Les compilations d’archives, instruments du pouvoir ? L’exemple de l’échevinage de Reims au xve siècle.

Par Emmanuel Melin
Publication en ligne le 17 avril 2017

Résumé

At the end of the Middle Ages, the compilation of the archives of Reims forms a specific documentation, both administrative and memorial. The compilation is written in times of conflict. Magistrates implement it to defend the Echevinage against the archbishop, jealous to lose some legal power. Jean Foulquart, clerk and prosecutor, produces most of the miscellanies from the period 1475-1493. A charter collection is created for the Echevinage. Its creation stimulates the writing of several inventories and thus, new administrative practices appear. Cartularies, as books of memories, are gathered in a corpus of libri iurium, which reveals the link between the Echevinage and the city. During twenty years, the Echevinage crafts tools for its management and memory. These tools are also attributes of power, helping to manage the honor and expressing the honor to manage.

Les compilations d’archives rémoises appartiennent à une documentation administrative et/ou mémorielle qui se développe de plus en plus à la fin du Moyen Âge. Réalisées dans des contextes conflictuels, elles sont un instrument fabriqué par des magistrats recherchant la défense juridique de l’institution face à un archevêque jaloux d’un pouvoir qui lui échappe en partie. De nombreux recueils sont produits entre 1475 et 1493, principalement par le clerc et procureur Jean Foulquart. La création d’un chartrier en terre ecclésiale est à l’origine de la rédaction de plusieurs inventaires, introduisant de nouvelles pratiques archivistiques. Des cartulaires, soignés ou pensés comme ouvrage de mémoire, forment un corpus de libri iurium exprimant le lien entre l’institution et la ville. En vingt ans, l’échevinage s’est doté d’instruments de gestion et de mémoire, qui sont autant d’attributs du pouvoir, aidant à gérer l’honneur tout en exprimant l’honneur de gérer.

Mots-Clés

Texte intégral

1Au sens juridique du terme, l’instrumentum est un document agissant en vertu d’une autorité reconnue comme publique. Il permet donc de faire valoir un droit et exprime l’autorité qui l’applique1. L’instrument du pouvoir est ainsi lié à l’écrit, il exprime une capacité d’action sur le social, une compétence juridique.

2Les archives et les compilations d’archives appartiennent à une documentation administrative au carrefour du mémoriel et du pratique, qui se développe particulièrement à la fin du Moyen Âge, à la faveur de la redécouverte du droit écrit et du développement des administrations. Depuis vingt ans, elle suscite chez les historiens un intérêt croissant2. Parmi les comptes, les conclusions, les enquêtes ou les listes de tous ordres3, les compilations d’archives sont un cas singulier d’écriture institutionnelle : fondées sur un trésor documentaire, elles sont destinées à un usage presqu’exclusivement interne4. L’écriture de compilations d’archives participe de la profusion de l’écrit5. Elle donne à lire une histoire du pouvoir dans son versant scriptural6.

3À la fin du xve siècle, Reims est dirigée par un archevêque, qui a cédé aux échevins, juges des bourgeois, des compétences croissantes depuis le xiie siècle7. L’échevinage est donc une vieille institution qui accumule des archives depuis des siècles, à la faveur notamment des conflits juridiques contre le seigneur. Les douze échevins, plus que des officiers assermentés du seigneur, sont devenus des acteurs à part entière de la vie urbaine. Au xive siècle, le conseil de ville vient doubler les institutions municipales et assume la défense et la sécurité de Reims. Progressivement, il devient l’institution représentative de la cité et dialogue avec le prince.

4L’écrit tient une place précoce et grandissante dans le fonctionnement de l’échevinage8. Des registres de conclusions, de comptes et de plaids en justice sont rédigés et conservés. Les magistrats nouvellement élus prêtent serment sur un « livre rouge » borné par les évangiles, contenant notamment le plus vieux cahier de sentences de l’échevinage, les plus anciennes conclusions et certaines ordonnances prises au conseil des échevins, le buffet9. Depuis 1438, les échevins possèdent un Livre blanc des privilèges judiciaires des bourgeois, enchaîné au buffet de l’échevinage10. Écrire, c’est aussi exercer et institutionnaliser le pouvoir11.

5À partir des années 1470, une autre étape débute. L’échevinage procède à un tournant archivistique, dans la culture de conservation et dans la production de compilations, résultant d’une culture notariale diffuse parmi les élus. Il ne reste aujourd’hui que quatre recueils de cette époque12. Si les grandes lignes de la création d’un « théâtre du pouvoir » ont été tracées, les sources administratives et historiographiques donnent à voir un phénomène archivistique de plus grande ampleur13. De 1475 à 1493, plusieurs cartulaires et inventaires sont produits en parallèle d’un déménagement massif des archives.

6Cet épisode crucial de la vie institutionnelle fait des compilations d’archives des instruments de pouvoir qui n’ont pas encore été étudiés14. Quel sens faut-il attribuer à cette profusion d’écritures ? Que peut le pouvoir grâce à ces instruments ? De quel genre de pouvoir les livres d'archives sont-ils l'instrument ? Liés au déménagement en urgence des archives, les recueils sont réalisés dans un contexte conflictuel à retracer. Ils se déclinent en deux types : des instruments de recherche et de consultation, et des livres prestigieux dans le but de doter l’institution d’une mémoire honorable.

La fabrication d'un trésor

Les archives en péril

7La fabrication d’un trésor archivistique est liée à une crise politique majeure qui va amener les échevins à protéger leurs archives. Au xve siècle, les archives de l’échevinage sont gardées dans une cave ou cellier, qui avait été remis en état en 1429 pour la venue du roi. Un demi-siècle plus tard, une série de mesures pallie l’insécurité de ce vieux dépôt. En février 1475, peu après le renouvellement des échevins, il est ordonné que le cellier soit clos15. Mais après l’été, le projet change de nature.

8Le contexte est celui d’un conflit politique majeur avec l’archevêque16. Depuis 1473, Louis XI a dépêché un commissaire, Raulin Cochinart, pour organiser la défense de la cité, menacée par les Bourguignons puis les Anglais. Il fait fortifier la cité avec l’aide des échevins et conseillers, prélevant notamment des pierres sur le château seigneurial. À l’été 1475, la pression militaire retombe à la faveur de la paix signée en août. Cochinart a quitté la ville et les échevins se retrouvent sans protecteur face à l’archevêque de retour et qui, mécontent, a déjà été se plaindre auprès du roi, bien décidé à se venger du capitaine et de ses soutiens locaux, ainsi qu’à laver l’offense17. Ainsi, au début du mois de septembre, les échevins s’empressent de liquider les affaires pendantes en justice, convoquent l’ensemble des magistrats de la cité puis partent à la recherche d’un dépôt immun18. Le 12 septembre, les échevins font visiter le couvent de Saint-Pierre-Le-Vieil, en quête d’un lieu propre et sur pour mettre les chartres de Reims et que si le lieu y est convenable on y fera faire le nécessaire19. Trois jours plus tard, les modalités de réalisation du chartrier sont exposées au buffet20.

9Choisir Saint-Pierre-Le-Vieil, une terre ecclésiale, n’est pas anodin : la paroisse fournit de nombreux échevins. L’urgence est grande : les échevins veulent réaliser le chartrier le plus tost que l’en pourra, et en toute diligence21. Cet empressement est révélateur d’un climat politique sous pression. En 1488 encore, avant de transférer le reste des archives, cette fois-ci à l’abbaye Saint-Denis, les échevins s’enquièrent de savoir si l’abbaye est immune de monseigneur22. Les échevins cherchent bien à mettre leurs archives à l’abri des saisies épiscopales qu’ils redoutent23.

10Outre l’enjeu de sécurité, le nouveau dépôt doit être pratique. D’abord, les échevins cherchent un lieu « propre », c’est-à-dire sec et hors de portée des rongeurs. Le nouveau dépôt doit également être protégé des incendies, autre péril pour les documents24. Ce projet doit enfin être lié à une nouvelle politique de conservation, entamée en 1473, au service d’un gouvernement urbain qui se veut plus rationnel et plus expert25. Le nouveau lieu recherché, enfin, doit être « convenable » : est-ce à dire honorable ou d’une dignité suffisante ? C’est possible, car cela correspondrait à la haute considération des documents transférés.

