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Les jeux de hasard chez Casanova, un loisir mondain à l’épreuve des rapports de force
Par Clémence Carrasco-Vaudon
Publication en ligne le 16 juillet 2025
Résumé
This study outlines a typology of the principal moral and social motivations associated with gambling, as they emerge from a close reading of Histoire de ma vie by Casanova. In his autobiographical narrative, the Venetian—a renowned gambler and libertine—sheds light on the shifting status of games of chance, particularly as they are practiced within the refined salons of the European aristocracy he frequents.
Primarily a fashionable pastime, valued by a leisured class concerned with occupying both time and mind, gambling appears, in the eyes of the reader, to be co-opted into complex strategies that Casanova enjoys manipulating—when he is not himself their victim. At times, gambling serves as an escape, restoring for the player the illusion of control over the unpredictable course of events; at others, it functions as an initiatory rite or a test of character within the prevailing codes of sociability of the eighteenth century. Casanova explores these varied uses without restraint, turning games of chance and money into a vehicle for a form of prostitution that remains unnamed.
While shaped by both individual and social logics, gambling is nevertheless subject, in polite society, to a recreational imperative. The game must remain a game—an immutable condition that cannot be breached without violating the implicit social contract governing ludic interactions. The ideal embodied by the consummate player fits within this framework: master of himself, he maintains a lightness of tone and spirit, despite the misfortunes that may befall his purse.
However, Histoire de ma vie does not confine itself to this idealized model. It also presents a gallery of professional gamblers, the so-called "correcteurs de fortune", for whom gambling is no longer mere entertainment but a genuine way of life and a source of income. Their ubiquitous presence in the narrative compels a reconsideration of Casanova’s ambivalent relationship to cheating, which is not portrayed as a marginal or morally reprehensible deviation but rather as a normalized—if not systematic—practice within the ludic paradigm. In contrast, the gambling frenzy, which appears episodically and flagrantly transgresses the boundaries of the ludic framework, imbues the narrative with a significant symbolic and dramatic charge.
Cette étude dresse une typologie des principales motivations, morales et sociales, liées à la pratique du jeu de hasard dans l’Histoire de ma vie de Casanova. Le récit autobiographique du Vénitien, joueur et libertin de renom, met en lumière le glissement de statut du jeu, tel qu’il se donne dans les salons policés de l’aristocratie qu’il fréquente à travers l’Europe.
Loisir mondain avant tout, prisé d’une classe oisive soucieuse d’occuper son temps et son esprit, le lecteur observe sa récupération au sein de stratégies complexes que Casanova se plaît à manier, lorsqu’il n’en fait pas les frais. Le jeu fait parfois office d’échappatoire, restaurant chez le joueur l’illusion de contrôle sur le cours incertain des événements, et parfois tient lieu de rite initiatique ou encore de mise à l’épreuve parmi les pratiques de sociabilité courantes au xviiiᵉ siècle. Sans commune mesure, Casanova en explore les usages et fait des jeux de hasard et d’argent l’instrument d’une prostitution qui ne dit pas son nom.
Réinvesti par ces logiques tant individuelles que sociales, le jeu n’en est pas moins soumis, en bonne société, à un impératif récréatif. Car le jeu doit ne rester qu’un jeu, condition intangible à laquelle il ne peut déroger sans rompre le contrat social implicite qui régit les interactions ludiques. L’idéal incarné par le beau joueur s’inscrit dans cette perspective : maître de lui-même, il affiche une légèreté d’humeur et de ton malgré les coups du sort que subit sa bourse.
Toutefois, l’Histoire de ma vie ne se limite pas à ce modèle idéalisé et met aussi en scène une galerie de joueurs professionnels, les « correcteurs de fortune », pour qui le jeu n’est plus un simple loisir, mais un véritable mode de vie et une source de revenus. Leur omniprésence dans le récit conduit à interroger le rapport ambivalent de Casanova à la tricherie, présentée non comme un écart marginal et moralement condamnable mais comme une pratique banalisée, sinon systématique, qui trouve sa place au sein du paradigme ludique. A contrario, la fureur du jeu, présente de manière épisodique et transgressant ouvertement les bornes du cadre ludique, investit la narration d’une charge symbolique et narrative importante.
Mots-Clés
Table des matières
Texte intégral
1Les jeux sont omniprésents au xviiie siècle, si bien que certains ont pu qualifier le Siècle des Lumières de « siècle du jeu »1. S’opère un phénomène de contagion qui touche aussi bien les couches sociales les plus basses que les plus aisées. Des traités de classification des jeux apparaissent, avec le hasard pour critère principal, et distinguent trois catégories, à savoir les jeux de hasard, les jeux d’habileté, et les jeux qui mêlent hasard et habileté. À son tour, la littérature s’empare de ce motif et l’on voit apparaître des scènes de jeu dans ses pages, comme dans l’Histoire de ma vie2 de Giacomo Casanova, qui a été qualifiée de « véritable Encyclopédie du xviiie siècle »3. Le protagoniste en est un joueur emblématique puisqu’il joue partout, tout le temps, de l’Europe à la Russie, et c’est d’ailleurs au gré de ses parties que fluctue sa fortune personnelle, entre gains substantiels et « grandes lessives »4. Sa préférence, et celle de la bonne compagnie qu’il fréquente, va sans l’ombre d’un doute aux jeux de hasard – qui sont le plus souvent des jeux de cartes dont on augmente les enjeux en misant de l’argent, de quelques deniers à plusieurs milliers5.
2La grande récurrence des parties de jeux dans l’Histoire de ma vie permet de procéder à une riche caractérisation de ce loisir majeur au xviiie siècle du point de vue de l’aventurier Casanova, dont le tropisme nobiliaire restreint le plus souvent les partenaires de jeu à l’aristocratie. Le parcours choisi procédera à une typologie des motivations du jeu et posera la question suivante : dans quelle mesure les jeux de hasard opèrent-ils une transposition des rapports de force, tant sociaux et politiques qu’amoureux, dans le cadre mondain et policé du loisir ?
