Le corps du guerrier à l’épreuve des chars à faux aux époques achéménide et hellénistique (vie-ier s. av. n. è.)

Par Régis Guet
Publication en ligne le 12 avril 2019

Résumé

The Scythed chariot is an unknown ancient weapon. Due to its eastern origin, Western historiography has described it since antiquity as an inefficient and even counterproductive warfare technique on the battlefield. However, the analysis of the rare Roman and Greek sources relating to its use in the war by the Achaemenids, the Seleucids and the armies of the kingdom of the Pont leads to take another look at this weapon. Endowed with a sophisticated murderous apparatus associating spades and scythes, the scythed chariot sowed death "in various ways" to use the words of Diodorus. Mutilations, crushing of bodies and amputations of limbs and heads, the corporal impact of these tanks testifies an extreme violence. Nevertheless, the effort made by the Greek and Roman authors to describe it raises questions, in so far as mutilations were common in ancient wars. The description of mutilated bodies by scythed chariots raises the hypothesis of crossing a limit, or even a transgression of rules. Moreover, this violence shown to the reader makes it possible to reveal the efficiency of the scythed chariots.

Le char à faux est une arme antique peu connue. En raison de son origine orientale, l’historiographie occidentale, depuis l’Antiquité, l’a décrit comme une arme de guerre inefficace, voire contre-productive sur le champ de bataille. Pourtant, l’analyse des rares sources romaines et grecques relatives à son emploi en guerre par les Achéménides, les Séleucides et les armées du royaume du Pont conduit à porter un autre regard sur cette arme. Doté d’un appareil meurtrier sophistiqué associant piques et faux, le char à faux semait la mort « de diverses manières » pour reprendre les mots de Diodore. Mutilations, écrasement des corps et amputations de membres et de têtes, l’impact corporel de ces chars atteste une violence extrême. Néanmoins, l’attention portée par les auteurs grecs et romains à cette dernière interroge, dans la mesure où les mutilations étaient courantes dans les guerres antiques. Les descriptions littéraires des corps mutilés par les chars soulèvent alors l’hypothèse du franchissement d’une limite, voire d’une transgression de règles. Plus encore, cette violence montrée au lecteur permet de révéler l’efficacité des chars à faux.

Mots-Clés

Texte intégral

Introduction

1Le char à faux est une arme méconnue. Bien qu’ayant été utilisé au cours des campagnes menées successivement par les Achéménides (vie-ive siècles av. n. è.), les Séleucides (ive-ier siècles av. n. è.) et les rois du Pont (iiie siècle av. n. è.- ier siècle de n. è.), ce quadrige apparaît peu dans les sources antiques. Malgré cela, cette arme est intéressante à plus d’un titre. Premièrement, son adoption par les Séleucides démontre l’aptitude de ceux-ci à recourir aux techniques militaires les plus diverses pour défendre un territoire immense et sans cesse menacé. Deuxièmement, sa présence dans l’armée de cette dynastie est bien la preuve que l’assise culturelle gréco-iranienne de cette dernière était perceptible jusque dans son arsenal militaire. Troisièmement, le char à faux apparaît comme l’une des techniques de guerre les plus violentes de l’Antiquité. Et malgré le peu de références à cette arme chez les auteurs antiques, ses effets sur le corps ont été parfaitement retranscrits.

2Cette violence singulière est d’abord mise en exergue par Xénophon dans la Cyropédie et l’Anabase. L’auteur y décrit cette arme perse utilisée par Cyrus le Grand au milieu du vie siècle contre les troupes du roi de Lydie Crésus, puis par Artaxerxès II, qui s’oppose à Cyrus le Jeune en 401 av. n. è1. L’œuvre de Xénophon est précieuse dans l’étude des chars à faux, puisque celle-ci constitue la seule source contemporaine de leur emploi qui nous soit parvenue. Diodore, Quinte-Curce (et peut-être Lucrèce) rapportent l’expérience des soldats d’Alexandre le Grand, qui les découvrent pour la première fois à Gaugamèles parmi les forces déployées par Darius III2. Lucien y fait référence lorsqu’il raconte la bataille qui oppose Antiochos Ier aux Galates dans les années 270 av. n. è.3. Tite-Live et Appien décrivent les chars à faux séleucides et leurs effets dans leur récit de la bataille de Magnésie du Sipyle (189 av. n. è.)4. Enfin, Appien les mentionne dans le contexte des guerres mithridatiques5. Chacun de ces auteurs porte une attention soutenue à l’impact des chars à faux sur le corps, ce qui suggère une violence guerrière d’une ampleur rarissime.

3Au vu de ces premiers constats, on peut s’étonner que la violence induite par l’emploi des chars à faux n’ait pas été étudiée de manière plus approfondie, alors que la thématique de la violence dans l’Antiquité fait l’objet d’un intérêt majeur dans l’historiographie récente6. La guerre a d’ailleurs trouvé toute sa place au sein de cette tendance historiographique. Toutefois, les études publiées ont peu porté sur les violences corporelles dans les batailles rangées7. Dans le présent article, la violence des chars à faux, perceptible dans le vocabulaire et les choix narratifs des auteurs, constituera donc notre objet d’étude. Nous nous poserons d’abord la question d’une redéfinition des pratiques et des normes guerrières grecques à l’époque hellénistique. Dans un deuxième temps, nous interrogerons mieux les quelques sources littéraires déjà mentionnées, qui font état des effets des chars à faux sur le corps et où les auteurs - fait rare dans les sources anciennes - évoquent les symptômes physiologiques des guerriers après amputation. Finalement, nous conclurons notre propos en mettant en évidence l’intérêt stratégique de cette violence extrême, mais en en présentant aussi les limites.

Les amputations par chars à faux : terminologie et choix narratifs

4Dans son œuvre, Diodore résume la violence du char à faux, arme « forgée pour la destruction » et qui semait la mort « de diverses manières »8. Sa grande sophistication - le char était équipé de piques de part et d’autre du joug, en plus des faux situées aux extrémités de l’essieu et sous la caisse (Fig. 1) - est à l’origine de cette violence extrême.

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Fig. 1 : Représentation d’un char à faux (l’équipement de l’aurige et celui des chevaux sont inspirés d’un bas-relief du sanctuaire d’Athéna Nikephoros de Pergame, IIe siècle av. n. è.) © A. McBride, dans Nick Sekunda, Seleucid and Ptolemaic Reformed Armies 168-145 b.c, v. 1, The Seleucid Army, Stockport, Montvert Publications, 1994, pl. 5 (voir l’image au format original).

Exprimer la violence des chars à faux par le verbe

5L’étendue du répertoire verbal des auteurs anciens traduit bien cette diversité des effets violents des chars à faux. À la bataille de Thymbrée (547), les chars d’Abradatas et de sa garde « culbutaient (ἀνέτρεπον) les soldats debout par les heurts de la force vive des chevaux ; les soldats qui s’écroulaient, ils les écrasaient (κατηλόων), eux et leurs armes, sous les chevaux et les roues »9. À Gaugamèles, les sabots des chevaux « écrasent » (obterent) les Macédoniens, tandis qu’à Magnésie du Sipyle, les guerriers séleucides se font « écraser (obtererentur) par les bêtes », chevaux de traits, chameaux et éléphants confondus10. Dans ces récits, les chars à faux ne sont jamais les seuls responsables de l’écrasement des corps. La charrerie perse, à Thymbrée, est mixte et c’est le pêle-mêle d’unités orientales qui fait un carnage à Magnésie-du-Sipyle. Aussi, les ravages corporels occasionnés par l’écrasement ne sont pas décrits. Ce silence s’explique sans doute par la fréquence de ces blessures dans les guerres de l’Antiquité, mais surtout parce qu’avec les chars à faux, les mutilations les plus impressionnantes sont celles provoquées par les faux.

6L’expression de celles-ci ne diffère en rien de celles infligées dans d’autres contextes et par d’autres armes. Yannick Muller a remarqué qu’en général « l’amputation de membres est le plus souvent exprimée en grec par un composé des verbes τέμνω et κόπτω » (couper), et que « ces bases verbales peuvent être associées […] à un préverbe - pour donner une idée de mouvement ou d’intensification - […] »11. En analysant notre corpus, le même constat peut être établi.