11Ces archives sont à vrai dire un arsenal juridique, fruit d'une lente sédimentation documentaire et juridique. Elles sont constituées de privilèges judiciaires, de jurisprudence et de règlements administratifs, d’actes de propriété ou de revenus, de la correspondance de la bonne ville26. Ces actes, provenant souvent de l’administration monarchique, ont une valeur constitutive. Lorsque les échevins parlent de « chartes », ils désignent en fait une grande diversité d’actes et pas forcément des chartes au sens diplomatique strict. Ils désignent surtout des documents qui garantissent tous les titres et les fondements juridiques de l’institution.

Le déménagement des archives

12Entre 1475 et 1477, à quatre reprises, les échevins ordonnent de faire l’inventaire des chartes et/ou de les ordonner, et d’installer un chartrier à Saint-Pierre-le-Vieil. Rapidement achevé, le chartrier est disponible courant 147627. Les premiers déménagements ont lieu dans la foulée. Les chartes de Saint-Ladre sont déménagées à l’automne 1477, celles du sacre au plus tard en 1478 et celles du greffe et de la chaussée vraisemblablement au printemps 147928. Cette première phase de transfert s’achève en 1480, quand les conflits entre l’archevêque et les bourgeois sont à leur paroxysme depuis un an déjà29. Le restant des archives est encore conservé au greffe, avec les clefs du chartrier.

13Une seconde phase d’inventaire et de transferts reprend en 1486, alors que les dernières tensions liées à l’« affaire Cochinart » s’estompent. Les archives les plus importantes, restées dans les armoires du greffe et l’hôtel de l’échevinage, sont inventoriées30. Le chartrier de Saint-Pierre-Le-Vieil étant arrivé à saturation en 1488, il est impossible d’y déménager les dernières layettes31. Les échevins demandent alors aux clercs de Saint-Denis, abbaye déjà très liée aux bourgeois de la cité, s’ils peuvent installer un second chartrier32. Un seul déménagement est réalisé, courant 1493, lorsque treize layettes sont déménagées, après l’écriture de plusieurs compilations33.

14Ainsi, alors que le dépôt de Saint-Pierre-Le-Vieil renferme les archives de Saint Ladre, du greffe, de la chaussée et du sacre, celui de Saint Denis accueille notamment les layettes des titres les plus précieux, qui ont fait l’objet d’un travail classificatoire plus approfondi, marquant leur valeur toute particulière34. L’emplacement de ces deux chartriers opère une véritable « sacralisation civique » des archives, dont le statut se trouve enrichi35. Les trésors côtoient le sacré : le chartrier de Saint-Pierre est installé entre deux voussures de la chapelle Notre-Dame, au fond de l’église36. À Saint-Denis, les chartes rejoignent l’église de l’abbaye37. Placées sous la protection de la Vierge ou à proximité de reliques, les chartes de l’échevinage sont à la fois sanctuarisées et sacralisées.

15Au terme de ce grand « remuement d’archives » l’échevinage est donc doté d’un chartrier multipolaire, placé aux limites du monde urbain (au propre comme au figuré)38. Conservées, dans des layettes de bois, les archives sont désormais en sécurité39. Car elles sont l’instrument vulnérable de la préservation du pouvoir, de sa juridiction et de ses privilèges, qu’il faut cacher et protéger.

Les inventaires d’archives, livres utilitaires

16Sanctuarisées, les archives sont encore moins accessibles. Pour en connaître le contenu sans avoir à consulter l’original et pour les retrouver au besoin, les inventaires constituent des outils inédits de savoir.

17Entre 1478 et 1487 a lieu une importante production d’inventaires, puisque neuf demandes d’inventaire des chartes sont recensées dans les conclusions de l’échevinage40. Deux inventaires d’archives sont encore conservés (fig. 1 et fig. 2). Réalisés selon une même méthode et par une même équipe, ils peuvent être considérés comme représentatifs des pratiques de la période. Le premier est écrit en 1478, composé de quarante-trois folii, écrit sur parchemin, sans ornementation particulière ; il est l’inventaire d’origine des archives de Saint Ladre, doublé par la suite41. Le second est un répertoire en papier datant de 1486, incomplet, comptant en l’état actuel deux cent douze pages, et réalisé en l’espace d’un mois42. Ces recueils ont été écrits par plusieurs échevins et Jean Foulquart, clerc et procureur de l’échevinage43.

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Fig. 1 : Le cartulaire de Saint-Ladre (1478) – AMR, FH D1*, fol. 1 © Emmanuel Melin (voir l’image au format original)

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Fig. 2 : Le répertoire de 1486 – AMR, FA R1, p. 34-35 © Emmanuel Melin (voir l’image au format original)

Résumer l’acte : l’art du regeste

18L’inventaire d’archives est un recueil qui permet de connaître le contenu d’un document sans avoir à s’y reporter. Face à la masse documentaire à traiter, les notaires et juristes rémois à l’œuvre généralisent les regestes, exploitant leur savoir-faire pour décrire le document et en extraire la mouelle et substance44. Le répertoire de 1486 est un bon exemple des pratiques notariales mises en œuvre.

19Le regeste rédigé par Foulquart et son équipe présente le plus souvent une structure tripartite (fig. 3). Il s’ouvre par une description mixte, à la fois diplomatique et codicologique. Les échevins indiquent la nature du document, avec un raffinement qui se note à la variété des termes employés45. La mention des sceaux et des lacs suit46. L’auteur et la date bouclent cette partie. Parfois, par souci jurisprudentiel et mémoriel, les parties ou la procédure d’obtention sont indiquées. La deuxième partie du regeste expose le privilège juridique ou la norme à retenir, en reprenant le dispositif de l’acte, c’est-à-dire l’effect juridique qu’il produit ; il est souvent copié mot à mot (fig. 4), ce qui permet d’avoir le texte original à disposition. Enfin, l’analyse se clôt par une mention archivistique, avec la précision d’une note dorsale.

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Fig. 3 : La structure d’un regeste du répertoire de 1486 – AMR, FA R1, p. 34-35 © Emmanuel Melin (voir l’image au format original)

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Fig. 4 : La copie fidèle du dispositif d’un acte © Emmanuel Melin (voir l’image au format original)

20Le passage de la description matérielle au contenu textuel est assuré par un travail de formulation très poussé. En effet, les expressions transitionnelles semblent correspondre à la méthode de copie du contenu de l’acte : par exemple, l’expression « par lequel est dit » (et tous ses dérivés) introduit presque systématiquement la copie linéaire du texte. D’autres expressions (« contenant », « concernant »), pour des actes plus longs ou moins utiles, sont plus évasives et annoncent un résumé du contenu.

21Le regeste donne ainsi une image mentale de l’acte tout en en transposant le contenu avec fidélité47. En mêlant analyse externe et interne, les échevins font preuve d’une « grande technicité juridico-diplomatique » pour décrire les actes les plus importants détenus par l’institution48. Cependant, tous les inventaires de l’époque ne renfermaient pas des regestes aussi approfondis49. L’art du regeste se fait donc pragmatique. Il révèle le tri opéré ainsi que la fonction à la fois substitutive et indicative de l’inventaire. L’instrument bivalent est le fruit d’un savoir-faire et d’une technique pour favoriser une optimisation de la gestion et du savoir.

Consulter le recueil et retrouver l’acte 

22L’inventaire a donné lieu à une nouvelle cotation des actes pour faciliter leur recherche dans le dépôt. Cette fonctionnalité est encore imparfaite dans les recueils. En effet, dans le cartulaire du sacre, celui de Saint-Ladre ou le répertoire des olims, le système navigue encore entre cote alphabétique et signum, l’alternance de plusieurs systèmes indiquant plus une démarche pragmatique qu’une quête d’uniformité50. Dans le cas particulier du répertoire de 1486, les pièces les plus importantes du chartrier scabinal ne font même pas l’objet d’une cotation mais d’une marginalia substantielle, à l’exception de cinq actes, cotés parce qu’ils constituent un dossier lié à un procès récapitulant les étapes de la procédure. Tous les autres actes sont considérés comme des titres uniques dont la valeur juridique est mise en évidence par une cotation/marginalia extrayant sa substance51. Cette pratique souligne de fait la valeur de ce corpus d’actes, cœur de la mémoire et de la jurisprudence scabinales52.

