Communautés religieuses et pouvoirs laïques à Rouen (xe-xve siècle) : une histoire de l’appropriation des territoires

Par Lise Levieux
Publication en ligne le 13 avril 2017

Résumé

The case of the city of Rouen at the end of the Middle Ages illustrates the seriousness of the tensions regarding land appropriation between the communities and the city. In Rouen, the expansion of the city and the growing number of religious communities (nearly thirty parish churches and fifteen religious communities by the end of the Middle Ages) created tensions relating to land control. Indeed, the various stakeholders, whether religious or secular, who were present in the urban space, left a mark on the land materially as well as immaterially. This article is about power monumentalization inside the city, i.e. the act of building monuments by the religious or secular authorities whose purpose was to establish their power. The second subject matter will cover the creation of territories defined as social spaces claimed by the inhabitants, regardless of their size. The aim will be to analyse how a social stakeholder, or even a whole group, claimed spaces to create well defined territories such as parishes or preaching areas. However, the territory was also a space of life, a space of imaginary realms and representations where public displays such as processions had a major role. The processional cortege immaterially left a mark (i.e. in a non-tangible manner) on the urban space.

Le cas de la ville de Rouen à la fin du Moyen Âge illustre la gravité des tensions liées aux questions d’appropriation des territoires entre les communautés et la ville. En effet, l’accroissement de la ville et l’augmentation du nombre des communautés religieuses (près de trente églises paroissiales et quinze communautés religieuses à la fin du Moyen Âge) ont créé des tensions relatives aux emprises territoriales. En effet, les différents acteurs, aussi bien religieux que laïcs, présents dans l’espace urbain, ont marqué le territoire de façon matérielle autant qu’immatérielle. Il sera donc question dans le présent article de la monumentalisation des pouvoirs à l’intérieur de la ville, autrement dit de l’édification de bâtiments par les pouvoirs religieux ou laïcs ayant comme dessein d’asseoir leur pouvoir. Le deuxième point étudié concernera la création de territoires définis comme espaces socialisés appropriés par ses habitants quelle que soit sa taille. Il s’agira ainsi d’étudier la manière dont un acteur social, voire un groupe entier, s’est approprié des espaces pour créer des territoires bien définis tels que les paroisses ou les zones de prêche. Or le territoire est également un espace vécu, celui de l’imaginaire et des représentations dans lequel les manifestations publiques telles que les processions jouent un rôle majeur. En effet, le parcours processionnel marque de façon immatérielle, c’est-à-dire non tangible, l’espace urbain.

Mots-Clés

Texte intégral

1La monumentalisation des pouvoirs n’est pas un fait propre à Rouen1. En effet, le fait de donner un caractère monumental à une construction est au Moyen Âge un procédé courant et souvent lié à l’expansion urbaine. Dans ce climat d’émulation, chantiers d’églises, cathédrales, enceintes et forteresses, palais princiers structurent la ville et symbolisent, pour les premiers le pouvoir religieux et pour les seconds le pouvoir laïque. Ainsi, chaque catégorie d’acteurs, laïcs ou religieux, a obtenu au cours des siècles des privilèges et des droits lui permettant d’affirmer son pouvoir dans la ville. Le terme d’acteur recouvre ici plusieurs acceptions. Les acteurs religieux peuvent faire référence à l’évêque, l’archevêque, les chanoines de la cathédrale, les moines bénédictins, les frères mendiants ou hospitaliers, en somme toute personne ou institution religieuse. Par ailleurs, les acteurs laïcs peuvent désigner le duc, le comte, le roi ou une institution comme la commune.

2Ce phénomène de monumentalisation est le fruit de nombreux conflits entre les divers pouvoirs de la ville dans le but de s’approprier le territoire. Cependant comment se manifeste-t-il dans l’espace urbain ? Comment religieux et laïcs ont procédé à la création d’édifices toujours plus grands pour affirmer leur pouvoir territorial ?

3Les acteurs religieux se sont imposés monumentalement grâce au clocher. Cet intérêt des religieux pour la hauteur des clochers s’explique principalement par le fait qu’ils constituent des repères essentiels de la ville ainsi que par la possibilité d’installer un type de hiérarchisation selon le statut des églises. Ce fait se retrouve clairement sur la Grande vue de Jacques le Lieur de 1525 (fig. 1). Cette dernière représente la ville de Rouen vue du faubourg Saint-Sever. Malgré son apparent réalisme, elle est avant tout une représentation symbolique de la ville. Les repères essentiels tels que les églises, la cathédrale et le beffroi y sont effectivement grossis ce qui donne une représentation en partie faussée de la ville2. Cette vue, faute de donner des localisations précises, apporte un aperçu de l’emprise religieuse à Rouen puisque sont représentés églises paroissiales, collégiales, couvents, monastères ainsi que la cathédrale3. Toujours est-il que le clocher de la cathédrale est bien plus haut que celui des autres communautés : siège de l’évêque, construite au début du xie siècle et dédicacée en 1063, elle est le symbole religieux le plus important de Rouen et impose de fait l’évêque comme le pouvoir religieux par excellence de la ville. Cet édifice est concurrencé, ou tout du moins suivi, par l’abbatiale Saint-Ouen, la plus grande communauté de moines bénédictins de Rouen au Moyen Âge.

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Fig. 1 : Grande vue de Jacques le Lieur © Rouen, BmR, Ms g 3-5 vue 01 (voir l’image au format original)

4Cette monumentalisation n’est pas seulement verticale puisqu’elle apparaît également horizontalement. En effet, l’emprise au sol des établissements religieux à Rouen est un autre élément important dans l’appropriation des territoires car ce sont bien des portions d’espace que les communautés religieuses s’accaparent ou reçoivent en dons pendant les premières années après leur arrivée. Elles intègrent ces acquisitions ou ces donations dans leur enclos conventuel afin d’étendre leur emprise dans la ville mais aussi dans le but de vivre selon leurs règles. Selon John Schofield, ils représentent symboliquement des cités célestes à l’intérieur de la ville4. Ces « cités » de Dieu s’apparentent donc à des microsociétés à l’intérieur de la société urbaine. La puissance de la communauté, l’ordre ou le lieu d’implantation, influence l’emprise au sol des monastères et couvents. Par exemple, il est difficile à la communauté bénédictine de Saint-Amand d’augmenter son territoire puisqu’elle se situe entre les deux grands établissements religieux du Moyen Âge : la cathédrale et l’abbaye Saint-Ouen5. Un autre phénomène est davantage lié à l’ordre chronologique d’implantation : les premières implantations mendiantes sont généralement bien plus petites que leurs secondes implantations définitives.

