, comme la théorie des places centrales ou la loi rang/taille, donnaient en effet une vue statique de ces phénomènes et mesuraient l’importance d’un site à l’échelle locale26. On peut ainsi mieux comprendre comment l’espace structure les voies d’échange, ou l’inverse : un site qui semble peu important, du fait de sa taille par exemple, peut révéler une insertion très forte dans les échanges, une fois le mobilier funéraire de ses nécropoles examiné. C’est ici la table « sites » de la base de données qui sera mobilisée pour étudier la répartition spatiale de certaines variables, comme la présence de certains objets importés.
28Le SIG permet enfin de calculer un certain nombre de distances en tenant compte des voies de circulation. La reconstitution de celles-ci demande cependant une certaine prudence, car il faut combiner plusieurs sources, souvent postérieures27. L’étude des reliefs, qui évoluent moins rapidement que les littoraux, peut indiquer certains itinéraires de piémont. Les itinéraires romains reprennent souvent des axes très anciens. Les itinéraires marins permettent parfois de connaître, à l’époque romaine, les ports les plus accessibles, en ayant le point de vue du navigateur. Le lit ancien de certains fleuves peut également être reconstitué dans certains cas, ainsi que la navigabilité de certains cours d’eau ou la localisation des lieux où ceux-ci se franchissent facilement. L’importance des vallées fluviales navigables dans la diffusion de certains biens pourrait ainsi être précisée. Tous ces différents éléments, à considérer avec précaution, aident, une fois intégrés sous forme d’hypothèses au SIG, à mieux comprendre l’implantation des sites par rapport à ces différentes voies de circulation, et à fournir des éléments pour analyser la répartition de certains types d’objets importés.
29Le SIG permet ainsi de visualiser différentes hypothèses d’organisation spatiale des échanges et représente ainsi un outil exploratoire fondamental dans les réflexions sur ces voies de commerce disparues28.
Conclusion
30L’utilisation du SIG oblige à un usage réfléchi et rigoureux des données : à chaque étape, du géoréférencement au codage, il faut sans cesse revenir à une étude approfondie et qualitative des publications et du matériel pour rester au plus près de la réalité archéologique. Associé à une base de données et à des instruments statistiques, le SIG oblige le chercheur à contextualiser les données étudiées et à s’interroger sur les échelles géographiques d’analyse des phénomènes. Il permet de concilier une étude de type micro-histoire, basée sur une étude détaillée des contextes funéraires et de leur topographie, à une réflexion plus synthétique sur les échanges et leurs parcours concrets. Les importations peuvent ainsi être étudiées spatialement avec des échelles d’analyse variées.
31Le SIG est ainsi au cœur même de la démarche d’analyse entreprise ici : étudier les échanges dans leur dimension territoriale concrète, en s’interrogeant sur les routes, le rôle des groupes sociaux dans les sites, enfin leur instrumentalisation dans les stratégies de représentation de soi dans l’espace funéraire.
Documents annexes
- Fig. 1 : La Campanie archaïque entre les VIIIe et VIe siècles
- Fig. 2 : Capture d’écran : fonds de carte QGIS, de l’échelle régionale à l’échelle intra-site
- Fig. 3 : Le géoréférencement des plans de fouilles, sur un fond de carte composé de données vectorielles fournies par la région (tracé du chemin de fer en vert, fleuves en bleu, routes en violet)
- Fig. 4 : Le dessin vectoriel des tombes sous forme de polygones
- Fig. 5 : Schéma des tables de la base de données
- Fig. 6 : L’interface de PostgreSQl et la table « pon1 » des tombes
- Fig. 7 : La couche vectorielle pon3 et sa table attributaire
- Fig. 8 : Construction de requête et affichage des tombes sélectionnées dans QGIS
Notes
1 Désormais abrégé SIG.
2 Ce SIG a été entrepris pour un travail de thèse, en cours d’achèvement, sur les échanges dans la Campanie archaïque. On entend ici « archaïque » au sens large, pour désigner la période qui s’étend du viiie au vie siècles av. J.-C., en suivant Michel Gras dans Michel Gras, La Méditerranée archaïque, Paris, Armand Colin, 1995. On parle également de premier âge du Fer.