23Par contre, à l’intérieur de l’ouvrage, l’efficacité de lecture et de repérage de l’ouvrage est limitée. Aucun index ni aucune table n’est réalisé. Dans le cartulaire de Saint-Ladre ou celui des sacres, l’ordre du livre ne suit pas l’ordre matériel du dépôt et ne correspond pas aux layettes : les actes s’enchaînent et le contenant – certes coté et décrit – ne vient qu’après la liste des actes contenus. Le répertoire de 1486 n’a même aucune structure53. Si les tous premiers actes transcrits ont une valeur mémorielle (dans la tradition du cartulaire), la suite des actes reflète surtout le désordre du chartrier et il faut consulter les marges pour identifier un regeste par son sujet54. Les marginalia (mises en évidence par une écriture plus large et soignée) (fig. 5) aident à la recherche, mais sa fluidité et son efficacité restent toutefois relatives, puisqu’en deux étapes55.

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Fig. 5 : La pratique de la cotation dans le cartulaire de 1478 – AMR, FA, C703, L34, fol. 94v-95r © Emmanuel Melin (voir l’image au format original)

24Comme l’avait montré Peter Rück, tous ces inventaires sont donc plus des inventaires de droits que d’archives, même si la matérialité est ici nettement prise en compte56. Outils d’un savoir juridique nécessaire à la défense des droits institutionnels, les inventaires expriment l’expertise notariale de ses auteurs, qui réalisent un outil efficace. Preuve de la « relation complexe entre compilation [...] et classement du chartrier », le repérage interne au registre reste limité mais il remplit sa fonction de recherche dans l’espace du dépôt. L’instrument est fonctionnel, s’appuyant sur une description méthodique de la matérialité de l’acte, visant autant à dire l’authenticité de l’acte qu’à identifier le « texte-objet »57.

Les livres et cartulaires, une collection de libri iurium

25Outre la gestion archivistique, les échevins ont construit des instruments de mémoire, livres ou cartulaires. C’est à partir de 1486, alors que le climat politique est redevenu calme, que le travail d’inventaire est définitivement achevé et qu’une nouvelle série d’ouvrages est produite58. Ces ouvrages peuvent être soit des compilations totalement originales, soit la copie beaucoup plus soignée d’un inventaire préexistant. Par leur contenu ou le soin dont ils font l’objet, ces recueils ont un statut particulier59.

Un livre original : le « chartulaire » des sacres (1478)

26Le premier d’entre eux est le « chartulaire » des sacres, écrit en 147860. À cette date, l’échevinage est encore en procès pour régler des affaires en rapport avec le sacre de Louis XI et l’échevinage avait lancé le projet de disposer d’un ouvrage ayant trait à l’organisation du sacre depuis longtemps61. La dernière cérémonie (1461) avait également été marquée par des innovations royales par rapport aux anciennes cérémonies, sans compter que le sacre de Charles VII avait été bricolé faute de regalia et d’accès aux ordines dyonisiens62. Pour clarifier la situation, Foulquart écrit un « chartulaire » hybride : ni ordo strictement liturgique, ni inventaire d’archives, ni vraiment un « traité », il est en même temps tout cela à la fois63. Il doit avant tout servir de mode d’emploi, tel un manuel.

27Le cartulaire s’ouvre par un inventaire des archives du sacre. Les quarante-deux actes recensés portent presque tous sur la question cruciale du financement, et notamment le prélèvement, les avances et les résidus à récupérer ; peu d’actes traitent de l’organisation matérielle. Il s’agit donc de récapituler les devoirs financiers de chacun et d’éviter que quiconque ne s’y soustraie. Les actes de l’administration monarchique sont majoritaires. Les actes de la pratique (quittances, procurations, sentence) sont aussi nombreux. En majorité, les actes remontent à la période antérieure à 1328, lorsque les échevins obtiennent la responsabilité d’organiser le sacre. Le recueil est d’abord la mise au point de l’organisation du sacre, fondée sur des actes d’autorité, anciens et à valeur jurisprudentielle64.

28Après avoir listé les fondements juridiques du sacre, le propos devient celui d’un traité descriptif, plus narratif, de l’arrivée du roi jusqu’à son départ, en passant par le sacre et son banquet. Il décrit d’abord l’entrée royale ordonnée, image de la concorde urbaine, et précise le rôle de chaque acteur : les salutations, le port du dais, la présentation des requêtes de la ville. La préparation de la cathédrale est également abordée, des tribunes au sable sur le sol. L’entrée royale est suivie par la cérémonie, elle s’y articule. Tout y est : les acteurs, la scène, le scénario. Foulquart expose le dialogue entre le roi et la ville, au service de la liturgie royale65.

29Dans ce modèle du bon sacre, Foulquart insiste d’abord sur l’organisation du banquet, seule obligation féodale due par les échevins. Méthodiquement, les postes et charges d’alimentation et de matériaux sont listés66. La désignation des officiers suit une procédure unique et selon des critères précis. Les officiers doivent être des hommes notables et fortunés (pour pouvoir avancer les frais) 67. Commissionnés et encadrés, ils agissent en vertu de l’autorité de l’échevinage et doivent limiter les dépenses somptuaires. En rappelant l’autorité des échevins administrateurs, le cartulaire se fait traité de gouvernement du sacre.

30L’autre aspect important pour Foulquart c’est l’ordo du sacre. Dans son préambule, il signale la présence de ce texte prestigieux : le mistere et les coronnes dudict sacre68. Cet exemplaire de l’ordo est une version actualisée de la cérémonie, d’un intérêt limité pour les organisateurs du sacre, jusque-là dépourvus de ce texte69. Pourtant, dans un recueil administratif, ce texte liturgique (exaltant toute l’idéologie royale) donne à l’ouvrage un prestige certain70. Son insertion a donc une fonction mémorielle : l’échevinage se fait le gardien du rituel sacral et de sa mémoire. Il est d’ailleurs significatif que, du point de vue diplomatique, les quatre parties de l’ouvrage s’enchaînent sans discontinuer (archives-banquet-ordo-taille).

31Dans ce schéma, la liturgie sacrale est intégrée dans une préparation plus globale gérée par les échevins. Car un bon sacre est donc avant tout un sacre bien organisé et c’est le bon gouvernement qui fait le bon sacre. L’honneur du prince fait l’honneur de Reims71. Le cartulaire du sacre marque une étape dans l’institutionnalisation de l’administration du sacre par l’échevinage qui révèle autant la fierté des administrateurs que le souci d’avoir un instrument de préparation complet72.

Des versions de prestige : l’exemple du cartulaire de Saint-Ladre (1478)

32Les échevins et le clerc Foulquart ont aussi voulu produire de beaux ouvrages, à l’image du cartulaire de 1478. Si sa version primitive ressemble à un document utilitaire, la seconde version est beaucoup plus soignée. Tout d’abord, la mise en texte et la mise en page font l’objet d’un grand soin. (fig. 6) La réglure, réalisée à la mine de plomb, ménage de larges marges qui encadrent le texte. L’écriture est aussi travaillée : le module est droit et la taille des lettres est plus grosse que la moyenne des ouvrages administratifs de l’époque, rédigés également par Foulquart73. Le souci de lecture est pris en compte, mais le cartulaire doit être aussi un bel ouvrage à regarder.

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Fig. 6 : La copie du cartulaire de Saint-Ladre, objet d’un soin particulier – AMR FA, C703 L34, fol. 1 © Emmanuel Melin (voir l’image au format original)

33Ce souci esthétique se retrouve dans une série d’ornementations (fig. 7). Une trentaine de regestes, et quelques cotes, sont décorés par des lettrines, surtout des visages, de profil la plupart du temps74. Quelques figures animales, des chiens ou des animaux sauvages, sont également représentées. Ces figures signalent le plus souvent des actes anciens du premier xiiie siècle, ayant trait à des donations le plus souvent, soit des actes importants et fondateurs75. Ces décorations distinguent le recueil et manifestent un souci de produire une visualité significative de la fonction du recueil : le cartulaire donne à voir les privilèges de l’institution76. L’instrument de savoir est aussi une vitrine documentaire, ce qu’atteste le choix de considérer l’ouvrage comme un cartulaire et non comme un inventaire d’archives77. Ces choix formels traduisent une volonté de donner une valeur à l’ouvrage et de produire, plus qu’un inventaire, un véritable ouvrage de mémoire mettant en scène les archives78.

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Fig. 7 : Quelques lettrines et cotes ornées du cartulaire Saint-Ladre – AMR, FA C703 L34, fol. 1 © Emmanuel Melin (voir l’image au format original)

Une mémoire juridique et urbaine (1486-1493)

34La valorisation des archives se poursuit dans la dernière série d’ouvrages rédigés par Foulquart, entre 1486 et 1493. Une série de cinq ouvrages - tous perdus - est réalisée. En 1486, Foulquart écrit un répertoire et quartulaire des lettres de la ville79. En 1490, il produit un livre des arrêts. En 1493, enfin, ce livre et trois autres sont remis à l’échevinage, en parallèle de quatre layettes 80. Au total, les échevins possèdent désormais deux livres d’arrêts, un des privilèges et abolitions, un des ordonnances en plus du livre des lettres de la ville. Il faut par ailleurs noter que, dans les sources, il est bien question de livre, et non d’inventaire ou de répertoire (déjà réalisés précédemment). Cette terminologie les distingue des autres ouvrages et recueils (à l’image du Livre Blanc de 1429 ?)81.