3Si le jeu est d’abord un loisir pour soi auquel on s’adonne pour s’amuser, à la suite d’un dîner mondain par exemple ou dans une salle officielle comme le Ridotto à Venise, il peut aussi intégrer une forme de stratégie et servir à tromper l’ennui ou à se distraire d’un chagrin – souvent amoureux dans l’Histoire de ma vie. Il revêt en outre une dimension sociale et apparaît comme un moyen et un prétexte pour faire société. Strates ludique et sociale se superposent alors puisque la partie de jeu cristallise les rapports de force entre les joueurs, acculés par les revers de fortune qui mettent à mal leurs passions. Ce double jeu est mis à profit par ceux que l’on nomme les joueurs de profession, personnages en marge qui ont fait du jeu leur état et leur source de revenus. Cependant, à rebours de toute pratique normée et mesurée émerge un phénomène que les moralistes nomment la « fureur du jeu ». Dans ce dernier cas – qui fait écho à de nombreuses péripéties du héros –, le jeu outrepasserait le statut de loisir au service du plaisir et serait à condamner.
Le jeu de hasard, un loisir pour soi
Le jeu par oisiveté
4L’oisiveté, telle qu’elle est définie par l’Académie française, consiste à ne rien faire, à n’avoir point d’occupation : « Il ne faut pas qu’un jeune homme se tienne oisif, soit oisif »6. L’injonction, par la négative, fait affleurer le caractère péjoratif de l’oisiveté, à laquelle le jeu de hasard remédie en tant que loisir. Ainsi Casanova, dans l’attente du navire qui doit le conduire à Constantinople où il s’apprête à tenter sa chance, fait une escale prolongée dans la ville de Corfou. Pour combler le temps et s’occuper, les possibilités sont multiples mais le tourisme est rapidement évincé. Il choisit de ne s’arrêter « d’aucune façon à l’examen du pays » et favorise le jeu, si bien qu’à l’arrivée du bateau un mois plus tard, le protagoniste fait le constat suivant : « en l’attendant, m’étant adonné au jeu de la Bassette, j’ai perdu tout mon argent, et vendu, ou mis en gage tous mes bijoux »7.
5Le jeu fait aussi partie des loisirs que l’on propose lors d’un rendez-vous galant, au même titre que l’opéra ou le théâtre. À Venise, l’on se rend au Ridotto, la salle de jeu officielle qui a ouvert ses portes en 1638 et dont la période d’activité s’étend aux six mois du carnaval. Seuls les patriciens sont autorisés à y être sans masque et à y tenir la banque, c’est-à-dire à endosser le rôle de maître du jeu dans les parties de bassette, de pharaon et de biribi8. Casanova y conduit son amante M. M., qui s’est évadée de son couvent pour quelques heures en quête de divertissement :
nous sommes allés au ridotto, où elle se plut beaucoup à regarder toutes les dames patriciennes, qui en force de leur qualité ont le privilège de pouvoir s’asseoir à visage découvert. Après nous être promenés une demi-heure nous allâmes à la chambre des grands banquiers. Elle s’arrêta devant la banque du seigneur Momolo Mocenigo, qui dans ce temps-là était le plus beau de tous les jeunes joueurs patriciens9.
6Le jeu est un loisir pour passer du bon temps et comporte quelque chose du spectacle, à ceci près que spectateur et spectatrice peuvent se promener d’une salle de jeu à une autre, et participer à son déroulement en intégrant une partie de jeu.
7Au sein du contexte économique et social dans lequel s’inscrit la plupart des intrigues de l’Histoire de ma vie – la classe aristocratique –, le jeu repose pour ainsi dire sur une obligation de plaisir. Il fait l’objet d’une convention plus ou moins explicite entre les joueurs : dès lors que le jeu n’a plus sa fin en lui-même, ce qui en est, pour les théoriciens du jeu, un des critères définitionnels, la convention est rompue. Le joueur ne joue plus que pour gagner, motif plus condamnable encore lorsque de l’argent est en jeu. En effet, les mises financières permettent de dramatiser le cours des parties, mais ne doivent en aucun cas mettre en péril le cadre ludique, dont la transgression entraînerait pour le joueur un jugement moral de la part de ses pairs. C’est le cas de l’officier d’Entragues, que Casanova rencontre dans une auberge lors d’un séjour à Sulzbach en 1762. Après plusieurs parties de piquet10, le Vénitien observe « qu’aussitôt qu’il [lui] avait gagné dix ou douze louis, il se levait et [l]e plantait là. Cet officier […] ne manquait ni d’esprit ni d’usage du beau monde »11. Aussi, lorsque d’Entragues propose une revanche, Casanova lui répond : « Je ne m’en soucie pas, lui dis-je, car nous ne sommes pas joueurs à l’unisson. Je joue pour mon plaisir, parce que le jeu m’amuse, tandis que vous ne jouez que pour gagner ». Afin de rétablir le contrat ludique12 et social, les deux joueurs parient sur le premier qui quittera la prochaine partie. S’ensuit alors une partie de quarante-deux heures d’affilée, qui s’achève par l’évanouissement de d’Entragues et la victoire de Casanova. Le jeu auquel on s’adonne par oisiveté constitue donc une manière d’occuper son temps et son esprit, mais repose sur un contrat entre les joueurs, dont la clause majeure est le délassement : il est en cela frappé d’un impératif récréatif.