3 À l’époque archaïque, il est difficile de qualifier ces phénomènes : s’agit-il ou non de commerce ? Voir sur ce point les recherches de Michel Gras, par exemple : Michel Gras, « Commercio o traffici, elementi per un dibattito », Gli Etruschi e il Mediterraneo, commerci e politica, Orvieto, 2006, p. 433-438.
4 Georges Vallet, Rhégion et Zancle : histoire, commerce et civilisation des cités chalcidiennes du détroit de Messine, Paris, E. de Boccard, 1958, notamment p. 140-151 et François Villard, La céramique grecque de Marseille, vie-ive siècle : essai d’histoire économique, Paris, E. de Boccard, 1960, par exemple p. 32-35.
5 Les travaux de Michel Gras prolongent en un sens ces tentatives en accordant une place centrale à l’analyse des contextes archéologiques et à l’identification de types distincts d’échanges en fonction des régions, des périodes et des biens concernés. Voir Michel Gras, Traffics tyrrhéniens, École Française de Rome, Rome, 1987. Voir également : Jean-Christophe Sourisseau, « La diffusion des vins grecs d’Occident du viiie au ive siècles av. J-C., sources écrites et documents archéologiques », dans La vigna di Dionisio: vite, vino e culti in Magna Grecia: atti del quarantanovesimo convegno di studi sulla Magna Grecia, Taranto, 24-28 settembre 2009, Tarente, 2011, p. 145-252.
6 Le contexte funéraire permet d’étudier certains aspects de cette utilisation des objets importés, qui contribuent à la construction d’une certaine image du défunt. Il faut cependant rester extrêmement prudent dans la transposition de ces aspects au monde des vivants. Voir les travaux pionniers de Bruno D’Agostino, « Società dei vivi, comunità dei morti: un rapporto difficile », Dialoghi di Archeologia, 1985, p. 47-58, ainsi que la synthèse : Bruno D’Agostino et Alain Schnapp, « Les morts entre l’objet et l’image », dans Jean-Pierre Vernant et Gherardo Gnoli (éds.), La mort, les morts dans les sociétés anciennes, Paris-Cambridge, 1982, p. 17-25.
7 Le matériel céramique a été privilégié pour étudier les importations, même si les autres classes de matériel ont été considérées. La bibliographie abondante sur la céramique grecque ou phénicienne permet en effet d’avoir une idée assez précise de la provenance des vases. Voir les synthèses récentes, avec la bibliographie précédente, dans le catalogue des fouilles de Cumes : Mariassunta Cuozzo, Bruno D'Agostino et Laura Del Verme (éds.), Cuma. Le fortificazioni 2. I materiali dai terrapieni arcaici, Naples, 2006, p. 17-130 et dans Mariassunta Cuozzo, Reinventando la tradizione: immaginario sociale, ideologie e rappresentazione nelle necropoli orientalizzanti di Pontecagnano, Paestum, 2003, p. 51-58.
8 Voir l’article d’Ettore Lepore, « Fiumi e città nella colonizzazione greca in occidente, con speciale riguardo alla Magna Grecia » dans Thème de recherche sur les villes antiques d’Occident, Paris, 1977, p. 267-272.
9 Cette définition reprend en grande partie les éléments présents dans le chapitre 7 du manuel de François Djindjian, « La gestion de l’information cartographique » dans François Djindjian, Manuel d’archéologie, Paris, A. Colin, 2011, p. 90-95. Le logiciel de SIG utilisé est QGIS, version 2.8. Il est libre, gratuit, et permet surtout d’interagir avec une base de données PostgreSQl grâce à l’extension PostGIS. Voir la présentation et la documentation sur le site : http://www.qgis.org/fr/site/ (consulté le 1er juillet 2015). On peut étudier trois formes d’ « objets » vectoriels : ligne, point, polygone.