35Ce sont donc désormais de grands ensembles documentaires qui vont dorénavant structurer le travail de mémoire82. Le cadre de classement est ici davantage axé sur une typologie à la fois juridique et diplomatique. Les ordonnances sont considérées comme de belles pièces. Les abolitions et privilèges nourrissent l’identité urbaine83. Les arrêts sanctionnent, souvent en faveur des échevins, édifient le périmètre juridictionnel de l’institution et sont autant de preuves des droits. Les lettres de la ville illustrent le lien avec le roi, notamment en temps de guerre, rappelant cette mémoire de la bonne ville loyale.

36Tous ces documents prestigieux sont des événements de l’histoire de la ville et de l’institution et si certains sont parmi les titres juridiques les plus importants pour l’institution, d’autres ont davantage une valeur mémorielle. Histoire et conservation des droits s’entremêlent. Le regard porté sur la documentation se veut ainsi plus patrimonial. Les actes sont des biens possédés autant que des droits.

37Ces recueils forment alors de véritables libri iurium, à l’image de ces recueils produits dans les villes italiennes aux xiiie-xive siècles et rassemblant les droits de la cité pour mieux la défendre et ériger un monument de mémoire84. En outre, en compilant un corpus d’actes souvent d’origine royale ou parlementaire, les échevins font acte d’appropriation et de patrimonialisation de privilèges qui forment le « corps juridique » de l’institution et de la ville, la nouvelle intertextualité exprimant un droit devenu institutionnel.

Conclusion

38Si les recueils d’archives forment une « tradition de l’ombre », celle-ci est pourtant décisive en ce qu’elle résout la tension inhérente à l’usage des archives, à savoir gérer la fragilité et permettre la disponibilité85. Instrument « passif », les recueils ne produisent pas d’effet juridique mais sont des instruments de savoir et de recherche, parfois aussi des monuments de mémoire, entre texte et objet, outil et somme. Les compilations sont l’instrument et le produit d’une instrumentalisation des archives86.

39Pour répondre aux nécessités pratiques et au projet mémoriel, les échevins inventent leurs outils de gestion, essentiels dans un contexte inédit d’éloignement archivistique. Alors que le trésor de l’échevinage instaure une topographie archivistique sacrée, la nouvelle documentation est le produit d’une technique notariale amenant une spécialisation et une rationalisation dans la gestion et la description des archives, pour bâtir une mémoire institutionnelle87. Les tensions politiques de la fin du xve siècle rencontrent le projet mémoriel, dans lequel les échevins trouvent l’expression de leur légitimité historique88.

40Patrimonialisées et appropriées dans des sommes juridiques, les archives nourrissent une « culture d’établissement » profondément liée à l’honneur urbain89. Les instruments de pouvoir sont ainsi l’image que l’institution se donne à elle-même. En vingt ans, l’échevinage s’est doté d’un instrument de gouvernement par les archives. Si son usage et sa finalité restent internes, il ordonne le droit, permet le savoir et exprime la dignité, faisant de l’instrument un attribut du pouvoir, aidant à gérer l’honneur tout en exprimant l’honneur de gérer.

Bibliographie

41Sébastien Barret, La mémoire et l’écrit. L’abbaye de Cluny et ses archives (xe-xviiie siècles), Münster, Lit Verlarg, 2004.

42Patrice Beck, Archéologie d’un document d’archives : approche codicologique et diplomatique des cherches des feux bourguignonnes (1285-1543), Paris, École des chartes, 2006.

43Julien Briand, « Pourquoi produire des archives dans une ville du royaume de France à la fin du Moyen Âge ? L'exemple de Reims », dans L'autorité de l'écrit au Moyen Âge (Orient-Occident), Paris, Publications de la Sorbonne, 2009, p. 329-334.

44Julien Briand, L’information à Reims aux xive et xve siècles, Thèse de doctorat [dactyl.], Université Panthéon-Sorbonne, 2012.

45Pierre Chastang, « Cartulaires, cartularisation et scripturalité médiévale : la structuration d’un nouveau champ de recherche », Cahiers de civilisation médiévale, 49e année, n°193, mars 2006, p. 21‑31.

46Pierre Chastang, La ville, le gouvernement et l’écrit à Montpellier (xiie-xive siècle) : essai d’histoire sociale, Paris, Publications de la Sorbonne, 2013.

47Franck Collard, « Fête du prince ou Fête de Reims : l’entrée de Charles VIII à Reims le 29 mai 1484 », dans Fêtes et politique en Champagne à travers les siècles, dir. S. Guilbert, Nancy, Presses universitaires de Nancy, 1992, p. 59-71.

48Dictionnaire du Moyen Français (1330-1500), en ligne : http://atilf.atilf.fr/

49Pierre Desportes, Reims et les Rémois aux xiiie et xive siècles, Paris, A. & J. Picard, 1979.

50Patrick Gilli, Villes et sociétés urbaines en Italie (milieu xiie-milieu xive s.), Paris, Sedes, 2005.

51L’enquête au Moyen Âge, dir. Cl. Gauvard, Rome, École française de Rome, 2009.

52Olivier Guyotjeannin et Laurent Morelle, « Tradition et réception de l’acte médiéval : jalons pour un bilan des recherches », Archiv für Diplomatik, 53, 2007, p. 367-403.

53Olivier Guyotjeannin, « Les méthodes de travail des archivistes du roi de France (fin xiiie-début xvie siècle) », Archiv für Diplomatik, 42, 1996, p. 295-373.

54Olivier Guyotjeannin, « La tradition de l’ombre : les actes sous le regard des archivistes médiévaux (Saint-Denis, xiie-xve siècles) », dans Charters, cartularies and archives: the preservation and transmission of documents in the medieval West, dir. A. J. Kosto et A. Winroth, Toronto, Pontifical Institute of Medieval Studies, Papers in medieval studies, 17, 2002, p. 81-112.

55Olivier Guyotjeannin, « Super omnes thesauros rerum temporalium : les fonctions du Trésor des chartes du roi de France (xive-xve siècles) », dans Écrit et pouvoir dans les chancelleries médiévales : espace français, espace anglais, dir. K. Fianu et D. J. Guth, Louvain, Fédération internationale des instituts d'études médiévales, 1997, p. 109-131.

56Olivier Guyotjeannin, Jacques Pycke, Benoît-Michel Tock, Diplomatique médiévale, Turnhout, Brepols, 1993 [3e éd. 2006].

57Olivier Guyotjeannin, « Outils en grisaille. Les inventaires d’archives », Écritures grises : en ligne : https://ecrituresgrises.hypotheses.org/. Les instruments de travail administratifs en Europe méridionale (xiie-xviie siècles), Atelier 1 « Grey Writings Anatomy » (20-21 septembre 2013), à paraître.

58Richard A. Jackson, Vivat Rex. Histoire des sacres et couronnements en France (1364-1825), Paris-Strasbourg, Éditions Ophrys, 1984.

59Les cartulaires méridionaux : actes du colloque organisé à Béziers les 20 et 21 septembre 2002 par le Centre historique de recherches et d’études médiévales sur la Méditerranée occidentale, dir. D. Le Blevec, Paris, École des chartes, 2006.

60Les cartulaires : actes de la Table Ronde organisée par l’École Nationale des chartes et le G.D.R. 121 du CNRS., (Paris, 5-7 décembre 1991), dir. O. Guyotjeannin, M. Parisse et L. Morelle, Genève et Paris, Librairie Droz et Librairie H. Champion, 1993.

61Sébastien Maubon, L’« Affaire Cochinart » : le roi, la ville et l’archevêque à la fin du xve siècle, Mémoire de Master II [dactyl.], Université de Reims, 2007.

62Emmanuel Melin, Mémoire administrative, mémoire urbaine à Reims à la fin du xve siècle. Recherches sur l’inventaire d’archives de Jehan Foulquart (1486), Mémoire de maîtrise [dactyl.], Université de Reims, 2004, 2 t.