Le jeu comme divertissement
8Pourtant, le jeu de hasard revêt des allures de diversion lorsqu’il se pratique dans le but de s’extraire de l’ici-et-maintenant du quotidien. Ainsi Roger Caillois écrit que :
Dans le jeu, l’homme s’écarte du réel. Il recherche une activité libre qui ne l’engage qu’autant qu’il en a convenu d’avance. […] L’extérieur, c’est-à-dire la vie, est une sorte de jungle, où il faut s’attendre à mille périls. À mon sens, la joie, l’abandon, l’aisance qu’on constate dans l’activité ludique, dérivent de cette sécurité. On sait que les choses n’ont ici que l’importance qu’on leur donne, qu’on ne sera compromis qu’autant qu’on y consent et qu’on a toujours licence de se retirer, dès qu’on le désire. Quelle différence avec la vie ! (…) Il faut affronter les difficultés, des orages, des revers qu’on n’attendait pas et auxquels on ne se serait pas volontiers exposé. On se trouve à tout instant entraîné plus loin qu’on ne prévoyait. […] Il faut enfin compter avec la fatalité, les accidents, les injustices, et tant de malheurs immérités qui peuvent atteindre l’innocent13.
9Le jeu devient un chronotope – un temps et un lieu – à la fois sécurisé et sécurisant dans lequel on joue selon des règles prédéterminées, connues d’avance et, de fait, pouvant être anticipées. Elles constituent un cadre au sein duquel le nombre des combinaisons possibles est fini, et les scenarii de partie restreints. De la sorte, le joueur ne se met en situation de danger – c’est-à-dire de perdre son argent, dans le cas des jeux de hasard – qu’à hauteur des coups qu’il choisit de tenter :
Le jeu n’est pas seulement le lieu d’une « perfection limitée et provisoire » : il constitue une sorte de havre où l’on est maître du destin. […] [Dans les jeux de hasard] Certes le joueur s’en remet au sort, mais enfin, il décide lui-même dans quelle mesure il le fait. Aussi est-il plus libre et plus indépendant dans le jeu que dans la vie, et en un sens plus inaccessible à la mauvaise fortune. S’il joue d’un coup tous ses biens, on ne l’y a pas forcé, et s’il perd, il n’a personne que sa passion à blâmer14.
10Intégrer le cadre du jeu, ce « havre » de paix, implique un pas de côté par rapport à la réalité immédiate. En effet, jouer le jeu, c’est admettre une dimension à côté de ou hors réalité – de là la dimension déréalisante ou virtualisante du jeu de hasard. Elle permet de se distraire des aléas de la vie ordinaire, et apparente le jeu à une stratégie de diversion. Casanova en fait l’expérience quelques semaines avant son emprisonnement sous les Plombs le 26 juillet 1755. Plusieurs de ses proches amis l’informent qu’il est surveillé par les Inquisiteurs d’État et lui conseillent de quitter Venise, mais le protagoniste choisit d’ignorer la menace qui le guette, et pour ne pas y penser, il se livre au jeu : « Ce qui m’empêchait aussi de penser sérieusement à un malheur incertain était le malheur réel qui m’opprimait soir et matin. Je perdais tous les jours, j’avais des dettes partout, j’avais mis en gage tous mes bijoux, jusqu’aux boîtes à portraits »15. Le jeu, même malheureux, se substitue à l’incertitude du futur et propose une alternative qui restaure le contrôle et la maîtrise du joueur sur les événements.
11Fort heureusement pour le protagoniste, les chagrins amoureux sont plus fréquents que les emprisonnements dans le récit. Dès lors que ses amours avec M. M. se trouvent contrariées, Casanova s’avoue « en déroute de jeu » : « Jouant à la martingale, j’ai perdu des très grosses sommes […]. Je jouais encore, mais à petit jeu taillant à des casins16 contre des pauvres joueurs. J’attendais ainsi le retour de la fortune »17. Le terme « fortune » est ici à triple entente puisqu’il désigne d’une part la richesse financière du personnage, d’autre part la chance au jeu, et enfin le bonheur amoureux, autant de manques desquels Casanova tente de se distraire en continuant à jouer, plein de l’espoir de se refaire.
12Ce dernier aspect du jeu est au centre des condamnations de moralistes tels que L.-S. Mercier et Rétif de la Bretonne18. En ce qu’il laisse espérer au peuple des gains chimériques, le jeu détournerait du travail et des bienfaits de l’épargne, entraînant la ruine des foyers. C’est ce qui conduit à la fermeture du Ridotto en 1774 : malgré les bénéfices financiers importants, le gouvernement de Venise n’y voit plus qu’un lieu de débauche où se perdent des sommes colossales et où la prostitution prospère.
13Si le jeu est avant tout un loisir pratiqué par oisiveté, il soulève néanmoins des questions morales car les mises financières au moyen desquelles les joueurs dramatisent les parties affectent leurs conditions de vie – leur réalité immédiate. C’est sur la base de cet argument qu’au xviiie siècle, les pouvoirs politiques s’immiscent dans la pratique du jeu, dont la dimension sociale affleure au-delà de la dimension ludique19. Il peut alors être pratiqué à dessein, non seulement car il permet de faire société, mais également en ce qu’il devient medium d’élévation sociale.
Le jeu de hasard, un loisir à dimension sociale
Le jeu par convention sociale : jouer pour faire société
14Le jeu apparaît comme un moyen et un prétexte pour faire société dans la mesure où il réunit autour d’une table et initie les conversations. À la suite d’un dîner mondain par exemple, lorsque les sujets de conversations viennent à tarir, la légèreté permise par une partie de jeu spontanée anime la compagnie et en resserre la cohésion20. Dans les auberges, le jeu fait office de levier de sociabilité au même titre que les temps de repas. Lors d’une étape à Aix-en-Savoie, alors même qu’il prévoyait d’arriver à Chambéry le soir même, Casanova s’abandonne volontiers aux combinaisons :
On a servi ; et ils [« une bande de gens fort gais, et de bon air »] se mettent tous à table. Je vois des femmes aimables, et des hommes tous faits pour être leurs maris, ou leurs amants. Je décide qu’il y avait dans cet endroit de quoi se divertir. Toutes ces personnes se parlaient français ou piémontais, et chacun avait l’air aisé : je devine que si l’on me prie, je me laisserais facilement persuader à passer là la nuit21.