7À Thymbrée, d’après Xénophon, « tout […], armes et corps, était brutalement (βίᾳ) déchiqueté (διεκόπτετο) » par les faux12. Le verbe κόπτω apparaît sous la même forme chez Xénophon (διακόπτειν) et Appien (διέκοπτε), lorsque ceux-ci racontent la bataille de Counaxa et celle de l’Amnias13. Le recours au préfixe δια (« à travers ») traduit bien une volonté d’intensification de l’auteur. Diodore lui préfère ἀπο, signifiant « au loin, hors de », pour montrer que les membres des Macédoniens sont arrachés à leur tronc (ἀποκόπτεσθαι)14. Le verbe τέμνω se retrouve chez le même auteur et chez Appien sous forme adjectivale (τομαῖς ; ἡμιτόμους) ou précédé d’un préfixe (διέτεμνε), pour décrire les corps coupés en deux des Bithyniens15. Il est aussi choisi par Lucien (τέμνοντες) qui l’intensifie en l’associant au verbe διαιρέω (« diviser »)16. Lorsque l’effet des faux ne concerne pas les membres, le recours aux préfixes demeure, mais d’autres verbes sont sollicités. Pour les cous, c’est le verbe σύρω précédé du préfixe παρα (παρασύρεσθαι), signifiant « emporter », qui est employé17. Pour les côtes, le verbe ῥήσσω précédé du préfixe ἀνα (ἀναρήττεσθαι, « briser, déchirer ») est privilégié18. En tout état de cause, l’ajout de préfixes pour traduire une idée d’intensification répond à l’absence d’un verbe spécifique en grec ancien pour signifier l’action d’amputer19. Du côté des verbes latins, en revanche, le verbe « amputer » (amputo) existe et est employé à deux reprises par Quinte-Curce pour exprimer les effets des faux sur le corps20, mais le recours au verbe « trancher » (abscido), plus généraliste, est préféré par Lucrèce pour évoquer ces mutilations21.

Décrire l’état des corps après le passage des chars

8Au-delà de l’action tranchante des faux, les auteurs mettent en exergue la perte d’intégrité corporelle des guerriers. Diodore rapporte qu’à Gaugamèles « beaucoup de soldats avaient le bras coupé avec le bouclier et certains le cou arraché »22. Cela est confirmé par la Souda : « à mesure que les faux avançaient, les uns étaient pris par les pieds, d'autres par les mains, d'autres par leurs armes »23. Lucrèce évoque aussi la perte, pour les guerriers victimes des faux, de leurs mains, de leurs jambes ou de leurs têtes24. La désintégration des corps est telle que les auteurs ne prennent pas toujours la peine d’identifier les membres sectionnés. Xénophon évoque des « amoncellements (σωρευμάτων) » de toute nature, Appien des « morceaux » (ἐς μέρη πολλά) de guerriers dispersés, Lucrèce des « restes de corps » (corpore relicuo), et Tite-Live, enfin, des « amas de corps » (acervos corporum)25.

9Fait a priori surprenant pour nos contemporains, le sang est peu présent dans les descriptions des auteurs26. Sa présence est implicitement suggérée par l’état des cadavres, mais Lucien et Quinte-Curce sont les seuls à y faire référence (οὐκ ἀναιμωτὶ ; multo sanguine effuso)27. Cette absence s’explique en réalité fort bien. En effet, Yannick Muller a constaté que, dans l’Antiquité, l’évocation du sang dans les récits de mutilation relève d’un procédé narratif ayant pour but de renforcer l’expressivité d’un récit, d’en accentuer la théâtralisation. En l’occurrence, le sang apparaît plus souvent dans les poèmes homériques ou dans la tragédie classique que dans les récits historiques28. Il n’est donc pas étonnant que parmi les auteurs décrivant les mutilations par chars à faux, seuls Lucien et Quinte-Curce - qui ont livré une biographie romancée d’Antiochos pour le premier, et d’Alexandre pour le second - mettent en exergue le sang. D’ailleurs, cette évocation s’accompagne parfois d’une rhétorique du pathétique. L’emploi, par Quinte-Curce, de l’adjectif miserabili (« lamentable ») pour désigner la mort par chars à faux en est un exemple29. Finalement, la description des corps mutilés par les chars à faux diverge selon le genre littéraire. Malgré cela, tous les auteurs de notre corpus y consacrent un développement, ce qui interroge au regard de la banalité de la violence dans le contexte guerrier.

Les amputations sur le champ de bataille : de l’individu au collectif

10À l’époque classique, sur le champ de bataille, les mutilations infligées par instruments de pénétration étaient plus courantes que celles infligées par instruments tranchants30. L’armement grec était aussi plus propice aux coups d’estoc que de taille. Pour l’époque hellénistique, la capacité d’amputation corporelle des armes les plus tranchantes reste sujette à débat dans l’historiographie31. Le char à faux fait exception, puisque l’archéologie expérimentale a bien montré que son élan, atteignant parfois jusqu’à 37 km/h, assurait l’efficacité des faux32. Ainsi, par l’emploi de ces armes, la part des amputations sur l’ensemble des mutilations possibles a sensiblement augmenté sur les champs de bataille. Un tel intérêt des auteurs pour ces amputations ne doit donc pas surprendre. Il s’agit à la fois de montrer au lecteur un changement dans les pratiques guerrières, et de traduire en plus le sentiment de stupéfaction qui l’accompagne.

11Ce sentiment apparaît déjà chez Diodore, dans un autre contexte. Cet auteur raconte qu’Alexandre et ses soldats, en chemin pour Persépolis, furent pris de colère et de compassion à la vue de huit cents prisonniers Grecs, tous mutilés (ἠκρωτηριασμένοι) d’une partie du corps (mains, pieds, oreilles, nez) par les Perses33. Alexandre voulut les reconduire dans leurs cités d’origine mais ceux-ci refusèrent car, en se dispersant, on leur reprocherait cet outrage34. Cette réaction affirme ici la différence de perception entre l’individu mutilé, d’une part, et le groupe de mutilés, d’autre part. Seul, le mutilé fait l’objet d’une stigmatisation dans le corps social. En groupe, il fait l’objet de compassion. L’intérêt des auteurs anciens pour les mutilations par chars à faux s’explique peut-être, de la même façon, par le nombre inhabituel de guerriers mutilés visible en un même temps, en un même lieu.

12Plus qu’un fait nouveau, on peut supposer que les auteurs dénoncent la transgression des lois communes des Grecs, les κοινὰ νόμιμα35. Celles-ci imposaient par exemple d’échanger les prisonniers de guerre contre rançon, et interdisaient de les exécuter ou de les mutiler36. La mutilation des non-combattants (vieillards, femmes, enfants) était, elle aussi, proscrite37, tout comme la violence contre les hérauts38. Les mutilations infligées aux combattants sont en revanche exclues de cette règlementation. Ajoutons à cela que, comme l’a souligné Thierry van Compernolle, « ces interdits religieux traditionnels ne concernent pas l’usage d’armes particulières »39. D’ailleurs, selon ce spécialiste, « ni sur le plan international, ni dans le cadre des cités, l’arme n’apparaît […] avoir été objet de droit »40. Par conséquent, si les chars à faux contribuent à banaliser les amputations, ils ne constituent pas pour autant une transgression des κοινὰ νόμιμα41.

Des symptômes physiologiques révélateurs d’une violence extrême

L’absence de douleur

13Si les amputations par chars à faux ne sont pas transgressives du point de vue du droit de la guerre, les troubles qu’elles engendrent sur le corps et l’esprit des guerriers remettent en question le savoir scientifique et philosophique des Anciens. Aristote prétendait que les blessures faites par des pointes de lance et des épées en bronze étaient moins douloureuses et plus faciles à guérir que celles causées par le fer42. Pourtant, les mutilations infligées par les faux de fer des chars ne sont pas toujours douloureuses. Lucrèce et Quinte-Curce attestent ce phénomène dû à la rapidité des coups. D’après le premier, « l’âme (mens) du combattant, surprise par la soudaineté (mobilitate) du coup », ne peut en ressentir la douleur (non quit sentire dolorem)43. Pour le second, « les blessures chaudes ne causaient pas encore de douleur (aberat dolor) »44. Cela est intéressant puisque à l’époque hellénistique, dans la continuité des travaux d’Aristote sur la faculté sensitive, l’absence de douleur est au cœur des débats qui animent les différentes écoles philosophiques45.

14D’après Frédéric Le Blay, la philosophie épicurienne, à laquelle se rattache Lucrèce, « est une philosophie sensualiste, qui accorde toute sa confiance au témoignage des sens et qui fait […] du toucher un sens primordial »46. En soulignant l’insensibilité des guerriers mutilés par les chars à faux, Lucrèce démontre que ces combattants ne se situent plus dans le réel et sont dépossédés d’eux-mêmes. Pourtant, dans le discours des Épicuriens, l’absence de douleur (ἀπάθεια) constitue aussi l’une des qualités intrinsèques à la sagesse hellénistique (πρῶτα κατὰ φύσιν), avec l’absence de troubles du corps (ἀπονία) et de l’esprit (ἀταραξία)47. Elle n’est donc pas, à l’époque hellénistique, le symptôme d’un dérèglement, mais un des signes qui démontrent un « état avancé » de l’individu. Les effets mutilants des chars à faux présentent dès lors un paradoxe que Lucrèce juge digne d’être rapporté : l’absence de douleur des guerriers est associée à la perte d’intégrité corporelle et aux troubles psychiques. Elle devient, dans ce contexte, un signe d’abjection.

15À l’époque de Lucrèce, ce phénomène n’étonne plus les Stoïciens, dont la réflexion sur la douleur s’est éloignée de celle des Épicuriens. Néanmoins, il demeure le signe d’une abjection. Pour eux, « l’idée d’un homme fermé à toute émotion, libéré de toute douleur, paraît inacceptable »48. La sagesse se traduit par une souffrance surmontée, non par l’abolition des sens49. Les propos que Cicéron attribue au scholarque platonicien Crantor illustrent bien ce changement :

Je ne suis pas […] de l’avis de ceux qui louent […] je ne sais quelle insensibilité à la douleur (indolentia), car cette insensibilité ne peut ni ne doit exister. Puissé-je ne pas être malade, mais, dit-il, si je dois l’être, je garde ma sensibilité même s’il s’agit d’inciser ou d’amputer une partie de mon corps. Car l’on paye le prix fort à ne rien sentir, celui d’un esprit cruel et d’un corps engourdi (immanitatis in animo, stuporis in corpore) »50.