10 On parle de couches vectorielles pour les tracés (point, ligne, polygone). Le mode vectoriel représente un point par un vecteur, ce qui permet notamment de conserver la qualité du tracé en cas de modification de la taille du dessin. C’est le mode utilisé par les logiciels de dessin assisté par ordinateur (D.A.O) couramment employés en archéologie, comme Illustrator ou Inkscape. Le mode raster représente un point par un pixel : un raster est par exemple une image jpeg. François Djindjian, Manuel…, (op. cit. n.9), p. 91-92.
11 Le géoréférencement consiste à attribuer à une image raster des coordonnées géographiques. Voir le manuel du logiciel QGIS 2.8, https://docs.qgis.org/2.8/fr/docs/user_manual/plugins/plugins_georeferencer.html (page consultée le 30/06/15). On présente dans la suite de l’article un exemple concret de cette procédure.
12 Cet échantillon correspond aux tombes de la nécropole occidentale publiées dans : Bruno D’Agostino et Patrizia Gastaldi (éds.), Pontecagnano. II. La necropoli del Picentino: 1. Le tombe della prima Eta del Ferro, Naples, Istituto Universitario Orientale, 1988, p. 121-230.
13 Disponibles sur le site : http://sit.regione.campania.it/portal (consulté le 1er juillet 2015).
14 Il suffit de rechercher « Pontecagnano » sur https://www.google.fr/maps/, puis de localiser la zone précise dans la ville.
15 On peut voir sur la Fig. 5 l’image Googlemaps sur laquelle a été calée la photo d’un plan de la zone Stanzione de Pontecagnano, sur lequel figuraient les tombes de cette zone, à l’échelle 1 :100 cm. Bruno d’Agostino et Patrizia Gastaldi (éds.), Pontecagnano… (op.cit. n.12), vol.3, tav.5.
16 Le tableur Excel a été utilisé pour la phase de saisie puis de codage, avant de transférer les données dans le système de gestion de bases de données relationnelles et objets (SGBDRO) PostgreSQL, utilisé avec l’interface Pg Admin III. Ce choix a été motivé par l’existence du module PostGIS, qui permet de connecter directement la base de données PostgreSQL au logiciel de SIG QGIS. Une excellente introduction à l’utilisation de logiciels de base de données, de statistiques et de cartographie est fournie dans Martine Cocaud et Jacques Cellier, Le traitement des données en histoire et sciences sociales: méthodes et outils, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2012.
17 Voir le manuel de Claire Lemercier et Claire Zalc, Méthodes quantitatives pour l’historien, Paris, La Découverte, 2007, en particulier p. 34-47.
18 On a utilisé pour cela le logiciel R, dans lequel il est possible d’importer des tables Excel. Ce logiciel, libre et gratuit, est extrêmement puissant et modulable, et dispose désormais d’une interface très pratique pour les débutants. Voir la présentation dans Martine Cocaud et Jacques Cellier (op.cit. n.16) p. 105-344 et les tutoriels très accessibles de Pierre Mercklé sur le site http://quanti.hypotheses.org/ (consulté le 30 juin 2015).
19 Publiés dans le volume : Bruno d’Agostino et Patrizia Gastaldi (éds.), Pontecagnano… (op.cit. n.12).
20 Cette analyse est notamment défendue par : David W. J. Gill et Michael Vickers, « Pots and kettles », Revue Archéologique, 1989, n° 2, p. 297-303. Cette typologie simplifiée s’inspire de celle de Anna Maria Bietti Sestieri, « Rapporti e scambi fra le genti indigene tra l’età del Bronzo e la Primà Età del Ferro nelle zone di colonizzazione », dans Giovanni Pugliese-Caratelli (éd.), Magna Grecia. [1], Il Mediterraneo, le metropoleis e la fondazione delle colonie, Milan, Electa, 1985, p. 85-126, indiquée et discutée dans Pascal Ruby, Le crépuscule des marges : le premier âge du fer à Sala Consilina, Rome, École française de Rome, 1995, p. 188 et suiv.