63Emmanuel Melin, « Recopier, sauvegarder, prouver : l’inventaire d’archives, répétition du pouvoir ? Exemple de l'inventaire d'archives de l'échevinage de Reims (1486) », dans Re- Répéter - Répétition, dir. A.F Pifarré, S. Rutigliano-Daspet, Chambéry, Éditions de l’Université de Savoie, 2010.

64Emmanuel Melin, « Réécrire l’archive. Fabrication, classement et mise en page de la mémoire institutionnelle à Reims à la fin du Moyen Âge », PECIA, 16, 2014 [Turnhout, Brepols, 2015] p. 87-108.

65Memini, travaux et documents, 12, 2008, p. 7-148.

66Maria Milagros Cárcel Ortí, Vocabulaire international de la diplomatique [2ème éd. corrigée], Valence, Université de Valence, 1997.

67Joseph Morsel, « Du texte aux archives : le problème de la source », Bulletin du centre d’études médiévales d’Auxerre, Hors-série 2, 2008, en ligne : http://cem.revues.org/4132

68Xavier Nadrigny, Information et opinion publique à Toulouse à la fin du Moyen Âge, Paris, École des chartes, 2013.

69Xavier Nadrigny, « Archives et identité urbaine : les inventaires de Toulouse, 1393-1548", Bibliothèque de l'École des chartes, 166, 2008, p. 391-412.

70Peter Rück, «  Notes sur les cartulaires de l’évêché (vers 1307) et sur les premiers inventaires des archives du chapitre (1334) et du comté de Genève (1337) », Bulletin de la Société d’histoire et d’archéologie de Genève, 14, 1969, p. 185-203.

Sitographie

71https://comptabilites.revues.org

72http://polima.huma-num.fr/

73http://ecrituresgrises.hypotheses.org/

Notes

1 Dictionnaire du Moyen Français (1330-1500), en ligne http://atilf.atilf.fr/

2 Les cartulaires : actes de la Table Ronde organisée par l’École Nationale des chartes et le G.D.R. 121 du CNRS, (Paris, 5-7 décembre 1991), dir. O. Guyotjeannin, M. Parisse et L. Morelle, Genève et Paris, Librairie Droz et Librairie H. Champion, 1993 ; Les cartulaires méridionaux : actes du colloque organisé à Béziers les 20 et 21 septembre 2002 par le Centre historique de recherches et d’études médiévales sur la Méditerranée occidentale, dir. D. Le Blevec, Paris, École des chartes, 2006 ; Pierre Chastang, « Cartulaires, cartularisation et scripturalité médiévale : la structuration d’un nouveau champ de recherche », Cahiers de civilisation médiévale, 49e année, n° 193, mars 2006, p. 21-31. Les cartulaires urbains ont suscité de récentes études : Memini, travaux et documents, 12, 2008, p. 7-148. Pierre Chastang a abordé le cas des thalami montpelliérains dans Pierre Chastang, La ville, le gouvernement et l’écrit à Montpellier (xiie-xive siècle) : essai d’histoire sociale, Paris, Publications de la Sorbonne, 2013.

3 Les comptabilités font également l’objet de programmes de recherches « Comptes et comptabilités au Moyen Âge », voir https://comptabilites.revues.org. Xavier Nadrigny, Information et opinion publique à Toulouse à la fin du Moyen âge, Paris, École des chartes, 2013. Voir également les travaux de Julien Briand, dans sa thèse encore inédite : Julien Briand, L’information à Reims aux xive et xve siècles, Thèse de doctorat [dactyl.], Université Panthéon-Sorbonne, 2012 ; L’enquête au Moyen Âge, dir. Gauvard, Rome, École française de Rome, 2009. Les listes font l’objet d’un programme de recherches ANR (Pouvoir des listes au Moyen Âge – POLIMA), dirigé par Pierre Chastang (DYPAC) et Laurent Feller (LAMOP), en ligne : http://polima.huma-num.fr/. Récemment, un programme de recherches s’est constitué autour des « écritures grises » et intègre tous les écrits, dont les inventaires d’archives, servant au bon fonctionnement administratif (notamment retrouver un acte, prendre une décision, produire une copie). Les cartulaires correspondent partiellement à cette définition fonctionnelle. En ligne : http://ecrituresgrises.hypotheses.org/programmes.

4 Outre les références déjà citées, les travaux d’Olivier Guyotjeannin sur les inventaires d’archives ouvrent des pistes précieuses : Olivier Guyotjeannin, « Les méthodes de travail des archivistes du roi de France (fin xiiie-début xvie siècle) », Archiv für Diplomatik, 42, 1996, p. 295-373. Plus récemment, Xavier Nadrigny a inscrit les inventaires toulousains dans une optique mémorielle : Xavier Nadrigny, « Archives et identité urbaine : les inventaires de Toulouse, 1393-1548 », Bibliothèque de l’École des chartes, 166, 2008, p. 391-412.

5 Un cartulaire est une « transcription organisée (sélective ou exhaustive) de documents diplomatiques, réalisée par le détenteur de ceux-ci ou pour son compte, afin d’en assurer la conservation et d’en faciliter la consultation » : Olivier Guyotjeannin, Jacques Pycke, Benoît-Michel Tock, Diplomatique médiévale, Brepols, Turnhout, 1993 [3e éd. 2006], p. 277. L’inventaire est défini comme une « une description plus ou moins détaillée des séries, des fonds ou des documents, destinée à retrouver les documents » : Maria Milagros Cárcel Ortí, Vocabulaire international de la diplomatique [2ème éd. corrigée], Valence, Université de Valence, 1997, p. 37.

6 Olivier Guyotjeannin, « Super omnes thesauros rerum temporalium : les fonctions du Trésor des chartes du roi de France (xive-xve siècles) », dans Écrit et pouvoir dans les chancelleries médiévales : espace français, espace anglais, dir. K. Fianu et D. J. Guth, Louvain, Fédération internationale des instituts d’études médiévales, 1997, p. 111 ; P. Chastang, (op. cit. n. 2), p. 125 et suiv.

7 Le cadre général des institutions et de leurs évolutions est fixé dans Pierre Desportes, Reims et les Rémois aux xiiie et xive siècles, Paris, A. & J. Picard, 1979.

8 Le conseil de ville ne produit son premier inventaire d’archives qu’en 1529. Aucun cartulaire ne semble avoir été produit avant cette date.

9 Reims, arch. mun., FA R6. Il est renouvelé par Jean Foulquart en 1474 : Reims, arch. mun., FA R18, fol. 5.

10 Pour une vue synthétique de la production de registres entre le xiiie et le xve siècle, voir Julien Briand, « Pourquoi produire des archives dans une ville du royaume de France à la fin du Moyen Âge ? L’exemple de Reims », dans l’autorité de l’écrit au Moyen Âge (orient-occident), Paris, Publications de la Sorbonne, 2009, p. 329-334.

11 Sur la notion d’institutionnalisation et le lien qu’elle entretient avec les archives, voir Sébastien Barret, La mémoire et l’écrit. L’abbaye de Cluny et ses archives (xe-xviiie siècles), Münster, Lit Verlarg, 2004.

12 À savoir un inventaire d’archives de la léproserie de 1478 (et son double) : Reims, arch. mun., FA C734 L 34 et Reims, arch. mun., FH D1* ; un cartulaire du sacre de la même année (de tradition moderne) : Paris, BNF, fr, ms 8334, supp 1515-2. ; ainsi qu’un répertoire des chartes datant de 1486 : Reims, arch. mun., FA, R1.

13 L’expression est de Julien Briand. Pour une approche générale et contextualisée, voir J. Briand, p. 334 (art. cit. n. 10). Les sources mobilisées ici datent des époques médiévales et modernes surtout, contemporaines en appoint.

14 À l’exception du répertoire de 1486 qui fit l’objet de nos premiers travaux (Emmanuel Melin, Mémoire administrative, mémoire urbaine à Reims à la fin du xve siècle. Recherches sur l’inventaire d’archives de Jehan Foulquart (1486), Mémoire de maîtrise [dactyl.], Université de Reims, 2004, 2 t. et Emmanuel Melin, « Recopier, sauvegarder, prouver : l’inventaire d’archives, répétition du pouvoir ? Exemple de l’inventaire d’archives de l’échevinage de Reims (1486) », dans Re- Répéter - Répétition, dir. A.F. Pifarré, S. Rutigliano-Daspet, Chambéry, Éditions de l’Université de Savoie, 2010), l’étude des recueils d’archives dont il sera question dans cet article forme une partie de notre thèse de doctorat, entamée en 2014 à l’Université de Nanterre, consacrée à l’étude des archives des institutions municipales de Reims entre le xiiie et le xviie siècle, sous la direction du Professeur Franck Collard.