16Sur le plan éthique, cette insensibilité est donc également proscrite par les Stoïciens51. En définitive, l’évocation, par Lucrèce, de l’absence de douleur comme symptôme des guerriers mutilés, révèle la dimension paroxystique de la violence des chars à faux.

L’acharnement au combat des guerriers mutilés

17Lucrèce décrit aussi un fait curieux chez le soldat amputé : le maintien de son ardeur guerrière, malgré les mutilations mortelles qu’il subit :

Comme l’esprit est tout entier […] dans l’ardeur du combat (simul in pugnae studio), l’homme avec le reste du corps reprend la lutte et le carnage sans s’apercevoir […] qu’il a perdu la main gauche avec son bouclier, emportée au milieu des chevaux par les roues et les faux destructrices. Un autre ne sent pas que sa main droite est tombée, tandis qu’il monte à l’assaut et presse son ennemi ; ailleurs un autre s’efforce de se relever sur la jambe qu’il a perdue52.

18Quinte-Curce atteste lui-aussi ce phénomène : « quoique faibles et mutilés (trunci quoque et debiles), [les soldats d’Alexandre] n'abandonnaient pas leurs armes »53. Ces extraits sont intéressants dans la mesure où l’expérience vécue des guerriers sur le champ de bataille est peu rapportée par les auteurs anciens54. Il s’agit peut-être, là encore, d’un élément typique d’un genre littéraire, essai philosophique (pour Lucrèce) ou biographie romancée (pour Quinte-Curce), et non d’un phénomène qui a marqué les Grecs et les Romains au temps de l’emploi du char à faux dans la guerre. Cet acharnement au combat n’est d’ailleurs pas propre aux victimes de cette arme, puisqu’il était déjà présent dans la poésie épique55. Pour autant, l’absence de mention de cette fureur guerrière dans les récits historiques ne doit pas conduire à mettre en doute son existence. Le psychiatre Jonathan Shay, qui a soigné des vétérans de la guerre du Vietnam souffrant de névroses de guerre, a confronté les passages où Homère évoque l’acharnement au combat des guerriers avec ses observations et les propos de ses patients56. Cette analyse comparative lui a permis d’établir que ce trouble psychique est universel et atemporel. Il l’a alors désigné par le terme de « berserking », expression attribuée aux guerriers scandinaves du xe siècle qui combattaient dans un état de transe provoqué par l'esprit animal du guerrier57. L’antiquisant Bernard Eck l’a rapproché du « délire du champ de bataille », expression employée pars Christopher Browning pour qualifier « une surexcitation incontrôlée due au combat prolongé, qui fait perdre tout principe de réalité et qui peut pousser le soldat à commettre des atrocités inimaginables »58. Pour Bernard Eck, le guerrier qui se trouve dans cet état, « cruel et insensible à toute souffrance et ivre de puissance, animé d’un fort sentiment d’invincibilité, est à la fois bête et dieu, étant complètement hors de l’humanité »59. Il ajoute que « la métamorphose du soldat en “berserker” est parachevée par le sentiment qu’il a d’être déjà mort, cet état supprimant toute émotion et toute peur »60.

19Cet acharnement est de nature à surprendre les Anciens, car il met à mal un principe généralement admis, celui de l’immobilité caractéristique du guerrier blessé et mutilé61. L’ininterruption de l’ardeur guerrière apparaît alors dans la littérature comme un autre signe de violence extrême.

L’éphémère survie des têtes et des membres coupés

20L’éphémère survie des membres et des têtes coupés est le dernier signe de violence extrême mentionné par Lucrèce. D’après lui, « on dit que les chars armés de faux […] tranchent des membres d'un coup si rapide, qu'on voit palpiter à terre la partie tranchée »62. Il raconte ensuite les mésaventures d’un soldat fraîchement mutilé, auprès duquel « son pied agonisant sur le sol remue encore les doigts ». Enfin, il décrit « une tête coupée d'un tronc encore chaud et vivant qui garde un visage animé et des yeux ouverts jusqu'à ce que soient rendus les derniers restes de l'âme »63. Ce symptôme de violence extrême, contrairement aux deux précédents, figure aussi dans les récits historiques. Diodore déclare que la tête des Macédoniens décapités à Gaugamèles « tombait à terre alors que les yeux regardaient encore et que le visage conservait son expression »64. Appien mentionne aussi les derniers instants des Bithyniens à l’Amnias, « coupés en deux et qui respiraient toujours »65. Le fait que Lucrèce et Quinte-Curce n’aient pas le monopole de la description de ce phénomène confère à ce dernier une plus grande authenticité. Le terme memorant (« on dit que »), employé par Lucrèce, et les similitudes narratives entre les récits semblent d’ailleurs révéler l’existence d’une tradition orale et écrite liée à l’emploi des chars à faux.

21Le premier élément récurrent est la référence aux yeux du mourant, présente chez Diodore et Lucrèce. Celle-ci est intéressante car dans la culture gréco-romaine la vue est le sens qui s’apparente le plus au maintien de la vie66. Dans l’Iliade, il était fait allusion à la transformation des yeux des victimes de mort violente sous l’expression πορφύρεος θάνατος (parfois traduite par « mort pourpre » ou « mort versicolore »)67. Bernard Eck a expliqué le phénomène biologique à l’origine de cette expression :

Les yeux d’une personne victime d’une mort violente […] rougissent fortement à cause d’un brusque apport sanguin ; les yeux restent de cette couleur pendant un certain temps. Ensuite, […] les différentes couleurs qu’on trouve dans les yeux se modifient et évoluent peu à peu jusqu’à perdre tout éclat. À la fin, les yeux sont d’un blanc touchant à l’ocre terne, en un mot, cireux, et l’iris est devenu gris vitreux. Un passage du rouge initial au sombre est donc à peu près perceptible, si l’on n’oublie pas que d’autres couleurs peuvent être perçues au cours d’un processus de transformation qui dure plusieurs heures68.

22Les coups portés par les chars à faux sont d’une violence tellement extrême que ce processus habituel de transformation des yeux ne s’engage pas instantanément. Plus encore, ce regard insoutenable du guerrier est le signe de l’éphémère survie de son souffle de vie (thumos), de son âme (anima), autre élément récurrent puisqu’il apparaît chez Lucrèce, puis chez Appien69. Cela vient mettre à mal certains principes philosophiques : le thumos, chez les Grecs, n’est pas censé survivre à la disparition de l’organisme et l’anima, chez l’Épicurien qu’est Lucrèce, est mortelle70. La survie des parties sectionnées du guerrier victime des chars démontre, au contraire, le maintien éphémère du thumos et de l’anima dans chacune d’elles. Les deux auteurs annoncent alors l’existence d’un état intermédiaire ne se manifestant qu’exceptionnellement, dans les cas d’une mort extrêmement violente.

23Finalement, l’éphémère survie des membres et têtes tranchés par les faux, comme l’absence de douleur et le maintien de l’ardeur combattante chez le guerrier mutilé, invite le lecteur à distinguer plusieurs niveaux de violence guerrière. En l’occurrence, ces trois signes placent le char à faux parmi les armes les plus violentes, et offrent à celui-ci une place à part dans les mémoires de guerre antiques.

Un impact psychologique aux effets tactiques redoutables

De l’effroi au désordre

24Les auteurs anciens attestent l’impact psychologique et physiologique des chars à faux sur les guerriers témoins de leur violence. D’après Appien, l’armée de Nicomède fut effrayée par les corps mutilés encore vivants, démembrés ou restés accrochés aux faux : « la nausée provoquée par ce spectacle, plus qu’une défaite militaire, leur inspira une peur (φόβου) qui mit le désordre dans leurs rangs »71. D’une part, l’éphémère survie des membres et des têtes coupées suggérait à ces combattants que les victimes des faux percevaient leur exécution, que la mort n’était pas instantanée72. D’autre part, les corps mutilés et démembrés par les chars à faux provoquent, chez les guerriers qui sont témoins de cette violence extrême, plus qu’une peur, une sensation de malaise. L’évocation de la nausée (ἀηδία) par Appien est significative puisque, si l’impact psychologique des armes ou de leurs effets sur ceux qui en sont témoins est parfois attesté dans les textes anciens, rares sont les auteurs qui décrivent les symptômes physiologiques qui y sont liés73.