15La chose ne manque pas de se produire puisqu’au cours du repas, les convives plaisantant se lancent des paris et proposent de s’affronter au cours d’une partie de pharaon. Casanova y est convié et y rencontre une belle qui lui fait les yeux doux. Sans mystère aucun, la perspective d’un jeu d’amour et de hasard suffit à reporter son départ. Si l’on en croit les indices temporels semés dans le récit, celui-ci séjournera même plusieurs semaines à l’auberge, donnant lieu à une séquence ponctuée de parties de jeu particulièrement riches à commenter.
16En effet, le jeu intègre des stratégies de séduction finement élaborées, que l’on fasse gagner sa belle ou qu’on la divertisse en endossant le rôle de maître du jeu – celui que l’on appelle le banquier. Ainsi l’ambassadeur Bernis, devenu cardinal lorsque Casanova le recroise à Rome en 1770, courtise l’épouse Croce au moyen d’une partie de piquet qu’il avait « tête à tête avec elle, où il avait le talent de savoir perdre tous les jours six sequins romains ni plus ni moins »22. La partie de jeu permet d’être reçu favorablement au domicile des époux et d’y faire sa cour. Casanova recourt au même stratagème à Vienne auprès d’une belle qui « aimait le jeu, et n’était pas riche » : « je voyais qu’avec de l’argent je pouvais espérer de l’emporter d’emblée »23. À dessein, le Vénitien se montre « distrait » au cours d’une partie de tressette et « fait tant de fautes » qu’il perd « jouant toujours contr’elle une quarantaine de florins ». Simple échange de bons procédés ou transaction financière déguisée ? Le jeu semble être utilisé comme biais de la prostitution, dans un milieu noble et soucieux de l’honneur au sein duquel elle ne saurait avoir lieu.
17Au-delà de sa dimension ludique, les implications financières du jeu de hasard interfèrent avec la convention sociale. Il apparaît en effet comme la pierre de touche du moi, et l’expérience à partir de laquelle un ethos social se crée, se construit et s’évalue. L’idéal mondain du beau joueur, qui n’est pas sans lien avec celui de l’honnête homme, permet de mesurer la valeur du joueur, lequel se doit de rester civil même lorsque ses passions sont mises à mal par les incessants revers de fortune à chaque tour de la partie24. Un accord tacite se noue dès lors que la partie commence, contraignant le joueur à la maîtrise de soi car en acceptant de jouer, l’on accepte l’éventualité de perdre. Le noble adversaire, avec lequel il est agréable et plaisant de jouer, ne confond pas « les domaines du jeu et de la vie »25. Si enjeux ludiques et sociaux se superposent, le jeu n’est et ne reste qu’un jeu. C’est à cette condition que Thomas d’Aquin et d’autres moralistes après lui intègrent le jeu dans l’espace social26. Ainsi, lors d’une partie de jeu avec le jeune Tireta, sorte d’apprenti aventurier de Casanova, ce dernier lui délivre une leçon de savoir-vivre :
[…] le banquier était capon visible ; mais Tireta ne l’a connu qu’après avoir perdu tout son argent, et cent louis sur la parole. Le banquier pour lors mit bas les cartes, et Tireta lui dit en bon italien qu’il était fripon. Le Piémontais lui répondit de grand sang-froid qu’il en avait menti. J’ai alors dit que Tireta avait badiné, et je l’ai forcé, quoiqu’en riant, d’en convenir. […] Je lui ai fait le même soir un sermon des plus forts. Je lui ai démontré que d’abord qu’il jouait, il devenait sujet à l’adresse du banquier, qui pouvait être fripon, mais en même temps brave, et que par conséquent, osant le lui dire, il risquait la vie.
– Dois-je donc me laisser voler ?
– Oui ; car tu as le choix. Tu es le maître de ne pas jouer27.
18Son caractère récréatif compte parmi les impératifs les plus sacrés du jeu de hasard. Il divertit, rassemble, et même en perte, le joueur doit garder sa légèreté et sa belle humeur. C’est un exercice de représentation dont le Vénitien a bien compris les enjeux lorsque, plus tard dans le récit, au cours d’un séjour dans la ville de Lodi, il se réjouit de la perte qu’il a faite au profit d’une compagnie de nobles dames : « J’ai contenté toute la belle compagnie, lui faisant une banque ; et au bout de trois heures j’ai quitté, enchanté d’avoir perdu trente à quarante sequins : sans cela on ne m’aurait pas préconisé pour le plus beau joueur de toute l’Europe »28.
Le jeu comme medium d’élévation sociale
19À condition donc de respecter le maintien qui s’impose, la fréquentation des tables de jeu permet d’avoir accès à des cercles sociaux privilégiés. Forts de cette vogue du jeu, certains salons particuliers s’organisent en Académies de jeu, nouveaux lieux de sociabilité aristocratique dans lesquels les joueurs fraîchement arrivés doivent être introduits par un membre habitué faisant office de chaperon ou de garant. L’on perd « sur la parole [sic] »29, l’on devient le créancier d’un adversaire qui a perdu, l’on se prête de l’argent, etc. : autant de situations qui conduisent les joueurs à se faire des visites qui, selon les lois de l’hospitalité, se muent en dîners mondains. Une quantité de relations sociales s’articulent autour du jeu30, comme celle qui unit Casanova au prince palatin de Russie : « Je passais les après-dîners chez le prince palatin de Russie pour faire sa partie de tre sette, jeu italien qu’il aimait beaucoup, et que je jouais assez bien pour que ce prince ne fût jamais si content que lorsqu’il pouvait m’avoir de sa partie »31.