5Sur les 185 hectares enclos de la ville de Rouen, la totalité des espaces réguliers représente 16 hectares à la fin du xve siècle. Ce qui n’est pas négligeable (Tab. 1). Les communautés ayant choisi de s’installer à l’extérieur de l’enceinte ont davantage eu la possibilité d’étendre leur enclos : elles occupent une superficie de 18 hectares. La date de leur apparition dans la ville influence le développement spatial des communautés (Tab. 2). Ainsi, les communautés bénédictines implantées tôt dans la ville (dans la zone intra ou extra-muros) occupaient 15 hectares alors que les chanoines réguliers avaient une emprise au sol d’à peine 1 hectare. Les ordres semi-érémitiques, ayant la volonté de vivre en autarcie et hors du monde, se sont implantés, à partir du xiie siècle dans des lieux assez éloignés afin de s’étendre : leur emprise est de 12 hectares. Enfin, les religieux mendiants, arrivés au xiiie siècle n’ont pu agrandir leur enclos autant qu’ils le voulaient car l’espace urbain était déjà saturé : l’emprise au sol de leurs établissements est de 7 hectares.

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Tab. 1 : Superficie des enclos conventuels à la fin du xiiie siècle selon leur localisation par rapport à leur enceinte © Lise Levieux (voir l’image au format original)

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Tab. 2 : Superficie des enclos conventuels à la fin du xiiie siècle selon leur date d’implantation © Lise Levieux (voir l’image au format original)

6Au moyen de l’emprise visuelle au sol, les acteurs religieux ont donc imposé très tôt leur pouvoir dans la ville et ceci de manière significative (fig. 2). Or ils ne sont pas les seuls à s’être servi de cette pratique de monumentalisation. Les détenteurs du pouvoir laïc ont également imposé leur présence matérielle dans la ville : les ducs de Normandie puis les rois ont commandé la construction d’édifices de grande taille. Ce passage du pouvoir des mains du duc normand à celles du roi de France entraîna des changements importants dans la structure symbolique et matérielle de la ville.

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Fig. 2 : Emprise des enclos réguliers à la fin du Moyen Âge © Lise Levieux (voir l’image au format original)

7Les écrits de Dudon de Saint-Quentin donnent l’impression que coexistèrent à Rouen plusieurs nobles demeures plus ou moins assimilables à des palais6. Or la première résidence ducale située à l’angle sud-ouest du castrum ne conserva sa fonction que pour une courte durée7 : les ducs prirent l’habitude dès le xie siècle de loger dans un second palais appelé la tour de Rouen ou grande tour8. Cette dernière était située à l’angle sud-est du castrum (fig. 3). La construction de cette tour fut certainement motivée par la menace représentée par le roi de France : logée dans l’angle de l’enceinte du iiie siècle et bordée par la Seine, elle permettait de voir arriver des troupes provenant du sud et donc de Paris. Cependant, cette aula turris avait également une valeur symbolique et sociale9 : elle représentait le pouvoir ducal dans la ville. En effet, les ducs résidant peu fréquemment à Rouen se devaient de rappeler aux habitants qu’ils détenaient le pouvoir10. Ainsi, ce fut certainement dans cette optique, et également dans un but défensif, qu’Henri II ceintura la grande tour ducale en 1124 (fig. 4) et étendit l’espace clos de la cité11. Les murs de la cité ont autant une fonction politique et économique que symbolique, mais ce territoire n’est pas seulement celui où le duc peut exercer son pouvoir librement à travers les détails architecturaux. Il s’agit aussi d’un espace social qu’il doit protéger.

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Fig. 3 : Emplacement du château ducal selon Bernard Gauthiez © Lise Levieux (voir l’image au format original)

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Fig. 4 : Rouen et ses environs sous les ducs © Fanny Madeline, « Rouen and its place in the building policy of the angevin kings », dans Society and culture in medieval Rouen, 911-1300, dir. L. Van Hicks, E. Brenner, Turnhout , 2013, p. 67, map. 8 (voir l’image au format original)

8Après la capitulation de Rouen le 24 juin 1204, Philippe Auguste (1180-1223) réalisa une entreprise de monumentalisation. Cependant, avant de démarrer la construction de son château, il agit en conquérant : les édifices symbolisant le pouvoir ducal furent détruits. De ce fait, il procéda au démantèlement de la tour ducale entre 1216 et 1224, aussi appelée « vieux palais » dans les sources. Cette destruction s’expliquait aisément : le château n’était plus d’un grand intérêt défensif car la menace venait maintenant du nord et de l’ouest et elle représentait le pouvoir ducal devant être éradiqué12. Une fois la destruction de la tour effectuée, Philippe Auguste entreprit la construction d’un monument symbolisant l’appartenance de la ville de Rouen au domaine capétien : le château Bouvreuil13 (fig. 5 et fig. 6). La menace venant désormais du nord, le monument fut établi sur un site près de l’angle nord-ouest de l’enceinte dite de Philippe Auguste (fig. 7). Il comportait un donjon circulaire, un châtelet d’entrée et une enceinte. Ce château fort faisait partie des plus grands châteaux philippiens en France14. Sa position topographique et sa grandeur firent de ce château l’un des monuments les plus marquants de la ville de Rouen jusqu’à ce qu’il soit concurrencé au xve siècle par la construction d’un autre château : celui du roi anglais Henri V en 1419. Cette forteresse, située au coin sud-ouest de la ville, fut construite à l’emplacement de l’ancien clos aux Galées. Elle resta un élément défensif mais aussi la marque de l’occupation anglaise jusqu’au xviiie siècle.