25Par ailleurs, le potentiel psychologique des chars à faux se manifestait parfois avant même que ceux-ci n’entrent en action. D’après Diodore, les Macédoniens furent pris de peur (φόβον) à la seule vue des chars à faux de Darius74. Pour Quinte-Curce, le Grand Roi avait d’ailleurs mis en ligne les chars à faux dans l’objectif de « frapper l'ennemi d'une extrême épouvante (hostium terror) »75. Il est possible que la culture gréco-macédonienne ait contribué à donner à ce spectacle le pouvoir de déstabilisation des esprits. En l’occurrence, les faux des chars, d’abord, et leurs effets, ensuite, faisaient écho à plusieurs stéréotypes littéraires présents dans la poésie archaïque et la tragédie classique, parmi lesquels « l’amputation des extrémités ». Vincent Azoulay rappelait à ce propos que « les cas de diasparagmos, de démembrement, ne sont pas sans rappeler certains passages de l’Iliade » particulièrement violents76. On peut supposer que la vue des chars à faux était propre à stimuler l'imaginaire du guerrier par le jeu entremêlé des réminiscences culturelles et des réviviscences de situations rencontrées antérieurement.

26Cet impact psychologique, qui concernait autant les populations grecques que non grecques, avait des conséquences tactiques importantes, notamment celle de diminuer l’ardeur des soldats, de motiver des comportements de fuite, et de jeter en conséquence le désordre (ταραχή). C’est ce qui se passa pour les Égyptiens à Thymbrée, pour les Macédoniens à Gaugamèles et pour les Bithyniens à l’Amnias77. L’utilité tactique des chars à faux dépendait ensuite de la capacité des unités d’infanterie et de cavalerie à profiter du désordre pour attaquer. Inversement, l’efficacité de cette attaque dépendait de l’étendue du désordre installé par les chars à faux.

Une « arme à double-tranchant »

27Le char à faux peut être perçu comme une « arme à double-tranchant ». En effet, son emploi présentait un risque certain pour l’armée qui l’avait mis en ligne. Premièrement, la multitude de membres et têtes sectionnés par les chars finissait parfois par porter atteinte à la mobilité de ces derniers. À Thymbrée par exemple, ce sont ces amoncellements qui font chuter Abradatas de son char avec certains de ceux qui l’accompagnent78. Ce sont également eux qui empêchent Darius, monté sur son char, de faire demi-tour à Gaugamèles79. Dans ces deux cas de figure cependant, la responsabilité des morceaux de corps est à relativiser puisque les mésaventures rencontrées par Abradatas et Darius proviennent surtout de leur difficulté à manœuvrer leurs chars. D’ailleurs, ces membres et têtes coupés par les chars à faux ne semblent pas non plus avoir constitué des obstacles au déploiement des unités d’infanterie ou de cavalerie se trouvant derrière eux.

28Deuxièmement, l’armée qui comprenait des chars à faux dans ses rangs s’exposait à un danger plus important encore que leur immobilité : les demi-tours. C’est ce qui se produisit à Counaxa, après que les mercenaires grecs aient effrayé les chevaux en frappant leurs boucliers avec leurs piques, ce qui entraîna la chute de quelques auriges80. À l’époque hellénistique, Antiochos réussit également à provoquer le demi-tour des chars en faisant appel à ses éléphants pour effrayer les chevaux81. Ainsi, il est probable qu’au cours de ces deux batailles, les chars à faux aient montré à leurs propres rangs toute la violence dont ils étaient capables. Il est regrettable que Lucien, qui fait état du nombre élevé de gisants autour des chars à faux opposés aux troupes d’Antiochos, ne précise ni l’origine des guerriers morts au combat, ni la façon dont ceux-ci trouvèrent la mort82. Alexandre tenta, lui aussi, d’effrayer les chevaux de Darius à Gaugamèles, mais il ne réussit qu’à immobiliser les chars à faux83. Malgré cela, un petit nombre de chars suffit à faire beaucoup de morts dans les rangs macédoniens84.

29En tout état de cause, les descriptions particulièrement réalistes de l’impact des chars à faux sur les corps des guerriers dans les guerres achéménides et hellénistiques attestent la volonté de leurs auteurs d’affirmer la dimension paroxystique de cette violence. Par une terminologie spécifique, par l’évocation des symptômes physiologiques caractéristiques du guerrier mutilé, et enfin par la démonstration de l’impact psychologique des amputations et autres mutilations sur les guerriers qui en étaient témoins, les auteurs anciens placent le char à faux parmi les armes les plus violentes utilisées dans les guerres antiques. Derrière ces descriptions saisissantes, c’est bien le potentiel militaire des chars à faux qui est révélé. Cette analyse permet ainsi de comprendre pourquoi, comme l’écrit Xénophon, « les chars à faux [des rois perses] se firent une belle renommée »85.

Sources

30Appien, Histoire romaine, t. 6, Livre XI, Le livre syriaque, éd. et trad. Paul Goukowsky, Paris, Les Belles Lettres, 2007.

31Appien, Histoire romaine, t. 7, Livre XII, La guerre de Mithridate, éd. et trad. Paul Goukowsky, Paris, Les Belles Lettres, 2001.

32Aristote, De l’âme, éd. et trad. Antonio Jannone et Edmond Barbotin, Paris, Les Belles Lettres, 1966.

33Cicéron, Les Tusculanes, t. 2, Livre III, éd. et trad. Georges Fohlen et Jules Humbert, Paris, Les Belles Lettres, 1931.

34Diodore, Bibliothèque historique, t. 10, Livre XV, éd. et trad. Claude Vial, Les Belles Lettres, 1977.

35Diodore, Bibliothèque historique, t. 12, Livre XVII, éd. et trad. Paul Goukowsky, Paris, Les Belles Lettres, 1976.

36Diodore, Bibliothèque historique, Fragments, t. 4, Livres XXXIII-XL, éd. et trad. Paul Goukowsky, Paris, Les Belles Lettres, 2014.

37Flavius Josèphe, Contre Apion, éd. et trad. Théodore Reinach et Léon Blum, Paris, Les Belles Lettres, 1930.

38Hérodote, Histoires, t. 6, Livre VI, éd. et trad. Philippe-Ernest Legrand, Paris, Les Belles Lettres, 1948.

39Homère, Iliade, t. 1-4, éd. et trad. Paul Mazon, Paris, Les Belles Lettres, 1937.

40Lucien de Samosate, Œuvres complètes. Zeuxis ou Antiochos, éd. et trad. Émile Chambry (révisée et annotée par Alain Billault et Émeline Marquis), Paris, Robert Laffont, 2015.

41Lucrèce, De la nature, t. 1, Livres I-III, éd. et trad. Alfred Ernout, Paris, Les Belles Lettres, 1923.

42Plutarque, Vies, t. 6, Pyrrhos-Marius. Lysandre-Sylla, éd. et trad. Émile Chambry et Robert Flacelière, Paris, Les Belles Lettres, 1971.

43Plutarque, Vies, t. 9, Alexandre-César, éd. et trad. Émile Chambry, Paris, Les Belles Lettres, 1975.

44Plutarque, Vies, t. 13, Démétrios-Antoine, éd. et trad. Émile Chambry et Robert Flacelière, Paris, Les Belles Lettres, 1977.

45Plutarque, Œuvres morales, t. 9, 1ère partie, Propos de table, Livres I-III, éd. et trad. François Fuhrmann, Paris, Les Belles Lettres, 1972.

46Polybe, Histoires, t. 1, Introduction générale. Livre I, éd. et trad. Paul Pédech, Paris, Les Belles Lettres, 1969.

47Quinte-Curce, Histoires, t. 1, Livres III-VI, éd. et trad. Henry Bardon, Paris, Les Belles Lettres, 1961.

48Sagas islandaises, éd. et trad. Régis Boyer, Paris, Gallimard, 1987.

49Souda, en ligne <http://www.stoa.org/sol/> [consulté le 14/02/2019].

50Strabon, Géographie, t. 7, Livre X, éd. et trad. François Lasserre, Paris, Les Belles Lettres, 1971.

51Thucydide, La guerre du Péloponnèse, Livre III, éd. et trad. Raymond Weil et Jacqueline de Romilly, Paris, Les Belles Lettres, 1969.

52Tite-Live, Histoire romaine, t. 21, Livre XXXI, éd. et trad. Alain Hus, Paris, Les Belles Lettres, 1977.

53Tite-Live, Histoire romaine, t. 27, Livre XXXVII, éd. et trad. Jean-Marie Engel, Paris, Les Belles Lettres, 1983.

54Xenophon, Anabase, t. 1, Livres I-III, éd. et trad. Paul Masqueray, Paris, Les Belles Lettres, 1930.

55Xenophon, Œuvres complètes, t. 1, Cyropédie, éd. et trad. Pierre Chambry, Paris, Garnier-Flammarion, 1967.

56Xenophon, Cyropédie, t. 3, Livres VI-VIII, éd. et trad. Édouard Delebecque, Paris, Les Belles Lettres, 1978.

57Xenophon, Les Helléniques, t. 1, Livre I-III, éd. et trad. Jean Hatzfeld, Paris, Les Belles Lettres, 1936.

Études

58Daniel Arasse, La guillotine et l’imaginaire de la terreur, Paris, Flammarion, 1987.

59Vincent Azoulay, « Panthée, Mania et quelques autres : les jeux du genre dans l’œuvre de Xénophon », dans Problèmes du genre en Grèce Ancienne, dir. V. Sebillotte Cuchet et N. Ernoult, Paris, Publications de la Sorbonne, 2007, p. 277-287.