20Toutefois, le cas d’école reste l’épisode au cours duquel Casanova se trouve promu co-directeur de la loterie la plus populaire de France, la loterie de l’École royale militaire, qu’il a créée en 1757 en partenariat avec les frères Calzabigi et le financier Duverney sous les auspices de la marquise de Pompadour. Grâce à ce nouveau statut, il jouit de l’aristocratie parisienne et s’assure en outre un revenu considérable : « je retournais à la maison avec mes poches pleines d’or […]. J’étais le seul qui roulait carrosse ; cela me donnait un nom, et un crédit ouvert »32. En sa qualité de fils de comédiens, Casanova n’aurait pas eu accès, ou difficilement, à cette sociabilité permise par le jeu de hasard. Ce dernier fait donc advenir une mobilité sociale hors des schémas habituels, très restreints et limités33.
21Cependant, la partie de jeu, en tant que cadre social, demeure un lieu dans lequel s’affirment et s’infirment des rapports de supériorité et d’infériorité entre les individus34. L’on peut à ce titre parler de double jeu, ou encore de strates ludiques au sens où se superposent d’une part le jeu auquel on joue – par exemple, la partie de pharaon –, et d’autre part les différents jeux de pouvoir, qu’il s’agisse de séduction amoureuse ou politique. En effet l’emporter sur son adversaire permet de manifester sa supériorité dans le cadre préétabli du jeu, mais cette victoire dépasse aussi le jeu en soi puisqu’elle accorde considération, honneur et admiration en dehors du jeu35. Ainsi, lors d’un séjour à Naples en 1760, alors que Casanova s’entretient avec donna Leonilda, une jeune femme qu’il entreprend de séduire, la conversation tombe sur une grosse somme que le Vénitien a perdue :
– Le duc m’a dit que tu as perdu fort noblement mille ducats. Tu es donc malheureux.
– Pas toujours ; mais quand je joue dans le jour même que je suis devenu amoureux, je suis sûr de perdre. […]
– Ne joue donc pas.
– On dirait que j’ai peur de perdre, ou que je n’ai pas d’argent36.
22À travers le discours séducteur tenu par Casanova transparaît la posture du beau joueur qui ne s’afflige pas de la perte de mille ducats37, mais aussi l’importance du qu’en-dira-t-on et du paraître au sein de la noble société. Miser et perdre de l’argent doivent être ludiques – et il y a bien là quelque chose de la loi sociale – et permettent de montrer que l’on en a. Ce mécanisme d’auto-projection consiste à se donner pour l’égal des très riches dans le but de sortir de sa condition sociale initiale.
23Le jeu relève donc du loisir à condition qu’il soit exercé dans le cadre d’une pratique modérée et policée. Il porte une dimension sociale, en ce qu’il occupe le temps des classes qui ont le privilège de l’oisiveté, et une dimension stratégique, puisque les parties de jeu miment les rapports de pouvoir sur les plans amoureux ou politique. Cependant, il existe des cas-limites où le jeu n’est plus loisir, à commencer par celui des joueurs de profession, personnages emblématiques des Lumières qui ont choisi le jeu pour état.
Les limites : lorsque le jeu n’est plus loisir
Le jeu pour état, ou les joueurs de profession
24Ceux que l’on appelle aussi les correcteurs de fortune parcourent l’Europe et ses tables de jeu pour se soutenir. Parmi les plus célèbres, Ange Goudar, que Casanova croise à plusieurs reprises dans l’Histoire de ma vie et qui a lui aussi tenté une fortune littéraire. Il est notamment l’auteur de l’Histoire des Grecs ou de ceux qui corrigent la fortune au jeu – autre terme qui s’ajoute à la longue liste pour désigner les tricheurs, témoignant ainsi de l’ampleur du phénomène au xviiie siècle. Il y révèle différentes astuces et techniques de tricherie plus ou moins complexes selon les circonstances et le profil des dupes, parmi lesquelles saouler ou droguer sa dupe, lui donner confiance en la faisant gagner plusieurs parties d’affilée avant de lui faire faire une grande lessive, ou encore lui prêter de l’argent pour l’amener à s’endetter davantage38. Concernant les techniques les plus courantes des tricheurs, les historiens notent les dés truqués, l’entente entre tricheurs ou encore les cartes marquées. La méthode de marquage la plus simple et la plus banale consisterait en une infime éraflure faite à l’aiguille, mais il existerait d’autres méthodes plus élaborées. Ainsi, dans l’auberge d’Aix-en-Savoie mentionnée plus tôt, Casanova se lie d’amitié avec un groupe de jeunes nobles amateurs de jeux, mais n’exclut pas pour autant la prudence :
Ne voyant devant moi que des cartes dépaquetées, j’en demande des neuves. Le maître de la salle me dit qu’il avait envoyé un homme à Chambéri [sic]pour en acheter cent jeux, et qu’il ne pouvait pas tarder à venir.
— En attendant, me dit-il, vous pouvez tailler avec ces jeux-là. Ils sont comme neufs.
— Je ne les veux pas comme neufs ; mais neufs. J’ai des maximes, mon ami, que tout l’enfer ne saurait me faire abandonner. En attendant votre homme, je me tiendrai spectateur. […]
J’ai cru de l’avoir échappé belle, car dans ce pays-là il y a des gens qui ont des yeux prodigieux39.
25La mention des « yeux prodigieux » semble faire référence à un marquage visuel des cartes. La technique la plus efficace pour se protéger des tricheurs serait alors de n’utiliser que des jeux de cartes neufs, que les joueurs dépaquettent ensemble au début de chaque partie.