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Fig. 5 : Plan du château de Philippe-Auguste et mis en service en 1216 © Bernard GauthiezLa logique de l’espace urbain, formation et évolution : le cas de Rouen, Thèse de doctorat [dactyl.], Rouen, Université de Rouen, 1991, p. 207, fig. 69 (voir l’image au format original)

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Fig. 6 : Le Vieux Palais (extrait de la vue de Rouen accompagnant le Livre des Fontaines de J. Le Lieur, 1525) © Dominique Leost, Le château de Rouen (1204-1591), De la construction au démantèlement, Tome I, Thèse de doctorat [dactyl.], Université de Rouen, 2001 (voir l’image au format original)

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Fig. 7 : Localisation du château de Philippe-Auguste © Lise Levieux (voir l’image au format original)

9Ce processus de monumentalisation est donc un moyen de s’approprier divers territoires mais également le résultat de la confrontation de divers pouvoirs dans la ville. Cependant, les différents acteurs urbains se sont opposés à différentes échelles afin de s’imposer en ville. Ainsi comment ces rivalités entre les divers pouvoirs ont elles marqué la ville ? Quels sont les moyens pour les acteurs religieux, souvent rivaux, de s’affirmer dans l’espace restreint qu’est la ville ? Nous verrons que cette opposition a donné lieu à la création de territoires fragmentés dans la ville à l’image du réseau paroissial ou des zones de prêches. Puis, nous verrons que l’affirmation du pouvoir dans le territoire a pu s’effectuer dans le domaine symbolique puis dans le domaine juridictionnel.

Un territoire fragmenté par les conflits de clochers

Le maillage des paroisses rouennaises : entre fixation et contestation

10Il est nécessaire de distinguer deux dimensions dans la paroisse : la dimension matérielle de l’église et la dimension spatiale du ressort15. À Rouen, la mise en place des églises paroissiales s’effectua entre le ixe siècle et le début du xiiie siècle : elles étaient au nombre de trente-sept16 (fig. 8). La première mention de parrochia comme entité date, cependant, de la fin du xiie siècle : Raoul, abbé de Fécamp, Nicolas, abbé de Valmont et R. Prieur de Fécamp mettent fin à la querelle qui oppose le prieuré Saint-Thomas du Mont à Rouen d’une part et Guillaume Lepeintre et sa femme Mathilde d’autre part au sujet d’une terre située à Rouen dans la paroisse Saint-Laurent17. La paroisse servait donc de cadre dans lequel il était possible de localiser un bien. Le réseau paroissial s’étoffa ensuite au cours du xiiie siècle18. Une fois les différentes facettes du processus de formation des paroisses parvenues toutes à leur terme, la paroisse cesse d’évoluer : il paraît dès lors impossible de modifier le maillage paroissial qui se fixe et se fige en même temps que la paroisse devient une réalité territoriale19. Ainsi, les plans des paroisses effectués pour le xviie siècle ne s’éloignent pas de la réalité médiévale à l’exception près de la paroisse Saint-Clément supprimée en 1251 (fig. 9).

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Fig. 8 : Les églises paroissiales au début du xiiie siècle © Lise Levieux (voir l’image au format original)

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Fig. 9 : Le maillage paroissial de Rouen au début du xiiie siècle © Lise Levieux (voir l’image au format original)

11Le territoire paroissial apparaît rapidement comme le moyen d’asseoir son pouvoir spirituel et temporel dans la ville : spirituel car le curé prend soin de l’âme de ses fidèles20 ; temporel car il obtient les droits et revenus paroissiaux21. La possession d’une maison, et donc de paroissiens supplémentaires, se révèlent être très importants pour le prêtre. Au cours du Moyen Âge, une dizaine de procès a lieu afin de déterminer l’appartenance d’une maison à une paroisse précise : l’enjeu était de délimiter la paroisse mais aussi de percevoir de nouveaux droits paroissiaux22. Ainsi, au xive siècle un procès se déroula en l’officialité de Rouen, entre le prieur, les religieux et le curé de Saint-Lô d’une part et Simon Hardy, curé de Saint-Amand, d’autre part. Il s’agissait de savoir à quelle paroisse appartenait une maison située rue de la Chaîne : le dit procès concernait les droits funéraires prétendus par le curé de Saint-Amand pour l’inhumation du nommé Gilles Ferrières, décédé en ladite maison, inhumé à Saint-Lô, conformément à ses dernières volontés23.

12Si la paroisse relevait la plupart du temps du pouvoir religieux séculier, cela n’empêcha pas les religieux réguliers d’influencer la structure de ces territoires. Ainsi, le clergé régulier pouvait posséder une paroisse et y percevoir des droits. Ils purent également avoir un impact sur le ressort paroissial. Par exemple, en 1251, l’archevêque Eude Rigaud donna aux religieux franciscains l’église Saint-Clément leur permettant ainsi de développer leur couvent autour de cet édifice cultuel. Or cela entraîna la disparition de la paroisse du même nom : la moitié des paroissiens fut jointe à Saint-Étienne des Tonneliers, l’autre moitié fut adjointe à la paroisse Saint-Martin-du-Pont24. Les Franciscains ne se sont pas appropriés ce territoire mais ils ont joué un rôle dans sa suppression. Cependant, la nécessité d’entrer dans la ville ainsi que leur lien avec Eudes Rigaud ont modifié le paysage paroissial25.

13Les conflits concernant les territoires paroissiaux ont débuté dès le xiie siècle mais ont perduré les siècles suivants notamment avec de nouveaux ordres religieux tels les ordres mendiants. Ces nouveaux frères ont en effet été perçus par les religieux traditionnels ainsi que par le clergé séculier comme des rivaux. Or cette rivalité existe également entre les diverses branches mendiantes multipliant ainsi les discordes.

L’arrivée des ordres mendiants à Rouen : discordes et découpages territoriaux

14L’arrivée des religieux mendiants a provoqué de nouveaux conflits. Premièrement, les religieux sont confrontés à l’hostilité des anciens ordres monastiques puisqu’ils attirent les faveurs des bourgeois de la ville26. Deuxièmement, le clergé s’oppose à eux afin de ne pas partager les revenus27. Enfin, les différents ordres mendiants doivent avoir leur propre zone de prêche et définir leurs termini. De ce fait, Clément VI fixe à 500 mètres la distance minimale entre les maisons religieuses28. À Rouen, cette distance entre les établissements religieux n’a pas été respectée. La distance entre les couvents mendiants n’a, par exemple, jamais atteint 500 mètres. Tout au plus étaient-ils distants de 300 mètres à 450 mètres (fig. 10). Cette distance est nécessaire pour que les différents religieux puissent prêcher sereinement : cela engendre la création d’espaces dans lesquels les religieux peuvent faire leur prédication sans craindre la rivalité d’un autre ordre.