15 La lecture des conclusions de l’échevinage entre 1463 et 1636 permet de constater que pratiquement toutes les décisions et modifications en matière archivistique sont faites peu après l’élection des échevins, ce qui laisse penser qu’ils procèdent à une vérification annuelle de l’état des archives en début d’« année politique », afin de voir l’intégrité du dépôt, son bon ordre et sa complétude, afin de s’assurer qu’il est opérationnel pour l’année à venir.

16 Les conclusions du conseil de ville manquent pour les années 1475-1476, lorsque l’affaire Cochinart débute. La crise est sans doute la plus grave depuis celles ayant eu lieu au xiiie siècle. En plus de déménager les archives, les échevins décident, à la même époque, de mettre en registres leurs conclusions, de rendre compte du déroulement de leur élection par écrit, parfois de prêter serment à un officier royal à la suite de celui dû à l’archevêque, et même de réinstaurer un serment interne lors de leur entrée en charge, réactivant ainsi un imaginaire communal de la conjuration. Foulquart quant à lui entame l’écriture de « mémoires », dans lesquelles il évoque les déconvenues subies par son frère durant cette crise. En 1477, l’archevêque fait rédiger un inventaire de ses propres archives, récapitulant ses droits faisant l’objet de litiges avec les échevins, en vue de plaider en parlement et de rétablir son autorité bafouée ; AN, KK1067, fol. 76 et suiv.

17 Le prélat, entré dans la ville en avril 1474, se dit offensé et demande réparation pendant plusieurs mois. Sur l’affaire Cochinard, voir Sébastien Maubon, L’« Affaire Cochinart » : le roi, la ville et l’archevêque à la fin du xve siècle, Mémoire de Master II [dactyl.], Université de Reims, 2007.

18 Reims, arch. mun., FA R18, fol. 9v : séances du 5 et 13 septembre 1475.

19 Reims, arch. mun., FA R18, fol. 9v.

20 Ibid. La conclusion ne dit rien de plus. La décision est consignée, ce qui indique son caractère officiel et l’importance du projet.

21 Reims, arch. mun., FA R18, ff. 6 et 25-v.

22 Reims, arch. mun., FA R18, fol. 189. La question n’avait pas besoin de se poser à propos de Saint Ladre en 1475, les échevins sachant très bien que leur léproserie, sous autorité papale, était immune de l’archevêque. Leurs archives, justement, en attestent. En 1487, le chartrier de Saint-Pierre-Le-Vieil semble arrivé à saturation.

23 Au xive siècle, l’archevêque avait procédé à plusieurs saisies dans les domiciles des bourgeois. La mémoire de ces événements est encore vive, puisque le répertoire de 1486 s’ouvre par un arrêt les condamnant. Reims, arch. mun., FA R1, p. 1.

24 C’est ce qu’indique le préambule du cartulaire de la léproserie de 1478. Reims, arch. mun., FA C 703 L34.

25 À compter de 1473, les conclusions - écrites depuis 1463 - sont désormais mises en registres pour assurer une meilleure conservation et éviter les pertes documentaires, comme il y en eut sans doute avant cette date. J. Briand (op. cit. n. 3) p. 157 (n. 538). Ce choix est sans doute lié à l’arrivée de Cochinart dans la cité.

26 Entre autres privilèges judiciaires, on compte la récréance ou la vérification des informations judiciaires. Voir P. Desportes (op. cit. n. 7), p. 563 et suiv. Voir également J. Briand, (op. cit. n. 3), p. 573 et suiv. et p. 725 et suiv.

27 Reims, arch. mun., FA R207 (comptes des léproseries), fol. 109v. Il aura coûté 4 livres et 16 sous parisis.

28 Respectivement, Reims, arch. mun., FA, R24, ff. 161 et 166 ; BnF, fr., ms 8335, fol. 22 ; Reims, arch. mun., FA, R18, fol. 64.

29 L’archevêque obtient la lieutenance à la fin des années 1470. Il règle ses comptes, réclame réparation, procède à des arrestations de complices du capitaine, avant d’être démis par le roi. En 1483, à la mort du roi, l’archevêque engage des poursuites judiciaires contre le capitaine. Cochinart meurt à la Conciergerie en 1486 ou peu après. Cette période de fortes tensions exacerbe les rivalités institutionnelles et laisse des inimitiés et des rancœurs, chez les échevins notamment. Voir S. Maubon, (op. cit. n. 17).

30 C’est en ce lieu qu’elles se trouvent lorsque le répertoire de 1486 est réalisé, au printemps. Reims, arch. mun., FA R1, p. 1.

31 J. Briand, (op. cit. n. 3), p. 332. Les layettes sont des boîtes en bois, très couramment utilisées à l’époque pour ranger des documents.

32 Elle abrite des biens précieux déposés par certains habitants et elle prête à plusieurs reprises son cimetière pour y réunir des assemblées. Exemples dans P. Desportes, (op. cit. n. 7), p. 299 et n. 39-40. Reims, arch. mun., FA R18, fol. 189-r.

33 Reims, Bibl. Mun, ms. 1629, fol. 67-r.

34 Cf. infra.

35 L’expression est de Pierre Chastang, qui aborde le cas des archives montpelliéraines conservées dans une arca conservée par les Hospitaliers. Voir P. Chastang, (op. cit. n. 2), p. 229.

36 Paris, BnF, fr, 8335, fol. 22. Il ne subsiste aucune description de ce chartrier.

37 Une armoire a sans doute été installée pour l’occasion ; c’est en tout cas le mobilier utilisé dans les années 1580. Reims, arch. mun., FA R 24, fol. 174-r-v.

38 La valorisation des titres de l’échevinage s’est toutefois accompagnée d’une séparation archivistique qui prive l’institution d’un pan de la mémoire urbaine. Quelques temps après ces transferts, l’échevinage remet en effet les lettres touchant à toutes les affaires urbaines au Conseil. Entre la fin octobre et le début novembre 1498, les coffres, buffet et papiers encore conservés en l’hôtel de l’échevinage sont transportés dans la nouvelle maison de ville ; l’échevinage cède donc des documents attestant de sa fonction révolue de représentant urbain et de conservateur de la mémoire du lien entre la cité et le prince, puisque, les échevins conservaient (tout ou partie) des titres et lettres échangées entre la ville et le roi. C’est la fin d’une époque archivistique, actant de la perte d’une certaine prééminence face au conseil. Reims, arch. mun., FA R18, fol. 213.

39 En théorie, du moins. Encore actif à la fin du xvie siècle, le chartrier de Saint-Denis est en effet fracturé en 1581 et certaines pièces ont été annotées par le procureur fiscal de l’archevêque. Reims, arch. mun., FA R 24, fol. 174r-v.

40 Il est impossible, dans l’état actuel des sources conservées, de dire si toutes ont bien été réalisées et si il y eut autant d’inventaires écrits, même si les sources comptables permettent de constater que la majorité des demandes fut honorée. Certaines commandes ont pu toutefois être réitérées, précisément parce que les précédentes n’ont pas été honorées : les échevins ne manifestent pas d’empressement pour réaliser ces inventaires, ce qui conduit le buffet à accorder une rémunération à ceux qui y vaquent, en plus des honneurs qui leur seront réservés.

41 Cf. infra. Ces inventaires sont doublés, une version restant à l’hôtel de l’échevinage, l’autre étant remise aux responsables (du greffe, de la chaussée, de Saint-Ladre, etc.).

42 Sur le répertoire de 1486, nous nous permettons de renvoyer à notre étude première : E. Melin (op. cit. n. 14) ; pour une comparaison avec le Livre Blanc de l’échevinage, voir Emmanuel Melin, « Réécrire l’archive. Fabrication, classement et mise en page de la mémoire institutionnelle à Reims à la fin du Moyen Âge », PECIA, 16, 2014 [Turnhout, Brepols, 2015] p. 87-108.

43 Un dernier inventaire est remis en 1493, qui correspond sans doute à la version définitive du répertoire de 1486, puisque les derniers documents rendus correspondent à ceux inventoriés dans ce recueil.

44 Reims, arch. mun., FA R 18, fol. 146. Le préambule du cartulaire de Saint-Ladre présente également les effectz et substances du contenu des archives. Reims, arch. mun., FA C734 L34, cartulaire de 1478, f. 1. Le Livre Blanc contenait déjà des regestes qui introduisaient la copie intégrale des actes et servaient à constituer la table des matières, jouant alors le rôle de rubriques. Reims, arch. mun., FA R7.