26Pour la plupart, les correcteurs de fortune sont voués à rester mobiles et se déplacent de ville en ville dès lors que les pouvoirs publics les repèrent, selon que les jeux d’argent soient illégaux, ou que le scandale des pertes qu’ils font essuyer aux jeunes nobles se répande. Lors d’un séjour à Lyon en 1750, Casanova retrouve Ancilla, une célèbre courtisane qui « donnait toutes les nuits des soupers » :
[…] on y jouait gros jeu, et on y faisait des grosses pertes. Celui qui tenait la banque s’appelait Giuseppe Marcati : c’était le même que j’avais connu huit ans avant ce temps-là […]. On l’appelait alors Giuseppe il cadetto. Ce correcteur de la fortune qui après devint célèbre sous son véritable nom d’Afflisio, […] était alors avec Ancilla, et ruinait la jeunesse de Lyon. Une perte de cinquante mille écus qu’un fils d’un riche négociant fit, et dut payer mit toute la ville en alarme […]40.
27Le changement de lieu s’accompagne d’un changement de nom, et Casanova lui-même recourt à plusieurs pseudonymes dans sa carrière d’aventurier. Il est le chevalier de Seingalt, appellatif qu’il a composé grâce à un libre usage des lettres de l’alphabet dont il ne se cache pas, Farussi, selon le nom de jeune fille de sa mère, ou encore comte Cazanov de Farussi lors de son passage en Russie.
28Comme l’annonce la prolepse narrative, les joueurs de profession sont amenés à se recroiser au fil de leurs pérégrinations. C’est le cas de d’Afflisio, pour lequel Casanova nourrit une forte rancœur, mais encore d’Ange Goudar. Les deux hommes se lient d’amitié durablement et s’associent en 1770 à Naples :
[…] il se soutenait par les jeux de hasard. Pharaon et Biribi faisaient toute sa rente ; et elle devait être considérable, puisque tout chez lui était magnifique. Invité à m’intéresser à ce commerce, je n’ai eu garde de refuser, certain que je partagerais toutes les utilités que je pourrais procurer à la société par la sage conduite qu’il fallait avoir, et dont je connaissais les lois, et les règles. Ma bourse s’acheminait à grands pas vers sa fin, et je n’avais peut-être que cette ressource-là pour poursuivre à me soutenir dans le même train41.
29Le partenariat commercial proposé semble avantageux dans la mesure où il permet au protagoniste de « soutenir » sa prodigalité. Il fait office de rabatteur au même titre que Sara Goudar, dont les prétendants fréquentent le salon de jeu avec assiduité pour lui faire leur cour.
30Les joueurs de profession sont monnaie courante au xviiie siècle, au point de devenir une nouvelle composante du jeu. Selon Casanova, ils sont même « devenus plus nombreux que les dupes, comme les médecins le sont plus que les malades »42. Si la comparaison prête à sourire en ce qu’elle reprend le poncif comique des médecins assassins, elle confirme du moins l’ampleur du phénomène. Le tricheur devient objet de curiosité, voire d’admiration car son habileté fascine43. Désormais pour la dupe, le jeu consisterait non pas à le démasquer, au risque de passer pour un mauvais joueur, mais bien à éviter et à déjouer ses stratégies au sein même du cadre du jeu et des coups qu’il autorise, et ce toujours selon les préceptes éthiques du beau joueur44.
La fureur du jeu, ou l’addiction au jeu
31Sous la plume de moralistes comme Jean Dusaulx revient souvent l’expression « fureur du jeu » 45, un phénomène dont aurait été particulièrement victime le xviiie siècle et qui invite à interroger le statut de loisir dévolu au jeu de hasard et d’argent. Le Dictionnaire de l’Académie française définit la fureur comme une « rage, manie, frénésie », et comme une « passion déraisonnable et démesurée » lorsqu’elle s’applique au jeu. L’expression renvoie à la pratique des joueurs obsessionnels, dont la fréquence de jeu est rapprochée et les mises importantes. En effet, considérer le jeu comme une passion met en lumière un autre pan, à rebours du rapport civil, normé et mesuré qu’il convient d’avoir au jeu en bonne société. Il devient de fait à condamner car il conduit les joueurs au désespoir et entraîne la ruine des foyers46. Autant joueur que séducteur, si ce n’est davantage, Casanova en fait régulièrement les frais. En janvier 1754, à la suite d’une nuit d’amour, il témoigne de ce franchissement des bornes prescrites par le contrat ludique : « je suis retourné à Venise heureux, si j’avais su, et pu me soustraire à l’empire de la fortune finissant de jouer »47. Le redoublement des participes passés des verbes « savoir » et « pouvoir », coordonnés au sein de la proposition subordonnée conditionnelle, marque l’addiction du protagoniste, conscient d’œuvrer contre son intérêt exposant son sort aux revers de fortune. Le scenario se produit d’ailleurs régulièrement puisque nombre de ses péripéties dépendent des fluctuations de sa fortune personnelle et de sa réputation de joueur.
32Outre l’addiction au jeu, le rapport à l’argent chez les joueurs permet d’interroger le statut du jeu comme loisir au service du seul plaisir. Au cours de l’année 1754, lors de la période vénitienne qui voit se développer ses amours avec la religieuse M. M., le protagoniste se lie d’amitié avec les puissants de la ville et confie que :
Dans une telle situation il semble que j’aurais dû me trouver heureux ; mais je ne l’étais pas. J’aimais le jeu, et ne pouvant pas tailler, j’allais ponter à la redoute [le Ridotto], et je perdais matin, et soir. Le chagrin que j’en ressentais me rendait malheureux. Mais pourquoi jouais-je ? Je n’en avais pas besoin ; car j’avais tant d’argent que je voulais pour satisfaire à toutes mes envies. Pourquoi jouais-je me connaissant extrêmement sensible à la perte ? Ce qui m’obligeait à jouer était un sentiment d’avarice. J’aimais la dépense, et le cœur me saignait quand je ne pouvais pas la faire avec de l’argent gagné au jeu48.