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Fig. 10 : Distance entre les couvents mendiants © Lise Levieux (voir l’image au format original)

15Outre la distance entre les couvents mendiants, les sources rouennaises indiquent que ces communautés organisent leur zone de prêche dans les villes du diocèse de Rouen. Chaque ordre possède une station à partir de laquelle une zone de prêche est délimitée. Ces zones sont nommées les termini. Les termini sont les limites données à une série de communautés mendiantes pour définir leur zone d’action29. Cet ancrage urbain fait aussi l’objet de négociations et d’accords entre les religieux mendiants eux-mêmes. Les couvents se répartissent le territoire : ils découpent la ville en quartiers censés représenter les zones sur lesquelles ils prêchent mais surtout dans lesquelles ils sont habilités à quêter30. L’importance de ces zones de prédication s’est révélée primordiale au xviie siècle, période au cours de laquelle les communautés se sont multipliées. Néanmoins, elles étaient déjà présentes à la fin du Moyen Âge. En effet, la documentation atteste de l’importance des requêtes et consentements de station au début du xvie siècle. En 1549, la cour du Parlement autorise les quatre communautés mendiantes de la ville de Rouen à posséder des aires où ils pourront prêcher. En 1612, puis en 1617, sont publiés les détails des stations accordées aux quatre communautés mendiantes dans l’étendue du diocèse de Rouen, stations accordées depuis longtemps31. L’objectif est donc de créer de nouveaux territoires propres aux religieux mendiants : ils possèdent désormais des espaces délimités afin de délivrer la parole divine aux habitants de la ville mais aussi de s’attirer leurs faveurs. Les frères étaient régulièrement envoyés dans ces zones pour la quête et la prédication32. Ces zones n’étaient pas limitées à la ville d’implantation des religieux, c’est-à-dire à la ville où était établie la communauté. Ainsi, les Cordeliers de Rouen, par exemple, possédaient des stations à Veulles ou à Pont-Audemer33. Les sources sont malheureusement trop peu nombreuses pour réaliser une carte restituant spatialement ces aires de prêche. Néanmoins, la création de ces zones n’empêche pas les conflits relatifs à la prédication avec les autres ordres traditionnels. Ainsi, en 1508, les Dominicains gagnent par arrêt de l’Échiquier le droit de pouvoir prêcher la passion le vendredi contre le prieur de Bonne-Nouvelle34.

16Les religieux, séculiers comme réguliers, ont donc contribué à la modification ou à la création de divers territoires afin de résoudre leurs conflits. Or si la définition de nouveaux territoires a permis d’imposer son pouvoir dans un espace donné, d’autres moyens, relevant davantage du juridictionnel et du symbolique, se sont également révélés efficaces.

Une affirmation du pouvoir dans l’espace : déambulation et affirmation juridictionnelle

La procession des Rogations : s’approprier l’espace par la déambulation

17Partons d’un constat établi par Alexis Wilkin : « la déambulation répétée aide à la fixation de l’espace dans les esprits »35. La procession, définie comme un défilé de prêtres et de fidèles empreint de solennité à l’occasion d’une cérémonie, participe à ce processus d’ancrage de l’espace urbain, particulièrement des lieux religieux, dans les mentalités. En conduisant les fidèles d’une église à une autre, la pratique processionnelle permet de marquer symboliquement l’espace. Le pouvoir religieux affirme sa puissance temporelle et spirituelle dans la ville. Bien sûr, le succès de ces processions est variable : cela dépend de leur symbolique et du lien qu’elles ont avec le passé de la cité36. En déambulant dans la ville, l’objectif des acteurs religieux, notamment de l’évêque est simple : il s’agit de symboliser l’unité du peuple chrétien autour de son évêque et la dépendance de chaque église et de chaque chrétien vis-à-vis de son évêque37. La signification de cette déambulation explique que couramment aucun quartier de l’espace urbain n’est oublié.

18Pour illustrer ce propos, prenons l’exemple des Rogations. Cette procession est constituée de prières publiques récitées le 25 avril, fête de saint Marc, et pendant les trois jours qui précèdent la fête de l’Ascension pour attirer la bénédiction divine sur les récoltes et sur les travaux des champs. Elle est conçue comme une fête religieuse de référence à l’époque carolingienne et jusqu’au xe siècle, alors que les mentions explicites et bien datées de procession intégrant le populus ne se rencontrent guère avant le xie siècle38. Ainsi, au Moyen Âge, la procession des Rogations est un moment de cohésion sociale associant les religieux aux paroissiens.

19Les Rogations introduisent le jeudi de l’Ascension, véritable point d’orgue de l’année rouennaise (fig. 11). La procession suit chaque jour un itinéraire différent. Le lundi, elle sort de la cathédrale par le portail Saint-Étienne. Prenant la rue Grand-Pont, la procession s’arrête devant l’église Saint-Martin-du-Pont où a lieu la première station. La procession continue vers Saint-Éloi, s’arrêtant au passage à la chapelle des Cordeliers et l’église Saint-Vincent. Parvenue à Saint-Éloi, grande station du lundi, a lieu la prostration et le sermon au peuple. Les processionnaires repartent ensuite à Saint-Éloi, s’arrêtent dans le cimetière de l’église Saint-Sauveur du Vieux Marché et la procession retourne ensuite à la cathédrale. Les jours suivants, c’est-à-dire le mardi puis le mercredi, celle-ci passe par d’autres lieux emblématiques tels le prieuré Saint-Gervais ou l’abbaye de Sainte-Catherine du Mont. La dernière étape de cette procession est l’entrée dans la cathédrale par le portail méridional de la Calende39. Cette procession illustre bien la volonté du pouvoir religieux de s’approprier l’espace. En effet, son trajet est établi de sorte que les paroissiens et le clergé passent par les édifices religieux les plus importants de la ville : la cathédrale, le prieuré Saint-Lô et les abbayes Saint-Ouen, Saint-Amand et de la Trinité du Mont. Le territoire religieux est ainsi intégré dans l’esprit des habitants rouennais.