60André Bernand, Guerre et violence dans la Grèce antique, Paris, Hachette, 1999.

61Nadine Bernard, À l’épreuve de la guerre - Guerre et société dans le monde grec ve et ive siècles avant notre ère, Paris, Seli Arslan, 2000.

62Lydie Bodiou et Véronique Mehl, « L’Antiquité écarlate : le sang des Anciens, remarques introductives », dans L’Antiquité écarlate. Le sang des Anciens, dir. L. Bodiou et V. Mehl, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2017, p. 15-23.

63Pierre Boyancé, « La théorie de l’âme chez Lucrèce », dans Bulletin de l'Association Guillaume Budé : Lettres d'humanité, 17, 1958, p. 30-49.

64Christopher Browning, Des hommes ordinaires. Le 101e bataillon de réserve de la police allemande et la solution finale en Pologne, Paris, Les Belles Lettres, 1994.

65Philippe Charlier, Male Mort, Morts violentes dans l’Antiquité, Paris, Fayard, 2009.

66Corps au supplice et violences de guerre dans l’Antiquité, dir. A. Allély, Bordeaux, Ausonius, 2014.

67Corps outragés, corps ravagés de l’Antiquité au Moyen Âge, dir. L. Bodiou, V. Mehl et M. Soria, Turnhout, Brepols Publishers, 2011.

68Jean-Christophe Couvenhes, « Le décret des mains coupées (Xénophon, Helléniques, II, 1, 31-32) et la mutilation des extrémités sur les prisonniers de guerre », dans Corps au supplice et violences de guerre dans l’Antiquité, dir. L. Bodiou, V. Mehl et M. Soria, Turnhout, Brepols Publishers, 2011, p. 419-434.

69Bernard Eck, La mort rouge. Homicide, guerre et souillure en Grèce ancienne, Paris, Les Belles Lettres, 2012.

70Hartmut Erbse, Scholia Graeca in Homeri Iliadem, Berlin, Walter de Gruyter, 1971.

71Robert Garland, « The causation of Death in the Iliad: a theological and biological Investigation », dans Bulletin of the Institute of Classical Studies, 28, 1981.

72L’Antiquité écarlate. Le sang des Anciens, dir. L. Bodiou et V. Mehl, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2017.

73Xavier Lapray, « Les violences corporelles dans les batailles rangées. L’exemple romain », dans Corps au supplice et violences de guerre dans l’Antiquité, dir. A. Allély, Bordeaux, Ausonius, 2014, p. 137-149.

74Frédéric Le Blay, « Penser la douleur dans l’Antiquité : enjeu médical ou enjeu philosophique ? », dans Penser et représenter le corps dans l’Antiquité, dir. F. Prost et J. Wilgaux, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2006, p. 79-92.

75Frédéric Le Blay, « Le corps à l’épreuve du stoïcisme. Retour sur les monstres de Sénèque », dans Corps outragés, corps ravagés de l’Antiquité au Moyen Âge, dir. L. Bodiou, V. Mehl et M. Soria, Turnhout, Brepols Publishers, 2011, p. 217-230.

76Alexandre Marcinkowski, « Pratique de la tête coupée en Grèce Ancienne », dans Corps au supplice et violences de guerre dans l’Antiquité, dir. L. Bodiou, V. Mehl et M. Soria, Turnhout, Brepols Publishers, 2011, p. 435-456.

77Véronique Mehl, « “Les autels de tous les dieux sont inondés de sang” (Euripide, Alceste, 133-134) : la perception du sang lors de la thusia », dans L’Antiquité écarlate. Le sang des Anciens, dir. L. Bodiou et V. Mehl, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2017, p. 133-148.

78Alain Moreau, « La symbolique du char dans l’œuvre d’Eschyle », dans Les armes dans l’Antiquité. De la technique à l’imaginaire, dir. P. Sauzeau et T. Van Compernolle, Montpellier, Presses Universitaires de la Méditerranée, 2007, p. 269-280.

79Yannick Muller, « La mutilation de l’ennemi en Grèce classique : pratique barbare ou préjugé grec ? », dans Corps au supplice et violences de guerre dans l’Antiquité, dir. A. Allély, Bordeaux, Ausonius, 2014, p. 41-72.

80Yannick Muller, « Le sang dans les récits de mutilation corporelle en Grèce ancienne d’Homère à Diodore de Sicile », dans L’Antiquité écarlate. Le sang des Anciens, dir. L. Bodiou et V. Mehl, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2017, p. 209-236.

81Muriel Pardon-Labonnelie, « La dépréciation des yeux clairs dans les traités de physiognomonie gréco-romains », dans Langages et métaphores du corps dans le monde antique, dir. V. Dasen et J. Wilgaux, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2008, p. 197-206.

82Théodore Reinach, « Les chars armés de faux chez les anciens Gaulois », dans Revue Celtique, 10, 1889.

83Christine F. Salazar, The Treatment of War Wounds in Graeco-Roman Antiquity, Leyde, Brill, 2000.

84Les armes dans l’Antiquité. De la technique à l’imaginaire, dir. P. Sauzeau et Th. Van Compernolle, Montpellier, Presses Universitaires de la Méditerranée, 2007.

85Jonathan Shay, Achilles in Vietnam. Combat Trauma and the Undoing of Character, New York, Touchstone/Simon & Schuster, 1994.

86The Topography of Violence in the Greco-roman World, dir. W. Riess et G. G. Fagan, Ann Arbor, University of Michigan Press, 2016.

87Thierry Van Compernolle, « L’arme : au centre ou aux marges de la cité ? », dans Les armes dans l’Antiquité. De la technique à l’imaginaire, dir. P. Sauzeau et T. Van Compernolle, Montpellier, Presses Universitaires de la Méditerranée, 2007, p. 585-596.

88Jean-Pierre Vernant, L’individu, la mort, l’amour. Soi-même et l’autre en Grèce ancienne, Paris, Gallimard, 1989.

Outils

89Lexicon homericum, par Heinrich Ebeling, Lipsiae, B. G. Teubner, 1885.

Sitographie

90http://www.youtube.com/

Notes

1 Xénophon, Cyropédie, t. 3, Livres VI-VIII, éd. et trad. Édouard Delebecque, Paris, Les Belles Lettres, 1978, VII. 1. 31-32 ; id, Anabase, t. 1, Livres I-III, éd. et trad. Paul Masqueray, Paris, Les Belles Lettres, 1930, I. 8. 10, 18, 20.

2 Diodore, Bibliothèque historique, t. 12, Livre XVII, éd. et trad. Paul Goukowsky, Paris, Les Belles Lettres, 1976, 57. 6 et 58. 2-5 ; Quinte-Curce, Histoires, t. 1, Livres III-VI, éd. et trad. Henry Bardon, Paris, Les Belles Lettres, 1961, IV. 9, 14-15 ; Lucrèce, De la nature, t. 1, Livres I-III, éd. et trad. Alfred Ernout, Paris, Les Belles Lettres, 1923, III. 642-656. Lucrèce les évoque dans un récit non contextualisé. Pour Pierre Boyancé, Lucrèce se serait inspiré des effets des chars à faux séleucides à Magnésie du Sipyle décrits par Tite-Live (Pierre Boyancé, « La théorie de l’âme chez Lucrèce », dans Bulletin de l'Association Guillaume Budé : Lettres d'humanité, 17, 1958, p. 44). Néanmoins, au regard des similitudes entre ses propos et ceux de Diodore, il paraît plus crédible que Lucrèce fasse référence à la bataille de Gaugamèles.

3 Lucien de Samosate, Œuvres complètes. Zeuxis ou Antiochos, éd. et trad. Émile Chambry (révisée et annotée par Alain Billault et Émeline Marquis), Paris, Robert Laffont, 2015, 8-10. Dans ce récit, Lucien attribue par erreur l’usage de chars à faux aux Galates (Théodore Reinach, « Les chars armés de faux chez les anciens Gaulois », dans Revue Celtique, 10, 1889, p. 124-125).

4 Appien, Histoire romaine, t. 6, Livre XI, Le livre syriaque, éd. et trad. Paul Goukowsky, Paris, Les Belles Lettres, 2007, 34. 176 ; Tite-Live, Histoire romaine, t. 27, Livre XXXVII, éd. et trad. Jean-Marie Engel, Paris, Les Belles Lettres, 1983, 43. 7, 9.

5 Appien, Histoire romaine, t. 7, Livre XII, La guerre de Mithridate, éd. et trad. Paul Goukowsky, Paris, Les Belles Lettres, 2001, 18. 66-68.

6 On retiendra pour exemple plusieurs ouvrages collectifs : Corps outragés, corps ravagés de l’Antiquité au Moyen Âge, dir. L. Bodiou, V. Mehl et M. Soria, Turnhout, Brepols Publishers, 2011 ; Corps au supplice et violence de guerre dans l’Antiquité, dir. A. Allely, Bordeaux, Ausonius, 2014 ; The Topography of Violence in the Greco-roman World, dir. W. Riess et G. G. Fagan, Ann Arbor, University of Michigan Press, 2016 ; L’Antiquité écarlate. Le sang des Anciens, dir. L. Bodiou et V. Mehl, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2017.