45 Ainsi, les lettres sont différenciées par des compléments nominatifs (lettres de louage, de quittance, de complainte, de transport, d’abolition ou interlocutoire) ; les actes de la pratique sont considérés avec une certaine précision (estiot, instrument, commission, exécutoire, cédules) ; un ensemble documentaire a posé problème aux auteurs, qui parlent de « quatre scellez ». Reims, arch. mun., FA R 1.

46 À défaut, c’est l’état matériel ou le support qui est indiqué.

47 À titre d’exemple : Lettres du roy Charles en forme de chartre en las de soie et cire verte, escriptes en quatre peaulx de parchemin collees ensemble et attachees en las de soye et cire verte, soubz le contrescel de la chancellerie, par lesquelles il revocque, casse, adnulle et met du tout au neant tous les aydes gabelles et subsides qui ont este mys sus et ont en cours ou royaume de France par toute la province de Reims des temps du roy Phelippe le bel et du roy Jehan son ayeul, excepte son vray demaine, les haults passages et droitz des tresmontains et nez hors le royaume, et restitue lesdits de la procuration de Reims en leurs noblesses, privileges, immunitez, franchises et autres droitz anciens dont ilz avoient accoustume de joyr et user auparavant que lesdits aydes et gabelles fussent mys sus ne eussent cours sans que a l’occasion d’iceulx lui ne ses predecesseurs ou successeurs roys puissent avoir acquitz ou pretendre aucun droit ou prejudice, ne a l’encontre desdits, et par ces mesmes lettres veult et ordonne par statut inviolable et edict irrevocable les ordonnances royaulx faictes par lesdits roys Phelippe et Jehan ses predecesseurs, qu’il a fait transcripre et incorporer au long et de mot a mot dedans sesdites lettres, soient gardees et observees par toutes gens et en toutes estatz de point en point selon leur forme et teneurs et lui mesme les promest a tenir et garder. Et sont bonnes a veoir et a bien garder. Sur le doz desquelles est escript revocation d’aydes et ordonnances royaulx. : Reims, arch. mun., FA R1, p. 193-195.

48 Olivier Guyotjeannin et Laurent Morelle, « Tradition et réception de l’acte médiéval : jalons pour un bilan des recherches », Archiv für Diplomatik, 53, 2007, p. 392.

49 Un fragment d’inventaire de la main de Foulquart liste, en effet, des résumés brefs, n’excédant pas plus de deux ou trois lignes par acte. Reims, arch. mun., FA C783 L86. En outre, dans le répertoire de 1486, les actes de la pratique ou sans importance sont lapidairement évoqués, en une ou deux lignes, et sans marginalia ni mention dorsales : ils ont donc été détruits ou réemployés.

50 La « cotation » utilisée est mixte, mêlant la cotation alphabétique (A, AA et AAA) et les mots-clefs (Sacre résidus, sacre parlement, etc.), pour ce qui est des archives du sacre, par exemple. Celle de Saint-Ladre combine, en début de recueil, la cote alphabétique parfois très enrichie (fig. 5) avec, en fin de recueils, les symboles ou les mots-titres : arrivés au terme des séries alphabétiques doubles ou triples, les échevins passent aux lettres ornées d’une croix, aux symboles (parfois des grotesques) ou aux cotes de quatre ou cinq lettres non sériées pour individualiser les actes, sans qu’il soit possible de trouver une cohérence dans ces variations.

51 Il s’agit du procès en Parlement d’un officier seigneurial, le prévôt Oudart Passantarte (ou Passencarte), qui a eu lieu en 1375-1376. La cotation est alphabétique (A, B, C, D et E). Reims, arch. mun., FA R1, p. 198-203.

52 Sans compter que ce registre est vraisemblablement un travail préparatoire à une œuvre d’écriture plus ambitieuse. Le répertoire a pour mission de ventiler les actes selon les compétences juridiques et les caisses, qui sont ensuite intégrés dans des layettes spécialisées et structurées, en 1493, selon une logique patrimoniale puissante. Cf. infra.

53 Ce qui se comprend donc si ce répertoire est bel et bien le brouillon de l’inventaire définitif de 1493.

54 À titre d’exemple, en première page, on lit l’arrêt portant condamnation des saisies épiscopales au milieu du xive siècle ; les suivants ont une valeur jurisprudentielle encore actuelle à la fin du xve siècle (abus du prévôt en 1448, élection contestée de 1449, règlement des deniers communs de 1430). Reims, arch. mun., FA R1, p. 1-3.

55 Ces « regestes du regeste », en 1486, préfigurent-ils la réalisation d’une table ultérieurement (en 1493 ?) aujourd’hui disparue ?

56 Peter Rück, « Notes sur les cartulaires de l’évêché (vers 1307) et sur les premiers inventaires des archives du chapitre (1334) et du comté de Genève (1337) », Bulletin de la Société d’histoire et d’archéologie de Genève, 14, 1969, p. 191.

57 O. Guyotjeannin et L. Morelle, (art. cit. n. 49), p. 394. Sur les évolutions de l’inventaire d’archives et l’expression de la culture notariale dans les regestes, voir notamment Olivier Guyotjeannin, « Outils en grisaille. Les inventaires d’archives », en ligne : https://ecrituresgrises.hypotheses.org/. Les instruments de travail administratifs en Europe méridionale (xiie-xviie siècles), Atelier 1 « Grey Writings Anatomy » (20-21 septembre 2013), à paraître. Nous remercions vivement O. Guyotjeannin de nous avoir fait profiter de son travail encore inédit.

58 On sait par ailleurs qu’en cette même année, Foulquart rend un nouvel inventaire des chartes aux échevins. Il n’est pas impossible que le répertoire, à la fonctionnalité imparfaite, ait été grossé, reclassé et embelli, à l’image du cartulaire de Saint-Ladre : cf. infra. Ces livres restent toutefois les documents les plus difficiles à appréhender, ces documents ayant disparu (sauf exception).

59 Les dépenses engagées le prouvent. Pour le cartulaire du sacre, on sait que l’inventaire lui-même fut payé 3 sous, quand la grosse coûta 10 livres à l’échevinage, soit l’équivalent du salaire annuel du procureur ; les dépenses de parchemin, supplémentaires, sont mises à part et se montent à 37 sous et 4 deniers. Archives municipales de Reims, FA R165, fol. 166.

60 Foulquart remet l’ouvrage l’année suivante lors du buffet de l’échevinage. Il réalise un projet lancé deux ans auparavant mais non réalisé par l’échevin désigné. Reims, arch. mun., FA R18, fol. 33.

61 J. Briand, (op. cit. n. 3), p. 244.

62 Richard A. Jackson, Vivat Rex. Histoire des sacres et couronnements en France (1364-1825), Paris-Strasbourg, Éditions Ophrys, 1984, p. 38. Sur les innovations lors du sacre de Louis XI, Ibid., p. 42.

63 R. A. Jackson parle de traité (op. cit. n. 62) p. 209. Le terme de « chartulaire » est de Foulquart lui-même. BNF, fr, ms 8334, supp 1515-2.

64 Les actes inutiles n’ont pas été inventoriés dans ce registre. Ils se retrouveront évoqués dans les premières pages du répertoire de 1486. Reims, arch. mun., FA R1, p. 4-9.

65 Foulquart avait un intérêt particulier pour les mystères organisés dans la ville de Reims, auxquels il prenait part.

66 Il s’agit surtout de postes liés au banquet : panneterie, poissons, boissons, cuisine, fourrerie, avoine, cuisine de moutarderie, etc.

67 Paris, BnF, fr., ms. 1515-2, fol. 36v et suiv.

68 Ibid., fol. 22.

69 L’ordo dit de Foulquart synthétise le dernier ordo capétien et celui de Charles V, complété par des informations sur le sacre de Louis XI. L’ordo du sacre est habituellement conservé à Saint-Denis et parfois un exemplaire est déposé à Saint-Remi-de-Reims.

70 D’autant que les échevins ne sont pas concernés par l’étape liturgique du sacre et n’ont donc pas d’intérêt pratique à détenir un exemplaire de l’ordo du sacre.

71 Pour paraphraser Franck Collard, « Fête du Prince ou Fête de Reims : l’Entrée de Charles VIII à Reims le 29 mai 1484 », dans Fêtes et politique en Champagne à travers les siècles, dir. S. Guilbert, Nancy, P.U.N., 1992, p. 59-71.