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Fig. 11 : Procession des Rogations © Grégory Masselis, Processions et fêtes de la rue à Rouen à la fin du Moyen Âge, Mémoire [dactyl.], Rouen, Université de Rouen, 1997 (voir l’image au format original)

20La déambulation en ville, vue ici à travers l’exemple de la procession des Rogations, affirme le pouvoir religieux dans la ville. En effet, moment de cohésion sociale entre laïcs et religieux, elle est avant tout menée par le clergé rouennais, décisionnaire du trajet à emprunter. Ainsi, le passage par les églises paroissiales et les monastères rouennais illustre la volonté du clergé d’affirmer le pouvoir de l’Église dans la ville. Or ce pouvoir s’affirme également lors de batailles juridictionnelles sur un espace plus petit tel que le cimetière.

Le cimetière canonial : un espace conflictuel

21La monumentalisation est, nous l’avons vu, une pratique essentielle dans l’appropriation des territoires. Or la construction de petits édifices peut également revêtir une importance capitale. Tout dépend du lieu où ils sont édifiés. Certains espaces sont la propriété des communautés religieuses : construire sur ce lieu est vu comme un sacrilège. Affirmer la propriété d’une terre équivaut à affirmer son pouvoir temporel sur un espace donné. C’est sur ce principe qu’eut lieu un conflit entre la commune et le chapitre au xiie siècle40. Ils étaient opposés à propos de l’édification d’échoppes, sources de revenus importantes, situées près de la cathédrale.

22Dans le courant de l’année 1192, les chanoines de Notre-Dame de Rouen édifièrent un mur autour du cimetière qui s’étendait en avant du portail de la cathédrale41. Ils firent également construire des boutiques appuyées au mur à l’intérieur du cimetière. Ces dernières étaient louées à des marchands. Cette décision prise par les chanoines d’édifier les boutiques dans le cimetière de leur église était étrange surtout aux regards des précédents.

23Avant cette date, Renaud de Saint-Valéry qui possédait un fief contigu à l’enceinte de Notre-Dame, avait fait construire des maisons sur le terrain même du cimetière. Or au cours de l’établissement des fondations, les corps de plusieurs défunts furent mis au jour et jetés à l’extérieur du cimetière. Par une bulle adressée à l’archevêque de Rouen et à l’évêque d’Amiens, le pape Adrien ordonna aux deux prélats d’avertir ce même Renaud et les habitants des maisons d’avoir, sous menace d’excommunication, à se départir de leur audace et à rendre pleine justice aux chanoines en présence des évêques à raison d’un si grand sacrilège42. Évidemment, lorsqu’ils construisirent les maisons, ils commirent un sacrilège plus grand encore que celui de Renaud de Saint-Valéry, mais ils étaient sur leurs terres et n’hésitèrent pas à édifier ces bâtiments. La commune demanda donc aux chanoines de détruire le mur et les boutiques, mais ceux-ci refusèrent. La commune tint alors conseil et l’assemblée des cent pairs décida d’exécuter par la force la destruction qu’elle n’avait pu obtenir de bon gré : les murs et les boutiques furent jetés à bas. Le chapitre demanda au maire et aux pairs de rétablir le tout et de se soumettre aux tribunaux ecclésiastiques, ce qu’ils refusèrent. Les chanoines firent donc appel aux évêques suffragants et le tribunal ecclésiastique enjoignit à la commune d’accorder au chapitre les satisfactions qu’il réclamait. Les dirigeants de la commune ne s’exécutèrent pas et reçurent plusieurs avertissements. Devant l’absence de résultats, le doyen, avec l’autorisation de l’archevêque, excommunia ces derniers et lança l’interdit sur la ville. Cet interdit avait pour effet de faire cesser le culte dans toute l’étendue du territoire concerné43. Une transaction est établie en 1194 : les habitants de Rouen devaient sous la surveillance du sénéchal remettre le mur et les boutiques dans l’état où ils se trouvaient au moment où le différend naquit entre eux-mêmes et le chapitre.

24En construisant ces boutiques, le chapitre affirme qu’il est maître en ses terres. Il est le décisionnaire acceptant ou non la construction près de la cathédrale. De ce fait, l’édification de leurs bâtiments n’est pas vue comme un sacrilège mais comme un droit qui lui est dû44.

Conclusion

L’affirmation du pouvoir est un processus complexe dans lequel intervient divers niveaux d’analyse. En effet, les acteurs laïcs et religieux agissent à l’échelle de la ville mais aussi à l’échelle de portions d’espaces plus fragmentées telles que les paroisses. Ainsi, la construction de palais et de châteaux pour les rois et les ducs, et celle d’églises et de couvents pour les religieux, est une manière d’affirmer son pouvoir à l’échelle de la ville. En revanche, les conflits concernant les paroisses ou les zones de prêche illustrent bien que l’appropriation du territoire puisse se jouer à une échelle plus petite. Parfois, cette appropriation peut s’effectuer sur une portion d’espace minime tel le cimetière : sa possession temporelle entraîne alors une procédure judiciaire.

Le nombre important d’acteurs sociaux agissant dans la ville crée de nombreux conflits. Chacun se bat pour asseoir son pouvoir en ville. Que ce soit par la construction d’édifices monumentaux ou la création de territoires spécifiques, les acteurs urbains, religieux ou laïcs, ont instrumentalisé l’espace. En effet, la création de bâtiments remarquables permet d’affirmer son pouvoir dans la ville : la monumentalisation est donc bel et bien un instrument de pouvoir. La même conclusion peut être faite pour les territoires paroissiaux ou les zones de prêches : la possession de ces portions d’espace au clergé pour les paroisses, aux mendiants pour les zones de prêche, leur assure un contrôle important dans la ville. Enfin, la juridiction est elle aussi instrumentalisée au profit des acteurs sociaux.

Ainsi, la rivalité entre les divers acteurs et la nécessité d’affirmer leur pouvoir ont entraîné l’instrumentalisation des monuments et des territoires urbains. Cette instrumentalisation devient alors une assise du pouvoir religieux comme du pouvoir laïc dans la ville.

Sources et bibliographie

Sources

Sources imprimées

25Pouillés de la province de Rouen, éd. A. Longnon, Paris, C. Klincksieck, 1903.

26Dudon de Saint-Quentin, De moribus et actis primorum Normannia ducum, éd. J. Lair, Mémoire de la société des Antiquaires de Normandie, XXIII, 1865.