7 À l’exception des travaux d’André Bernand (Guerre et violence dans la Grèce antique, Paris, Hachette, 1999), de Nadine Bernard (À l’épreuve de la guerre - Guerre et société dans le monde grec Ve et IVe siècles avant notre ère, Paris, Seli Arslan, 2000), et plus récemment de Xavier Lapray, (« Les violences corporelles dans les batailles rangées. L’exemple romain », dans Corps au supplice et violence de guerre dans l’Antiquité, dir. A. Allely, Bordeaux, Ausonius, 2014, p. 137-149).

8 Diodore, Bibliothèque historique, t. 12 (éd. et trad. cit. n. 2), XVII. 58. 4-5.

9 Xénophon, Cyropédie, t. 3 (éd. et trad. cit. n. 1), VII. 1, 31. Édouard Delebecque souligne que « le verbe καταλοάω fait une image exacte et forte ; il signifie, en parlant des animaux qui tournent sur l’aire (ἀλῳή), “écraser (le blé)” ».

10 Quinte-Curce (éd. et trad. cit. n. 2), IV. 14. ; Tite-Live, Histoire romaine, t. 27 (éd. et trad. cit. n. 4), XXXVII. 43. 9.

11 Yannick Muller, « La mutilation de l’ennemi en Grèce classique : pratique barbare ou préjugé grec ? », dans Corps au supplice… (op. cit. n. 6), p. 48.

12  Ὅτου δ᾽ ἐπιλάβοιτο τὰ δρέπανα, πάντα βίᾳ διεκόπτετο καὶ ὅπλα καὶ σώματα [Xénophon, Cyropédie, t. 3, (éd. et trad. cit. n. 1), VII. 1, 31].

13 Xenophon, Anabase, t. 1 (éd. et trad. cit. n. 1), I. 8. 10 ; Appien, Histoire romaine, t. 7 (éd. et trad. cit. n. 5), XII. 18. 66-68.

14 Diodore, Bibliothèque historique, t. 12 (éd. et trad. cit. n. 2), XVII. 58. 5.

15 Ibid. ; Appien, Histoire romaine, t. 7 (éd. et trad. cit. n. 5), XII. 18. 66-67.

16 Lucien de Samosate (éd. et trad. cit. n. 3), Zeuxis ou Antiochos, 10.

17 Diodore, Bibliothèque historique, t. 12 (éd. et trad. cit. n. 2), XVII. 58. 5.

18 Ibid.

19 On aurait pu s’attendre à la formation d’un verbe dérivé de δρεπάνη (la faux), puisque l’emploi de πελεκίζω au sens de « décapiter » par Polybe atteste l’existence de verbes formés à partir du nom de l’arme à l’origine de la mutilation (πέλεκυς signifiant la hache). Voir : Polybe, Histoires, t. 1, Introduction générale. Livre I, éd. et trad. Paul Pédech, Paris, Les Belles Lettres, 1969, 7. 12.

20 Quinte-Curce (éd. et trad. cit. n. 2), IV. 9 ; 15.

21 Lucrèce (éd. et trad. cit. n. 2), III. 642, 645, 654.

22 ὥστε πολλῶν μὲν βραχίονας σὺν αὐταῖς ταῖς ἀσπίσιν ἀποκόπτεσθαι, οὐκ ὀλίγων δὲ τραχήλους παρασύρεσθαι [Diodore, Bibliothèque historique, t. 12 (éd. et trad. cit. n. 2), XVII. 58. 5].

23 ἐλαυνομένων γὰρ τῶν δρεπάνων οἱ μὲν τῶν ποδῶν, οἱ δὲ τῶν χειρῶν, οἱ δὲ ἐκ τῶν ὅπλων κρατούμενοι ἐσύροντο ἐπὶ πολὺ καὶ ἀνῃροῦντο [Souda, s.v. Lettre delta, entrée 1517, Δρεπανηφόρα τέθριππα (consultée en ligne : <http://www.stoa.org/sol/>)]. Je remercie François Le Penuizic (Université de Nantes) pour son aide sur cette traduction.

24 Lucrèce (éd. et trad. cit. n. 2), III. 649 ; 651-654.

25 Xénophon, Cyropédie, t. 3 (éd. et trad. cit. n. 1), VII. 1, 32 ; Appien, Histoire romaine, t. 7 (éd. et trad. cit. n. 5), XII. 18. 67 ; Lucrèce (éd. et trad. cit. n. 2), III. 648 ; Tite-Live, Histoire romaine, t. 27 (éd. et trad. cit. n. 4), XXXVII, 43. 7.

26 Véronique Mehl a fait le même constat à propos des scènes de sacrifice dans la littérature. Voir : Véronique Mehl, « “ Les autels de tous les dieux sont inondés de sang” [Euripide, Alceste, 133-134] : la perception du sang lors de la thusia », dans L. Bodiou et V. Mehl, L’Antiquité écarlate… (op. cit. n. 6), p. 146.

27 Lucien de Samosate (éd. et trad. cit. n. 3), Zeuxis ou Antiochos, 10 ; Quinte-Curce (éd. et trad. cit. n. 2), IV. 15.

28 L’auteur précise qu’aux époques classique et hellénistique, « la mention du sang dans des contextes de violence est toujours présente dans les textes en vers : les exemples foisonnent chez Eschyle, Sophocle ou Euripide où le sang n’est pas évoqué pour lui-même mais ajoute un effet supplémentaire à l’acte violent ». Voir : Yannick Muller, « Le sang dans les récits de mutilation corporelle en Grèce ancienne d’Homère à Diodore de Sicile », dans L’Antiquité écarlate. Le sang des Anciens, dir. L. Bodiou et V. Mehl, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2017, p. 213.

29 Quinte-Curce (éd. et trad. cit. n. 2), IV. 15. Un historien anonyme qui a raconté la bataille de Gaugamèles a aussi eu recours à cet adjectif - οἰκτρός en grec- pour décrire les Macédoniens tués par les chars à faux [Souda, s.v. Δρεπανηφόρα τέθριππα (consultée en ligne le 14 février 2019 : <http://www.stoa.org/sol/>)]. Cette aptitude à susciter un sentiment d’horreur et de pitié chez le lecteur est sans doute un héritage de l’historiographie hellénistique. Voir : X. Lapray (art. cit. n. 7), p. 142.

30 La mort d’Épaminondas par javeline est l’un des exemples les plus emblématiques (Diodore, Bibliothèque historique, t. 10, Livre XV, éd. et trad. Claude Vial, Les Belles Lettres, 1977, 87. 1 ; 5-6).

31 Xavier Lapray [(art. cit n. 7), p. 142)] rapporte ces avis divergents au sujet du gladius hispaniensis (glaive républicain) et de ses capacités tranchantes vantées par Tite-Live (Tite-Live, t. 21, Livre XXXI, éd. et trad. Alain Hus, Paris, Les Belles Lettres, 1977, 34. 4) : « Selon C. Salazar, en dépit des affirmations liviennes […] et des traces archéologiques, le cas devait être rare car les glaives antiques n’étaient pas dotés de capacités tranchantes comparables aux épées japonaises médiévales ou modernes (C. Salazar, The Treatment of War Wounds in Graeco-Roman Antiquity, Leyde, Brill, 2000, p. 13). Pour le médecin P. Charlier, à l’inverse, qui s’appuie sur ses études ostéo-archéologiques de nécropoles étrusques ou celtiques, l’épée antique, notamment romaine, permettait d’amputer d’un coup un bras ou une jambe (P. Charlier, Male Mort, Morts violentes dans l’Antiquité, Paris, Fayard, 2009, p. 31) ».

32 Lors du test d’un char à faux reconstitué au milieu des années 2000, celui-ci, lancé à pleine vitesse, a sectionné les membres inférieurs d’un mannequin et projeté en l’air la partie supérieure de son corps. La vidéo du test est visible sur : https://www.youtube.com/watch?v=rNYqovRreig.

33 Diodore, Bibliothèque historique, t. 12 (éd. et trad. cit. n. 2), XVII. 69. 2-4. D’autres passages de Diodore font référence aux amputations des prisonniers de guerre : « Les “Syriens” (je veux dire les esclaves fugitifs) coupaient les mains de leurs prisonniers et ne se contentaient pas d’une ablation au niveau du poignet, mais ils retranchaient le bras entier » (Id., Bibliothèque historique, Fragments, t. 4, Livres XXXIII-XL, éd. et trad. Paul Goukowsky, Paris, Les Belles Lettres, 2014, XXXIV. 29).

34 Id., Bibliothèque historique, t. 12 (éd. et trad. cit. n. 2), XVII. 69. 6.

35 L’expression est présente chez Thucydide, dans le discours prononcé par les Platéens après la reddition de leur cité (Thucydide, La guerre du Péloponnèse, Livre III, éd. et trad. Raymond Weil et Jacqueline de Romilly, Paris, Les Belles Lettres, 1969, 59. 1).