21 Il s’agit d’un langage informatique de requête, utilisé notamment par les logiciels de bases de données MySQl et PostgreSQL.
22 Le logiciel PostgreSQL dispose d’une extension, PostGIS, qui lui permet d’intégrer des données spatialisées. On peut importer la couche vectorielle « tombes_pon1 » dans PostgreSQL grâce au gestionnaire de base de données dans QGIS. Cette couche vectorielle devient une table PostgreSQL, « pon2 » avec des attributs géométriques (les coordonnées de chaque polygone), un identifiant unique (gid) lié aux identifiants définis auparavant (les numéros de tombes). Dans PostgreSQL, on peut ensuite fusionner la table « pon1 » et la table « pon2 », en indiquant que la colonne « id » de « pon1 » (le numéro de tombe) est identique à la colonne « id » de « pon2 ». On obtient ainsi une nouvelle table, « pon3 », qui possède toutes les variables définies au préalable (âge, genre, datation, nombre d’importations…) mais également des variables géométriques (polygones). On peut ensuite ouvrir cette couche dans QGIS. Chaque polygone-tombe a alors un certain nombre d’attributs, consultables dans la table d’attributs.
23 Voir notamment les recherches menées sur le site de Cumes : Christophe Morhange et Lise Stefaniuk, « Cuma. Evoluzione dei paesaggi litorali nella depressione sud-ouest di Cuma da 4000 anni. Il problema del porto antico », dans Cuma: atti del quarantottesimo Convegno di studi sulla Magna Grecia, Taranto 27 settembre - 1 ottobre 2008, Tarente, 2009, p. 305-322.
24 Francesca Fulminante, The urbanisation of Rome and Latium Vetus: from the Bronze Age to the Archaic Era, Cambridge University Press, New-York, 2014, p. 216-243.
25 L’application concrète de ces théories liées à l’analyse de réseau repose cependant sur des bases archéologiques parfois fragiles, ce qui pose question. La taille des sites est relativement aisée à déterminer dans le cas des sites étrusques, souvent situés sur des plateaux. Mais même dans ce cas, il est nécessaire de bien connaître l’organisation de l’habitat, et notamment son aspect dispersé ou centralisé, ce qui est précisément difficile dans ces phases de transition. La situation est encore plus complexe en Campanie, où les habitats sont très peu connus et où les sites sont souvent en plaine. L’utilisation des voies de circulation dans les calculs nécessite d’abord d’avoir reproduit l’aspect et le trajet de celles-ci à l’époque antique, ce qui n’est pas toujours évident.
26 Voir Denise Pumain, Thérèse Saint-Julien, L’analyse spatiale : localisations dans l’espace, Armand Colin, Paris, 2004, p. 91-127.
27 Voir par exemple Emeline Le Goff, Laure Laüt, Yoann Rabaste et Françoise Dumasy, « From the Excavation to the Territory: Contributions of GIS Tools to the Study of the Spatial Organization of the Archaeological Site of Argentomagus (France, Indre, Saint-Marcel/Argenton-sur-Creuse) » dans Laurent Costa, François Djindjian, François Giligny, Sandrine Robert (éds.), CAA2014: 21st Century Archaeology: Concepts, methods and tools. Proceedings of the 42nd Annual Conference on Computer Applications and Quantitative Methods in Archaeology, Oxbow Books, Oxford, 2015, p. 443-450.
28 Expression empruntée à Alain Schnapp, « Les voies du commerce grec en Occident » dans La colonisation grecque en Méditerranée occidentale : actes de la rencontre scientifique en hommage à Georges Vallet : Rome-Naples, 15-18 novembre 1995, Rome, 1999, p. 63-69.