Sources écrites

Archives départementales de Seine Maritime

27Rouen, Arch. dép. Seine Maritime, G 3595, n° 3.

28Rouen, Arch. dép. Seine-Maritime, G 6858.

29Rouen, Arch. dép. Seine-Maritime, 25HP1.

30Rouen, Arch. dép. Seine-Maritime, 35H2.

31Rouen, Arch. dép. Seine-Maritime, 35H38.

32Rouen, Arch. dép. Seine-Maritime, 36H15.

Bibliothèque municipale de Rouen

Bibliothèque Municipale de Bayeux

Bibliographie

Ouvrages

33Bernard Gauthiez, La logique de l’espace urbain, formation et évolution : le cas de Rouen, Thèse de doctorat [dactyl.], Université de Rouen, 1991.

34Dominique Iognat-Prat, La Maison Dieu, Une histoire de l’Église au Moyen Âge, Paris, Seuil, 2006.

35Michel Lauwers, Naissance du cimetière, Lieux sacrés et terres des morts de l’Occident médiéval, Paris, Aubier, 2005.

36Dominique Leost, Le château de Rouen (1204-1591), De la construction au démantèlement, Tome I, Thèse de doctorat [dactyl.], Université de Rouen, 2001.

37Lise Levieux, Les communautés régulières à Rouen et leurs espaces funéraires du haut Moyen Âge au début du xixe siècle, Mémoire [dactyl.], Université de Rouen, 2013.

38Grégory Masselis, Processions et fêtes de la rue à Rouen à la fin du Moyen Âge, Mémoire [dactyl.], Université de Rouen, 1997, p. 92-94.

39Pour une géographie du pouvoir, dir. C. Raffestin, R. Brunet et C. Kobler, Paris, Librairies techniques, 1980.

40Claude Schadeck, Les églises paroissiales médiévales de Rouen et leurs cimetières : contribution à la topographie religieuse, Mémoire [dactyl.], Université de Rouen, 2014.

41Panayota Volti, Les couvents des ordres mendiants et leur environnement à la fin du Moyen Âge : le nord de la France et les anciens Pays-Bas méridionaux, Paris, CNRS, 2003.

Articles ou chapitres d’ouvrages collectifs

42Paul Bertrand, « Limitatio, termini, predicatio. Réflexions sur les limites dans les couvents dominicains, entre nord et sud. Autour du dossier documentaire du couvent dominicain de Rodez », dans Cahiers de Fanjeaux, n° 46 : Lieux sacrés et espace ecclésial (ixe-xve siècle), 2011, p. 465-478.

43Michèle Gaillard, « La présence épiscopale dans la ville du haut Moyen Âge : sanctuaires et processions », dans Histoire urbaine, n° 10, 2004, p. 123-140.

44René Germain, « Revenus et actions pastorales des prêtres paroissiaux dans le diocèse de Clermont », dans Le clerc séculier au Moyen Âge, éd. Société des historiens médiévistes de l’enseignement supérieur public, Paris, Publications de la Sorbonne, 1992, p. 101-119.

45Ludolf Kuchenbuch et al., « La construction processionnelle de l’espace urbain », dans Écritures de l’espace social. Mélanges d’histoire médiévale offerts à Monique Bourin, dir. D. Boisseuil [et al.], Paris, Publications de la Sorbonne, 2010, p. 139-182.

46Jacques Le Maho, « Autour d’un millénaire : l’œuvre architecturale à Rouen de Richard Ier, duc de Normandie (+ 996) », dans Bulletin des Amis des Monuments Rouennais, octobre 1996-septembre 1997, p. 62-83.

47Fanny Madeline, « Rouen and its place in the building policy of the Angevin kings », dans Society and culture in medieval Rouen, 911-1300, dir. L. Van Hicks, E. Brenner, Turnhout, Brepols, 2013, p. 67-88.

48Jérôme Monnet, « La symbolique des lieux : pour une géographie des relations entre espace, pouvoir et identité », dans Cybergeo: European Journal of Geography [En ligne], Politique, Culture, Représentations, document 56.

49Hélène Noizet, « De l’église aux territoires : les paroisses de Tours (xie-xiiie siècle) », Médiévales [En ligne], 49 | automne 2005.

50John Schofield et Geoffrey Stell, « The built environment 1300-1540 », dans The Cambridge urban history of Britain, dir. p. Clarke, d. Palliser, m. Daunton, Cambridge, Cambridge University Press, 2000, p. 371-393, en part. p. 382.

51Alexis Wilkin, « Gérer les archives, maîtriser l’espace au Moyen Âge. Le cas de la cathédrale Saint-Lambert de Liège », dans Revue belge de philologie et d’histoire, t. 89, fasc. 2, 2011, p. 961-988.

52Elizabeth Zadora-Rio, « Lieux d’inhumation et espaces consacrés. Le voyage du pape Urbain II en France (août 1095-août 1096) », dans Lieux sacrés, lieux de culte, sanctuaires. Approches terminologiques, historiques et monographiques, dir. A. Vauchez, Rome, École française de Rome, 2000, p. 197-203.

Documents annexes

Notes

1 Ce terme illustre le fait de donner un caractère monumental à une construction. Cette pratique de la monumentalisation des pouvoirs consiste en la construction d’édifices prestigieux tels que les palais, les châteaux, les églises abbatiales, etc. Cette monumentalisation n’est pas propre au Moyen Âge. Elle est encore effective de nos jours. Par exemple, Jérôme Monnet affirme que l’espace public joue un rôle déterminant dans l’efficacité symbolique d’un lieu. De ce fait résulte une pratique constante de monumentalisation de l’espace public dès la moindre intervention des autorités sur la forme matérielle (Jérôme Monnet, « La symbolique des lieux : pour une géographie des relations entre espace, pouvoir et identité », dans Cybergeo: European Journal of Geography [En ligne], Politique, Culture, Représentations, document 56).

2 Cette vue suit en effet les codes de représentation médiévaux où les éléments remarquables sont grossis.

3 Concernant les établissements religieux, il est possible de repérer : les abbayes et prieurés bénédictins, l’Hôtel-Dieu de la Madeleine, les couvents mendiants et les établissements des chanoines réguliers (Saint-Lô).