36 Dans un discours rapporté par Thucydide, les Thébains accusent les Platéens d’avoir enfreint la loi (παρανόμως) en tuant des prisonniers de guerre, au début de la guerre du Péloponnèse (Ibid, III. 66. 2). Xénophon qualifie d’illégales (παρανομεῖν) certaines actions du général athénien Philoklès, qui, à la fin de cette même guerre, a permis qu’une assemblée, par décret, autorise la condamnation des prisonniers spartiates à l’amputation de leur main droite en cas de victoire athénienne à Aigos Potamos (Xénophon, Les Helléniques, t. 1, Livre I-III, éd. et trad. Jean Hatzfeld, Paris, Les Belles Lettres, 1936, II, 1. 31-32). Ce récit est aussi rapporté par Plutarque (Plutarque, Vies, t. 6, Pyrrhos-Marius. Lysandre-Sylla, éd. et trad. Émile Chambry et Robert Flacelière, Paris, Les Belles Lettres, 1971, Lysandre, IX. 7). Cependant, Xénophon ne soulève pas cette dimension transgressive lorsqu’il évoque les égorgements des prisonniers de guerre par les Charybdes, peuple iranien d’Asie Mineure [Xénophon, Anabase, t. 1, Livres I-III (éd. et trad. cit. n. 1), IV. 7. 10] probablement parce que les κοινὰ νόμιμα ne s’appliquaient qu’aux Grecs. Dans Contre Apion, Flavius Josèphe affirme que la violence sur les prisonniers de guerre était condamnée par la loi juive (Flavius Josèphe, Contre Apion, éd. et trad. Théodore Reinach et Léon Blum, Paris, Les Belles Lettres, 1930, II. 29. 212).

37 Diodore dénonce la sauvagerie dont fait preuve Diêgylis lors de sa conquête des franges du royaume d’Attale II (vers 145 av. n. è.). Après avoir pris la ville de Lysimachie, le prince de Caenes de Thrace fit couper « les mains, les pieds et la tête des enfants, il les attachait au cou des pères pour qu’ils les portent <en collier> ; après avoir démembré des hommes et des femmes, il intervertissait leurs membres ; après avoir coupé les mains de certains autres, il les dépeçait en suivant la colonne vertébrale » [Diodore, Bibliothèque historique, Fragments, t. 4 (éd. et trad. cit. n. 33), XXXIII. 18. 3]. Au cours de cette conquête, « Diêgylis fit subir aux otages des dissidents des violences terribles et des sévices criminels, alors que certains, par l’âge et le physique, n’étaient que des enfants des plus fragiles. C’est qu’en effet certains d’entre eux eurent le corps démembré de diverses façons, tandis que d’autres se firent trancher la tête, les mains et les pieds. Et, parmi eux, les uns avaient été suspendus à des pieux, les autres à des arbres. On pouvait voir également bon nombre de femmes le corps écartelé pour être violentées, exposées aux regards pour subir les affres de la mort, et aussi que toutes les formes de viol avaient été accomplies par l’arrogance des barbares » (Ibid, XXXIII. 19. 1-2).

38 Polybe s’indigne des supplices infligés à Gescon et à ses soldats par les mercenaires rassemblés sous l’autorité du chef gaulois Autarite, lors de leur révolte contre les Carthaginois (241-238), et des lapidations subies par les « orateurs de chaque nation » (sans doute d’autres mercenaires ou des hérauts) ayant appelé à la clémence vis-à-vis du général punique [Polybe (éd. et trad. cit. n. 19), I. 80. 8-9].

39 Thierry Van Compernolle, « L’arme : au centre ou aux marges de la cité ? », dans Les armes dans l’Antiquité. De la technique à l’imaginaire, dir. P. Sauzeau et T. Van Compernolle, Montpellier, Presses Universitaires de la Méditerranée, 2007, p. 586-587.

40 Ibid. Pour soutenir cette hypothèse, l’historien s’appuie sur un passage de la Géographie de Strabon, dans lequel ce dernier s’étonne de l’interdiction d’armes de jet par une stèle du sanctuaire d’Amarynthos, lors de la guerre qui opposa Chalcis à Érétrie pour la possession de la plaine Lélantine : « Le fait est remarquable, car nulle part ailleurs, et aujourd’hui pas plus qu’hier les procédés de combat ni l’armement ne sont définis par un usage » (Strabon, Géographie, t. 7, Livre X, éd. et trad. François Lasserre, Paris, Les Belles Lettres, 1971, 1. 12).

41 Ajoutons aussi que la perte d’intégrité physique des soldats consécutive à ces mutilations n’est pas incompatible avec l’idéologie de la « belle mort », puisque les blessures et le sang évoquent, selon Jean-Pierre Vernant, la vaillance du jeune héros mort au combat, et « rehaussent sa beauté d’une touche plus virile » (Jean-Pierre Vernant, L’individu, la mort, l’amour. Soi-même et l’autre en Grèce ancienne, Paris, Gallimard, 1989, p. 63).

42 Plutarque, Œuvres morales, t. 9, 1ère partie, Propos de table, Livres I-III, éd. et trad. François Fuhrmann, Paris, Les Belles Lettres, 1972, III. 10. 3.

43 Lucrèce (éd. et trad. cit. n. 2), III. 645-646.

44 Quinte-Curce (éd. et trad. cit. n. 2), IV. 15.

45 Aristote, De l’âme, éd. et trad. Antonio Jannone et Edmond Barbotin, Paris, Les Belles Lettres, 1966, II. 3. 2 [414b]. Les Épicuriens et les Stoïciens développent l’idée que les sens et les impressions que nous recevons du monde sont le premier mode d’accès à la connaissance. Pour les Platoniciens, au contraire, les sens ne constituent pas des gages de vérité. Pour cette raison, Frédéric Le Blay associe la figure de l’aveugle-devin à la pensée platonicienne. Voir Frédéric Le Blay, « Penser la douleur dans l’Antiquité : enjeu médical ou enjeu philosophique ? », dans Penser et représenter le corps dans l’Antiquité, dir. F. Prost et J. Wilgaux, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2006, p. 85-86.

46 Frédéric Le Blay précise que chez les scholarques du Jardin, « rejeter le témoignage d’une sensation, […] c’est remettre en question la possibilité même de vivre » [F. Le Blay, Penser et représenter le corps dans l’Antiquité (art. cit. n. 45), p. 86]. Lucrèce affirme lui-même que le toucher est le garant de la réalité des phénomènes. D’après lui, la main est dotée de facultés cognitives que n’a pas la vue : elle permet de distinguer les formes dans le noir [Lucrèce (éd. et trad. cit. n. 2), IV. 230-238].

47 Ce discours, partagé par les fondateurs du Portique comme Zénon de Kition, est une continuité de celui des Péripatéticiens. Voir : F. Le Blay, Penser et représenter le corps dans l’Antiquité (art. cit. n. 45).

48 Ibid, p. 90.

49 Cette évolution a été influencée par celle des Platoniciens. Sénèque traduira l’apatheia par l’impatienta, c’est-à-dire, non pas l’absence de douleur, mais la souffrance surmontée.

50 Cicéron, Les Tusculanes, t. 2, Livre III, éd. et trad. Georges Fohlen et Jules Humbert, Paris, Les Belles Lettres, 1931, 6. Le terme indolentia, qui a peut-être été inventé par Cicéron selon l’hypothèse de Frédéric Le Blay, traduit l’apatheia ou l’analgesia.

51 Quelques décennies après l’arrêt de l’emploi des chars à faux à la guerre, le théâtre de Sénèque témoignera d’une obsession pour les corps mutilés (Frédéric Le Blay, « Le corps à l’épreuve du stoïcisme. Retour sur les monstres de Sénèque », dans Corps outragés, corps ravagés de l’Antiquité au Moyen Âge, dir. L. Bodiou, V. Mehl et M. Soria, Turnhout, Brepols Publishers, 2011, p. 222).

52 Lucrèce (éd. et trad. cit. n. 2), III. 647-652.

53 Quinte-Curce (éd. et trad. cit. n. 2), IV. 15.

54 Dans les récits de faits historiques, le cas le plus connu est peut-être celui, rapporté par Hérodote, du guerrier athénien Épizélos, atteint de cécité hystérique émotionnelle en pleine bataille de Marathon (Hérodote, Histoires, t. 6, Livre VI, éd. et trad. Philippe-Ernest Legrand, Paris, Les Belles Lettres, 1948, 117).

55 Homère attribue régulièrement à Achille une fureur (μένει) guerrière (Homère, Iliade, t. 1-4, éd. et trad. Paul Mazon, Paris, Les Belles Lettres, 1937, XX. 171-172 ; XXI. 151).

56 Jonathan Shay, Achilles in Vietnam. Combat Trauma and the Undoing of Character, New-York, Touchstone/Simon & Schuster, 1994.

57 Sagas islandaises, éd. et trad. R. Boyer, Paris, Gallimard, p. 1517.

58 Bernard Eck, La mort rouge. Homicide, guerre et souillure en Grèce ancienne, Paris, Les Belles Lettres, 2012, p. 140. Voir : Christopher Browning, Des hommes ordinaires. Le 101e bataillon de réserve de la police allemande et la solution finale en Pologne, Paris, Les belles lettres, 1994, p. 211.