72 Foulquart tire d’ailleurs de son labeur une fierté certaine. À la remise de l’ouvrage aux échevins, honoré par la tâche qu’il a eu à accomplir, il refuse le paiement de la somme qui lui est due. Reims, arch. mun., FA R24, fol. 166. Dans le prologue, dans lequel il se présente comme serviteur de l’institution, sa posture est encore sans doute topique. Mais il y a lieu de croire, à lire ses écrits personnels, que la tâche lui a été gratifiante : il indique notamment dans ses mémoires qu’il a eu le privilège, en 1490, de voir les instruments du sacre ayant servi pour le couronnement de Charles VII, preuve de l’intérêt qu’il porte pour cette cérémonie, en tant que sujet du roi et citoyen rémois, Reims, Bibl. Mun., ms 1630, Inventaire de J. Rogier (xviie siècle), fol. 64v. On sait par ailleurs que le travail autour des chartes est source de prestige, cf. supra. Sur le plan pratique, l’ouvrage permet de pallier tout futur sacre, et les échevins sauront le consulter pour recouvrir les finances du sacre de Louis XI et pour préparer le sacre de Charles VIII en 1484. Reims, arch. mun., FA R18, ff. 112, 127v. et 200.

73 Foulquart tire d’ailleurs de son labeur une fierté certaine. À la remise de l’ouvrage aux échevins, honoré par la tâche qu’il a eu à accomplir, il refuse le paiement de la somme qui lui est due. Reims, arch. mun., FA R24, fol. 166. Dans le prologue, dans lequel il se présente comme serviteur de l’institution, sa posture est encore sans doute topique. Mais il y a lieu de croire, à lire ses écrits personnels, que la tâche lui a été gratifiante : il indique notamment dans ses mémoires qu’il a eu le privilège, en 1490, de voir les instruments du sacre ayant servi pour le couronnement de Charles VII, preuve de l’intérêt qu’il porte pour cette cérémonie, en tant que sujet du roi et citoyen rémois, Reims, Bibl. Mun., ms 1630, Inventaire de J. Rogier (xviie siècle), fol. 64v. On sait par ailleurs que le travail autour des chartes est source de prestige, cf. supra. Sur le plan pratique, l’ouvrage permet de pallier tout futur sacre, et les échevins sauront le consulter pour recouvrir les finances du sacre de Louis XI et pour préparer le sacre de Charles VIII en 1484. Reims, arch. mun., FA R18, ff. 112, 127v. et 200.

74 Très exactement vingt-sept, plus une esquisse inachevée.

75 Mais la logique de ces figurations, limitées à certains actes de trois layettes seulement, reste à établir au moyen d’une enquête approfondie qui sera menée dans le cadre de notre thèse de doctorat.

76 Sur ce concept, voir Joseph Morsel, « Du texte aux archives : le problème de la source », Bulletin du centre d’études médiévales d’Auxerre, Hors-série 2, 2008, en ligne : http://cem.revues.org/4132 : « Si l’on admet cependant que la visualité devait faire partie des facteurs de production du sens de l’objet, on comprend bien tout ce que la réduction de l’objet écrit à son contenu, à un simple texte, peut faire perdre. »

77 Reims, arch. mun., FA C703, L34, fol. 1.

78 Si le cartulaire de Saint-Ladre est l’unique qui nous soit parvenu, il est probable que les autres ont fait l’objet d’un semblable soin formel. Tout d’abord, les sommes dépensées pour réaliser le cartulaire du sacre, la même année, sont relativement élevées. Ensuite, la copie du cartulaire du sacre faite par Rogier (la plus ancienne encore existante) est marquée par des lettrines travaillées, inspirées sans doute de l’original, dont l’historien moderne a compris et voulu reproduire l’apparence. BnF, fr., ms. 8335, fol. 22.

79 Reims, arch. mun., FA R18, fol. 150.

80 La somme totale due est de 22 livres, soit une moyenne d’environ 6 livres par ouvrage, somme qui avoisine celle payée pour le cartulaire du sacre et laisse penser à des ouvrages soignés. Reims, arch. mun., FA R 165, fol. 166. Ces ouvrages continuent la rédaction d’ouvrages spécialisés (sur la ville, les arrêts) et correspondent au versement à Saint-Denis de quatre layettes spécialisées, effectué quelques mois plus tard : « Jehan Foulquart et Nicolas Grossaine et maistre Jehan Cauchon médecin, firent inv des chartes de l’échevinage et en firent quatre layettes, deux d’arrêts, une des privilèges et abolitions et une des ordonnances qui furent porter cedit jour au chartirer de saint denis et le lendemain en fut fait encore huit layettes de diverses sortes qui furent portés audict chartrier et le xxè dudit mois en fut encore porté trois grandes layettes ». Reims, Bibl. mun., ms. 1630, fol. 67 et suiv.

81 En l’absence d’originaux, il est impossible de dépasser le stade de l’hypothèse.

82 Les ouvrages ont tous disparu. Il est impossible de savoir si ces recueils ont été autant soignés et mis en scène que le cartulaire de Saint-Ladre.

83 Ainsi, le notaire adopte un regard antiquaire lorsqu’il indique le caractère notable des ordonnances, précédemment compilées dans le répertoire de 1486, où elles sont dites « belles a veoir et a bien garder ». Par exemple, Reims, arch. mun., FA R1, p. 190. Les ordonnances contiennent des remises fiscales ou l’abolition de 1429, portant amnistie et silence sur le passé bourguignon de la ville - cet acte concluait déjà le Livre Blanc, refermant ainsi le chapitre de la guerre et d’un passé peu glorieux pour la cité, indiquant aussi l’honneur restauré de la cité. Reims, arch. Mun., FA R7, fol. 359 et suiv.

84 Pour une vue synthétique, voir Patrick Gilli, Villes et sociétés urbaines en Italie (milieu xiie-milieu xive s.), Paris, Sedes, 2005, p. 53 et suiv.

85 Olivier Guyotjeannin a ouvert des pistes fécondes sur l’histoire des archives dans Olivier Guyotjeannin, « La tradition de l’ombre : les actes sous le regard des archivistes médiévaux (Saint-Denis, xiie-xve siècles) », dans Charters, cartularies and archives: the preservation and transmission of documents in the medieval West, dir. A. J. Kosto et A. Winroth, Toronto, Pontifical Institute of Medieval Studies, Papers in medieval studies, 17, 2002, p. 81-112.

86 En paraphrasant Michael Clanchy, on pourrait parler d’instruments « secondaires » pour désigner ces instruments de gestion et de mémoire qui reprennent les instruments de défense juridique que sont les archives ; Michael Clanchy, From memory to written record. England 1066-1307, Oxford-Cambridge, 1977 (rééd. 1993), p. 84.

87 Pierre Chastang fait de semblables constats à Montpellier : « Les documents constitués en archives et regroupés en un lieu situé hors de l’espace urbain commun instaurent un point de cristallisation symbolique et mémoriel pour la communauté urbaine. [...] La culture notariale se caractérise de la sorte par une codification et une rationalisation croissante des pratiques d’écritures », P. Chastang, (op. cit. n. 2), p. 233.

88 Si les menaces épiscopales servent de déclencheur au déménagement des archives, on sait que les échevins nourrissent un projet d’écriture et de conservation antérieur à la crise de 1475-1479 et qui dure bien plus longtemps, semblant donc avoir sa logique propre.

89 L’expression est d’O. Guyotjeannin et L. Morelle, (art. cit. n. 49), p. 397.

Pour citer ce document

Par Emmanuel Melin, «Les compilations d’archives, instruments du pouvoir ? L’exemple de l’échevinage de Reims au xve siècle.», Annales de Janua [En ligne], Les Annales, n° 5, Des arts aux registres en passant par le paysage urbain : les instruments de pouvoir et leurs multiples facettes, mis à jour le : 25/06/2020, URL : https://annalesdejanua.edel.univ-poitiers.fr:443/annalesdejanua/index.php?id=1628.

Quelques mots à propos de :  Emmanuel Melin

Statut : Doctorant à l’université Paris Ouest-Nanterre – Laboratoire : CHISCO – Directeur de recherche : Franck Collard – Titre du mémoire (ou de la thèse) : « Entre gouvernement et mémoire. Les archives des institutions municipales de Reims, du xiiie au xviie siècle : constitution, gestion et usages » – Thématiques de recherche : Histoire institutionnelle, archivistique, mémoire urbaine, histoire urbaine, Reims - Contact : melin_emmanuel@yahoo.fr ...