4 John Schofield et Geoffrey Stell, « The built environment 1300-1540 », dans The Cambridge urban history of Britain, dir. P. Clarke, D. Palliser, M. Daunton, Cambridge, Cambridge University Press, 2000, p. 371-393, en part. p. 382.

5 Ce fait s’explique principalement par plusieurs facteurs : l’appartenance de Saint-Ouen et de Saint-Amand au même ordre, une date d’implantation (ou de restauration) similaire à la fin du xie et au début du xiie et la différence du sexe de la communauté.

6 Dudon de Saint-Quentin, De moribus et actis primorum Normannia ducum, éd. J. Lair, Mémoire de la société des Antiquaires de Normandie, XXIII, 1865, p. 183 (conduxit magnifice Rotomagensis urbis arcibus), p. 241 (repetiit castra Rotomagensia velocius). En effet, il existait deux sites distincts : Saint-Pierre-du Châtel et la Vieille-Tour.

7 Jacques Le Maho présente trois arguments en faveur de cette première résidence ducale : le terme donjon atteste la présence d’une résidence princière ; de plus, sous ses murs se trouve le principal site d’amarrage des navires de mer et probablement le port d’attache de la flotte ducale ; enfin au xiie siècle, le site appartient aux sires de Tancarville : Rabel de Tancarville commanda l’armada de Robert le Magnifique en vue d’une expédition en Angleterre (Dominique Leost, Le château de Rouen (1204-1591), De la construction au démantèlement, Tome I, Thèse de doctorat [dactyl.] , Université de Rouen, 2001, p. 234 ; Jacques le Maho, « Autour d’un millénaire : l’œuvre architecturale à Rouen de Richard Ier, duc de Normandie (+ 996) », dans Bulletin des Amis des Monuments Rouennais, Octobre 1996-Septembre 1997, 1997, p. 62-83, en part. p.65-68).

8 D’après Robert de Torigny, cette tour fut édifiée par le duc Richard Ier (942-996). Il n’est pas impossible que ces deux sites résidentiels aient pu coexister.

9 Le terme d’aula turris est employé dans une charte de l’évêque de Bayeux du 30 novembre 1074 (Bayeux, Bibl. mun., cartulaire, n° 2, vol. I, fol. 47). Cette dernière mentionne pour la première fois la tour de Rouen.

10 Richard Ier résida le plus souvent à Fécamp mais effectua quelques voyages à Rouen pour sa vocation politique, religieuse et économique. Son successeur Richard II séjourna sept fois à Rouen entre 1009 et 1024 puis ne quitta plus le palais de Fécamp. Le duc Robert le Magnifique (1027-1035) fit deux séjours à Rouen : le premier entre 1030 et 1032 et le second entre 1040 et 1066. Enfin son fils, Guillaume le Conquérant, duc de Normandie de 1035 à 1087, délaissa en partie la ville de Rouen pour Caen puisqu’il n’y résida que huit fois (D. Leost, op. cit. n. 7, p. 243-244).

11 Fanny Madeline, « Rouen and its place in the building policy of the Angevin kings », dans Society and culture in medieval Rouen, 911-1300, dir. L. Van Hicks, E. Brenner, Turnhout, Brepols, 2013, p. 67-88, en part. p. 72-73. Henri II déplaça également la résidence ducale sur la rive gauche de la Seine à Petit-Quevilly.

12 Bernard Gauthiez, La logique de l’espace urbain, formation et évolution : le cas de Rouen, Thèse de doctorat [dactyl.], Université de Rouen, 1991, p. 206.

13 La construction de ce château aurait débuté en 1205. En 1216, sa construction est certainement sur le point d’être achevée car il semble déjà être habité (B. Gauthiez, op. cit. n. 12, p. 208).

14 La superficie de ce château est de 8 100 m2 soit près d’un hectare : à l’échelle de la ville, son emprise au sol est donc importante. De plus, la hauteur de sa tour, dite tour Jeanne d’Arc, est d’environ 35 mètres : cela en fait un signe distinctif dans le paysage urbain.

15 Hélène Noizet, « De l’église aux territoires : les paroisses de Tours (xie-xiiie siècle) », Médiévales [En ligne], 49 | automne 2005, p. 1.

16 La plupart de ces édifices existaient avant cette date mais n’avaient pas encore de fonction paroissiale. Par exemple, l’église Saint-Martin du Pont, construite à l’origine sur l’île de la Roquette, est mentionnée par Grégoire de Tours en tant que basilica. Elle est également citée par Dudon de Saint-Quentin comme chapelle. Elle est attestée comme église paroissiale au début du xiiie siècle (Claude Schadeck, Les églises paroissiales médiévales de Rouen et leurs cimetières : contribution à la topographie religieuse, Mémoire [dactyl.], Université de Rouen, 2014, p. 121).

17 Les termes latins de cette charte datée de 1189 sont les suivants : « in civitate Rothomagum in parrochia Sancti Laurentii. » (Rouen, Arch. dép. Seine-Maritime, 25HP1).

18 Le pouillé dit d’Eudes Rigaud est la première source attestant la fonction paroissiale d’un édifice (Pouillés de la province de Rouen, éd. A. Longnon, Paris, C. Klincksieck, 1903).

19 H. Noizet, (art. cit. n 15), p. 5.

20 Dominique Iognat-Prat, La Maison Dieu, Une histoire de l’Église au Moyen Âge, Paris, Seuil, 2006, p. 246.

21 Les revenus paroissiaux sont constitués de revenus fonciers (domaine presbytéral, fondations et dîmes) et essentiellement du casuel, des droits d’autel et des droits d’église (René Germain, « Revenus et actions pastorales des prêtres paroissiaux dans le diocèse de Clermont », dans Le clerc séculier au Moyen Âge, éd. Société des historiens médiévistes de l'enseignement supérieur public, Paris, Publications de la Sorbonne, 1992, p. 101-119).

22 Ces procès sont aussi les seules sources permettant d’avoir des indications sur la délimitation des paroisses au Moyen Âge.

23 Rouen, Arch. dép. Seine-Maritime, G 6858.

24 Rouen, Arch. dép. Seine-Maritime, 35H2, n° 25.

25 Les Franciscains se sont installés dans un premier temps à l’est du castrum du iiie siècle en la chapelle Saint-Marc (Rouen, Arch. dép. Seine-Maritime, 35H2).