33La modalité interrogative porte le monologue intérieur du personnage, dont l’ambition délibérative questionne les motivations du jeu. Celles-ci semblent échapper à Casanova lui-même, qui affirme jouer par avarice et dont l’argent du jeu permet de financer la vie luxueuse. C’est une idée qu’il avait déjà exprimée plus tôt :
La vie que je menais à Venise aurait pu me paraître heureuse, si j’avais pu m’abstenir de ponter à la Bassette. […] Je jouais, et j’avais grand tort, car je n’avais ni la force de quitter quand la fortune m’était contraire ni celle de ne pas courir après mon argent. Ce qui me forçait à jouer était un sentiment d’avarice […]. Il me semblait que l’argent gagné au jeu ne m’avait rien coûté49.
34Dans le discours, l’éventualité du bonheur se trouve à nouveau contrebalancée par une proposition subordonnée conditionnelle qui postule l’incapacité du joueur à ne plus jouer, et dont la violence de l’addiction est signifiée par la variation polyptotique autour du radical forc-50.
Conclusion
35Ce bref panorama des motivations du jeu, à la lumière des pérégrinations de l’aventurier Casanova dans l’Europe du xviiie siècle, révèle que s’il est un des loisirs majeurs de la noblesse oisive et de ses salons, sa pratique outrepasse le seul plaisir. Il permet de faire société et constitue un cadre défini, normé et policé au sein duquel se jouent d’autres jeux, tant amoureux que politiques, hors des schémas habituels d’une mobilité sociale restreinte. De plus, l’argent constitue un moyen de dramatiser les parties et d’en accroître les enjeux, ce qui éclaire les pratiques mondaines d’une classe sociale qui, le plus souvent, n’en manque pas. Les mises financières cristallisent les rapports de force entre joueurs, mais invitent également à réévaluer la tension entre la dimension récréative et les logiques tant morales que sociales à l’œuvre dans le jeu.
Bibliographie
Sources
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Notes
1 Colas Duflo est à l’origine de cette formule, souvent reprise après lui (Le jeu de Pascal à Schiller, Paris, Presses universitaires de France, 1997, p. 57).
2 L’édition ici utilisée est la suivante : Casanova, Histoire de ma vie, 3 vol., éd. Jean-Christophe Igalens et Érik Leborgne, Paris, Robert Laffont (Bouquins), 2013-2018.
3 Blaise Cendrars, « Pro Domo : comment j’ai écrit Moravagine », Moravagine, 1949.
4 « Figurément et familièrement, en parlant d’une grande perte qu’un homme a faite au jeu, on dit, qu’Il a fait une étrange lessive, une furieuse lessive » (Dictionnaire de l’Académie française, 5e éd., 1798).
5 Voir Francis Freundlich, Le monde du jeu à Paris : 1715-1800, Paris, Albin Michel, 1995, p. 187-188 : les divers rapports de police étudiés par Freundlich mentionnent des pertes allant de 3 600 à 10 600 livres pour un même joueur en une seule soirée. Il s’appuie sur un sondage notarial pour établir, à titre de comparaison, que de telles sommes représentent presque un cinquième de ce que 75% de la noblesse parisienne est en mesure de rassembler au moment d’un mariage. Il n’est donc « pas douteux qu’une perte de 10 000 livres puisse entamer durablement de solides patrimoines ».
6 Acad. fr., 1798.
7 Casanova, Histoire de ma vie, vol. I, éd. Jean-Christophe Igalens et Érik Leborgne, Paris, Robert Laffont (Bouquins), 2013, p. 360.
8 Il s’agit là des trois jeux de hasard les plus courants. La bassette et le pharaon sont deux jeux de cartes qui opposent un banquier et des joueurs qui misent et que l’on nomme les pontes. Le biribi se joue avec des boules que l’on tire au sort et dans lesquelles se trouvent des numéros correspondants à ceux d’un tableau, toujours richement décoré.
9 Casanova, Histoire…, vol. I (éd. cit. n. 7), p. 1060.
10 Jeu de trente-deux cartes qui se joue principalement à deux.
11 Casanova, Histoire de ma vie, vol. II, éd. Jean-Christophe Igalens et Érik Leborgne, Paris, Robert Laffont (Bouquins), 2015, p. 899-900.
12 Sur la notion de « contrat ludique », voir Colas Duflo, Jouer et philosopher, Paris, Presses universitaires de France, 1997, p. 221-225.
13 Roger Caillois, L’homme et le sacré, éd. augm., Paris, Gallimard (Idées), 1980, p. 207-208.
14 Ibid., p. 208-209.
15 Casanova, Histoire…, vol. I (éd. cit. n. 7), p. 1168. La mention des boîtes à portraits fournit une indication sur l’ampleur de la dette du Vénitien.
16 Les casins sont de petites maisons particulières où se tenaient des parties de jeu illicites. À l’inverse du Ridotto, la salle officielle sous la juridiction du gouvernement vénitien où seuls les patriciens pouvaient tenir la banque.
17 Casanova, Histoire…, vol. I (éd. cit. n. 7), p. 1150.
18 F. Freundlich, Le monde… (op. cit. n. 3), p. 171.
19 René Favier, « Jouer dans les villes de province en France au xviiie siècle », Histoire urbaine, 1, 1, 2000, p. 15.
20 Dans Les confessions du comte de *** de Duclos, le protagoniste voit en le jeu le remède à la tranquillité de l’après-midi chez Madame de Tonins : « Au bout d’une heure je m’aperçus que la conversation languissait ; je proposais une partie de jeu […]. », Romans libertins du dix-huitième siècle, éd. Raymond Trousson, Paris, Robert Laffont (Bouquins), 1993, p. 221, cité par Luisa Messina, « Les jeux de cartes dans le roman libertin du dix-huitième siècle », Les chantiers de la création [En ligne], 11, 2019, p. 7. URL : https://journals.openedition.org/lcc/1562.
21 Casanova, Histoire…, vol. II (éd. cit. n. 11), p. 512.
22 Casanova, Histoire de ma vie, vol. III, éd. Jean-Christophe Igalens et Érik Leborgne, Paris, Robert Laffont (Bouquins), 2018, p. 899-900.