59 B. Eck (op. cit. n. 58), p. 146.

60 Ibid, p. 147.

61 Dans l’Iliade, il est d’ailleurs rappelé par Nestor qu’un blessé ne peut combattre (Homère (éd. et trad. cit. n. 55), XIV. 63).

62 Lucrèce (éd. et trad. cit. n. 2), III. 642-644.

63 et caput abscisum calido uiuenteque trunco seruat humi uoltum uitalem oculosque patentis, donec reliquias animai reddidit omnes (Ibid, III. 654-656].

64 Diodore, Bibliothèque historique, t. 12 (éd. et trad. cit. n. 2), XVII. 58. 5.

65 Appien, Histoire romaine, t. 7 (éd. et trad. cit. n. 5), XII. 18. 67.

66 Bernard Eck rappelle d’ailleurs que dans l’œuvre d’Homère, « perdre l’usage de ses yeux est probablement aussi important dans la mort, qu’exhaler son thumos ou sa psuchè » [B. Eck (op. cit. n. 58), p. 187]. Il cite en exemple une pratique attestée chez Homère, selon laquelle le père et la mère du défunt lui ferment les yeux (Homère (éd. et trad. cit. n. 55), XI. 452], ainsi que cet autre passage de l’épopée : « Le terme de la mort enveloppa ses yeux et ses narines » (Ibid, XVI. 502).

67 Dans l’Iliade, lorsque les Troyens Hypsénor, Cléobule et Échècle se font tuer (respectivement par Eurypyle, Ajax et Achille), la « mort pourpre » (πορφύρεος θάνατος) emplit leurs yeux (Ibid, V. 83 ; XVI. 334 ; XX. 477). Bernard Eck met en lumière l’incertitude sémantique qui plane sur l’adjectif πορφύρεος et suit la position d’Heinrich Ebeling, pour qui l’expression de « mort pourpre » retranscrivait « le fait que les yeux d’un mourant ondoient de couleurs variées » avant d’être couverts de noir [B. Eck (op. cit. n. 58), p. 190-192 ; Heinrich Ebeling, Lexicon homericum, 1885, p. 212]. « πορφύρεος » pourrait évoquer la couleur du sang, mais l’auteur fait remarquer qu’Homère utilise plus souvent μέλαν (noir) pour désigner celle-ci [B. Eck (op. cit. n. 58), p. 191] alors que πορφυρέη est également employé pour désigner l’arc-en-ciel [Homère (éd. et trad. cit. n. 55), XVII. 547]. Bernard Eck reste néanmoins prudent, puisqu’il arrive que : « porphureos [soit] présenté comme un synonyme de μέλας, “noir” » (Hartmut Erbse, Scholia Graeca in Homeri Iliadem, Berlin, Walter de Gruyter, 1971, p. 17).

68 B. Eck (op. cit. n. 58), p. 192.

69 Voir Muriel Pardon-Labonnelie, « La dépréciation des yeux clairs dans les traités de physiognomonie gréco-romains », dans Langages et métaphores du corps dans le monde antique, dir. V. Dasen et J. Wilgaux, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2008, p. 199.

70 Robert Garland, « The causation of Death in the Iliad: a theological and biological Investigation », dans Bulletin of the Institute of Classical Studies, 28, 1981, p. 48. Pour Lucrèce, « Le corps est […] le vase de l'âme […] partout l'âme y est répandue. Si donc une force soudaine le tranche par le milieu et le sépare en deux tronçons, il est hors de doute que l'âme du même coup sera tranchée, fendue, et, comme le corps, tombera en deux moitiés. Or, ce qui se fend et se divise ne peut évidemment prétendre à l'immortalité » [Lucrèce (éd. et trad. cit. n. 2), III. 440 ; 635-641].

71 Appien, Histoire romaine, t. 7 (éd. et trad. cit. n. 5), XII. 18. 67.

72 L’historien Daniel Arasse avait formulé cette hypothèse à propos des témoins de « l’instant de la guillotine », expression choisie en référence à la célèbre machine régulièrement employée durant la Révolution française, pour désigner ce moment éphémère où les signes de vie sont encore perceptibles dans le regard des personnes décapitées (Daniel Arasse, La guillotine et l’imaginaire de la terreur, Paris, Flammarion, 1987, p. 49, 51, 91).

73 Par exemple, lorsque la reine de Cilicie demanda à Cyrus de lui montrer son armée en bataille, la phalange hoplitique provoqua l’effroi des troupes ciliciennes et de la reine elle-même. [Xenophon, Anabase, t. 1 (éd. et trad. cit. n. 1), I. 2. 18]. De la même manière, la vision du « hérisson » formé par les sarisses relevées de la phalange macédonienne était propice à effrayer les guerriers qui se trouvaient en face. À l’époque hellénistique, cette peur se renouvelle par l’emploi de nouvelles machines de siège, de plus en plus grandes et sophistiquées. Par exemple, les hélépoles de Démétrios Poliorcète terrifient les Rhodiens en 305-304 (Plutarque, Vies, t. 13, Démétrios-Antoine, éd. et trad. Émile Chambry et Robert Flacelière, Paris, Les Belles Lettres, 1977, Démétrios, XXI. 1-3). L’apparition des éléphants et des cataphractes dans les rangs grecs était tout aussi spectaculaire.

74 Diodore, Bibliothèque historique, t. 12 (éd. et trad. cit. n. 2), XVII. 58. 2.

75 Quinte-Curce (éd. et trad. cit. n. 2), IV. 9.

76 Vincent Azoulay, « Panthée, Mania et quelques autres : les jeux du genre dans l’œuvre de Xénophon », dans Problèmes du genre en Grèce Ancienne, dir. V. Sebillotte Cuchet et N. Ernoult, Paris, Publications de la Sorbonne, 2007, p. 285). Vincent Azoulay s’exprime alors au sujet du cadavre du général perse Abradatas, tué à la bataille de Thymbrée. De l’Iliade, il cite pour exemple le passage où Eurypyle tranche le bras d’Hypsénor avec son épée [Homère (éd. et trad. cit. n. 55), V. 82].

77 Xénophon, Cyropédie, t. 3 (éd. et trad. cit. n. 1), VII. 1. 32 ; Nec sensim Macedones cedebant, sed effusa fuga turbauerant ordines [Quinte-Curce (éd. et trad. cit. n. 2), IV. 15] ; Appien, Histoire romaine, t. 7 (éd. et trad. cit. n. 5), XII. 18. 67.

78 Xénophon, Cyropédie, t. 3 (éd. et trad. cit. n. 1), VII. 1. 32. Ces circonstances peuvent laisser croire qu’Abradatas, dont le corps fut retrouvé complètement déchiré à l’issue de la bataille, peut avoir été victime des chars à faux présents dans ses propres rangs, même si, d’après Xénophon, l’amputation de sa main droite (et peut-être l’état général de son cadavre) était due à l’action d’une copie provenant des rangs adverses (Ibid, VII. 3. 8-10).

79 Plutarque, Vies, t. 9, Alexandre-César, éd. et trad. Émile Chambry, Paris, Les Belles Lettres, 1975, Alexandre, XXXIII. 8.

80 Xénophon, Anabase, t. 1 (éd. et trad. cit. n. 1), I. 8. 18 ; 20.

81 Lucien de Samosate (éd. et trad. cit. n. 3), Zeuxis ou Antiochos, 10.

82 Ibid.

83 Diodore, Bibliothèque historique, t. 12 (éd. et trad. cit. n. 2), XVII. 58. 4-6 ; Quinte-Curce (éd. et trad. cit. n. 2), IV. 15.

84 Diodore, Bibliothèque historique, t. 12 (éd. et trad. cit. n. 2), XVII. 58. 4 ; Quinte-Curce (éd. et trad. cit. n. 2), IV. 15. Plutarque atteste lui aussi le grand nombre de guerriers tombés à Gaugamèles et la multitude de cadavres entourant les chars à faux, sans pour autant préciser l’origine des guerriers tués [Plutarque, Vies, t. 9 (éd. et trad. cit. n. 79), XXXIII. 4].

85 Xenophon, Œuvres complètes, t. 1, Cyropédie, éd. et trad. Pierre Chambry, Paris, Garnier-Flammarion, 1967, VII. 1. 47.

Pour citer ce document

Par Régis Guet, «Le corps du guerrier à l’épreuve des chars à faux aux époques achéménide et hellénistique (vie-ier s. av. n. è.)», Annales de Janua [En ligne], Antiquité, n° 7, Les Annales, mis à jour le : 17/09/2019, URL : https://annalesdejanua.edel.univ-poitiers.fr:443/annalesdejanua/index.php?id=1920.

Quelques mots à propos de :  Régis Guet

Statut : Doctorant en histoire ancienne à l’université de Nantes. – Laboratoire : Centre de Recherches en Histoire Internationale et Atlantique (CRHIA). – Directeur de thèse : Isabelle Pimouguet-Pédarros – Titre de la thèse : Chars à faux, éléphants et autres troupes montées orientales dans les guerres hellénistiques. – Thématique de la recherche : histoire militaire, histoire des royaumes hellénistiques ; histoire culturelle et sociale des armées hellénistiques ; violence de guerre ; logistique ...