26 En effet, les bourgeois demandent de plus en plus à être inhumés dans les couvents mendiants de Rouen et ont tendance à attirer de nombreuses fondations, parfois au détriment des anciens ordres. Cependant, ces derniers bénéficiaient toujours de donations et tiraient des revenus de leurs rentes : cela explique certainement que les sources mentionnent peu de conflits entre les ordres mendiants et les autres ordres réguliers (Lise Levieux, Les communautés régulières à Rouen et leurs espaces funéraires du haut Moyen Âge au début du xixe siècle, Mémoire [dactyl.], Université de Rouen, 2013, p. 273-275).

27 Les conflits concernent essentiellement les droits de sépulture. Ils interviennent souvent à l’initiative du curé de la paroisse qui proteste contre les inhumations dans les couvents et dans les monastères. La convoitise autour des sépultures s’explique principalement pour des raisons économiques plus que par des raisons spirituelles. En effet, lorsque les religieux inhumaient dans leur église, ils obtenaient le revenu pro anima du vivant de la personne et le casuel lors de l’ensevelissement. De plus, le défunt dans son testament pouvait faire des dons aux établissements religieux et il s’agissait généralement du lieu où il demandait à être inhumé qui en recevait le plus (L. Levieux, op. cit. n. 26, 274).

28 Panayota volti, Les couvents des ordres mendiants et leur environnement à la fin du Moyen Âge : le nord de la France et les anciens Pays-Bas méridionaux, Paris, CNRS, 2003, p. 21.

29 Paul Bertrand, « Limitatio, termini, predicatio. Réflexions sur les limites dans les couvents dominicains, entre nord et sud. Autour du dossier documentaire du couvent dominicain de Rodez », dans Cahiers de Fanjeaux, n° 46 : Lieux sacrés et espace ecclésial (ixe-xve siècle), 2011, p. 465-478, en part. p. 465.

30 P. Bertrand (art. cit. n. 29), p. 469.

31 Rouen, Arch. dép. Seine-Maritime, 35H38.

32 Les zones de prêche sont donc le territoire de base pour l’exercice des religieux mendiants (P. Bertrand, art. cit. n. 29, p. 472).

33 Rouen, Arch. dép. Seine-Maritime, 35H38.

34 Rouen, Arch. dép. Seine-Maritime, 36H15.

35 Alexis Wilkin, « Gérer les archives, maîtriser l’espace au Moyen Âge. Le cas de la cathédrale Saint-Lambert de Liège », dans Revue belge de philologie et d'histoire, t. 89, fasc. 2, 2011, p. 961-988, en part. p. 986.

36 Plusieurs processions religieuses se déroulaient à Rouen : la procession du Corps Saint, la Fête Dieu, l’Ascension et la Fierté Saint-Romain (Grégory Masselis, Processions et fêtes de la rue à Rouen à la fin du Moyen Âge, Mémoire [dactyl.], Université de Rouen, 1997).

37 Michèle Gaillard, « La présence épiscopale dans la ville du haut Moyen Âge : sanctuaires et processions », dans Histoire urbaine, n° 10, 2004, p. 123-140, en part. p. 137.

38 Ludolf Kuchenbuch et al., « La construction processionnelle de l’espace urbain », dans Écritures de l'espace social. Mélanges d'histoire médiévale offerts à Monique Bourin, dir. D. Boisseuil et al., Paris, Publications de la Sorbonne, 2010, p. 139-182, en part. p. 165.

39 G. Masselis, op. cit. n. 36, p. 92-94.

40 Rouen, Bib. mun., Ms mm 85, p. 1.

41 Ce mur existait certainement depuis plusieurs années et a sans doute été surélevé.

42 L’histoire de la consécration des cimetières explique le fait que ce soit un sacrilège. La désignation et la bénédiction du cimetière à partir des xe-xie siècles constituent un moment décisif de cet établissement (Michel Lauwers, Naissance du cimetière, Lieux sacrés et terres des morts de l’Occident médiéval, Paris, Aubier, 2005, p. 153). La sacralité de l’espace funéraire lui est désormais conférée par un rite spécifique au lieu de résulter du simple voisinage de l’église (Elizabeth Zadora-Rio, « Lieux d’inhumation et espaces consacrés. Le voyage du pape Urbain II en France (août 1095-août 1096) », dans Lieux sacrés, lieux de culte, sanctuaires. Approches terminologiques, historiques et monographiques, dir. A. Vauchez, Rome, École française de Rome, 2000, p. 197-203, en part. p. 148). Le caractère sacré du cimetière protégeait ces lieux des interventions séculières et des assauts du démon (M. Lauwers, op. cit., p. 158). La consécration soustrait le cimetière au monde profane et donne un caractère sacré à un territoire qui jusque-là n’était que juridiquement protégé. On comprend donc que l’intervention de Renaud soit vue comme un outrage pour les religieux.

43 Rouen, Arch. dép. Seine Maritime, G 3595, n° 3.

44 Il est également possible que les chanoines, en construisant ces boutiques, n’aient pas déterré les morts et par conséquent, il n’y eut pas de violation de sépultures contrairement au cas de Renaud de Saint-Valéry.

Pour citer ce document

Par Lise Levieux, «Communautés religieuses et pouvoirs laïques à Rouen (xe-xve siècle) : une histoire de l’appropriation des territoires», Annales de Janua [En ligne], Les Annales, n° 5, Des arts aux registres en passant par le paysage urbain : les instruments de pouvoir et leurs multiples facettes, mis à jour le : 20/09/2019, URL : https://annalesdejanua.edel.univ-poitiers.fr:443/annalesdejanua/index.php?id=1637.

Quelques mots à propos de :  Lise Levieux

Statut : Doctorante - Laboratoire : GRHis / LAT - Directeur de recherche : Élisabeth Lalou / Élisabeth Lorans - Titre de la thèse : Espace réel, espace perçu à Rouen du Xe au XVe siècle : le rôle des communautés religieuses dans la fabrique de la ville médiévale. - Thématiques de recherche : Histoire religieuse ; Histoire urbaine ; Fabrique urbaine - Contact : lise.levieux@etu.univ-rouen.fr / lise.levieux1@univ-rouen.fr ...