23 Casanova, Histoire..., vol. I (éd. cit. n. 7), p. 909.
24 « On appelle Beau joueur, Un homme qui a des procédés honnêtes au jeu, soit qu'il gagne, soit qu'il perde ; et Vilain joueur, ou mauvais joueur, dans le sens opposé. » (Acad. fr., 1798).
25 R. Caillois, L’homme… (op. cit. n. 13), p. 209.
26 Voir Élisabeth Belmas, Jouer autrefois : essai sur le jeu dans la France moderne, xvie-xviiie siècle, Seyssel, Champ Vallon, 2006, p. 21-46. L’historienne reprend les considérations des moralistes qui se sont attachés à « déterminer la licéité » du jeu selon la définition de sa nature mais surtout selon les circonstances de sa pratique. Dans la Somme théologique notamment, Thomas d’Aquin fait de l’activité ludique le lieu d’expression d’une forme d’urbanité – l’eutrapelia d’Aristote – vertu nécessaire que les jeux contribuent à développer.
27 Casanova, Histoire…, vol. II (éd. cit. n. 11), p. 60.
28 Ibid., p. 1066.
29 L’expression « sur la parole » compte parmi les italianismes (sulla parola) récurrents de Casanova. « On dit, Jouer sur sa parole, perdre une somme d'argent sur sa parole, pour dire, Jouer, perdre à crédit et sur sa bonne foi » (Acad. fr., 1798).
30 Dans Le monde des salons : sociabilité et mondanité à Paris au xviiie siècle, Paris, Fayard, 2005, Antoine Lilti souligne néanmoins qu’il est nécessaire de jouer gros pour être reçu dans les salons parisiens, ce qui pose les moyens financiers en critère de sélection, mais aussi attire les aventuriers qui « sont bien reçus et caressés seulement parce qu’ils jouent et sont riches » (p. 234).
31 Casanova, Histoire…, vol. III (éd. cit. n. 22), p. 389.
32 Casanova, Histoire…, vol. II (éd. cit. n. 11), p. 23.
33 Voir Olivier Grussi, La vie quotidienne des joueurs sous l’Ancien Régime à Paris et à la Cour, Paris, Hachette, 1985, p. 147-170 : le brassage opéré par le jeu fait son apparition en littérature dès la fin du xviie siècle et est traité comme un dérèglement tant social que moral, puisque si certains – le marquis de Dangeau étant le plus célèbre exemple - parviennent à entrer dans le grand monde en dépit de leur basse naissance, les nobles s’abaissent à jouer avec la crapule.
34 Antoine Lilti propose une analyse des pratiques de politesse, laquelle « n’est en rien un comportement qui égalise ; au contraire, elle trahit les distances sociales. » - Le monde des salons… (op. cit. n. 31), p. 158. Pour un développement plus spécifiquement appliqué au domaine du jeu, voir Michel Porret, « Civilité et incivilité de salle de jeu », dans Les espaces de la civilité [actes du colloque organisé par le Centre de recherches sur les littératures modernes et contemporaines, Université Blaise-Pascal-Clermont II, 24-26 mars 1994], dir. Alain Montandon, Mont-de-Marsan, Éd. Interuniversitaires, 1995, p. 251-270.
35 Johan Huizinga, Homo ludens, Essai sur la fonction sociale du jeu, trad. Cécile Seresia, Paris, Gallimard (Tel, 130), 1998, p. 79.
36 Casanova, Histoire…, vol. II (éd. cit. n. 11), p. 758.
37 Selon la table de conversion présente dans l’édition Robert Laffont - Casanova, Histoire..., vol. I –, la somme représenterait environ quatre mille livres, soit quasiment le revenu annuel d’un bourgeois.
38 Lors d’un séjour à Stuttgart au début de l’année 1760, Casanova fait mention d’un « poison » que des joueurs lui auraient « fait avaler » au moyen de quelques verres de vin, l’amenant à s’endetter d’environ quatre mille louis, soit plus d’un million d’euros (Casanova, Histoire…, vol. II, p. 335).
39 Ibid., p. 543-544.
40 Casanova, Histoire…, vol. I (éd. cit. n. 7), p. 699.
41 Casanova, Histoire…, vol. III (éd. cit. n. 22), p. 828.
42 Ibid., p. 478.
43 Dans son ouvrage De la passion du jeu, depuis les temps anciens jusqu’à nos jours, Paris, 1779, Jean Dusaulx s’inclut dans une communauté de joueurs pour expliquer que « nous ne voulons pas qu’on nous ruine à coup sûr ; mais nous capitulons volontiers avec l’infamie, pourvu qu’elle ait du crédit et de l’argent ; pourvu qu’elle procure ou vende des plaisirs, et surtout qu’elle amuse […] » (p. 181). Plus haut, il écrit que la tricherie est tolérée de bon gré « pourvu que l’on fût brave, que l’on eût de l’enjouement et de l’esprit » (p. 177).
44 F. Freundlich, Le monde… (op. cit. n. 3), p. 206.
45 Lettres et réflexions sur la fureur du jeu, 1775 ; De la passion du jeu depuis les temps anciens jusqu’à nos jours, 1779.
46 Cf. note 28. Voir également M. Porret, (art. cit. n. 36), p. 265. Porret observe la récupération des discours moralistes par les traités de jeu dans le but d’énoncer les principes d’une nouvelle « civilité au jeu ».
47 Casanova, Histoire…, vol. I (éd. cit. n. 7), p. 1058.
48 Ibid., p. 1091.
49 Ibid., p. 517.
50 Les moralistes recourent souvent au vocabulaire médical pour caractériser la fureur du jeu. Plus qu’une passion condamnable, le jeu devient une pathologie sous la plume des plus sévères d’entre eux, qui en décrivent les affections physiques avec force détails.
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