Édito

Par Thomas Guglielmo
Publication en ligne le 16 juillet 2025

Texte intégral

1Les dix-septièmes Journées Jeunes Chercheurs organisées par l’association Janua ont réuni, les 17 et 18 avril 2025, des jeunes chercheurs et chercheuses en sciences humaines avec pour objectif de présenter une communication autour des « loisirs au service du plaisir : entre oisiveté, distraction et contemplation », dans une perspective pluridisciplinaire et méthodologique favorisant le dialogue et la réflexion. Ce thème, vaste et dense, a permis de réunir ensemble diverses disciplines tout en mobilisant une ample chronologie, allant du haut Moyen Âge au xxie siècle. Ces Journées, stimulantes, ont été sources d’apprentissages et de discussions.

2Dans ce onzième numéro des Annales de Janua, les intervenant·e·s ont proposé des contributions variées, témoignant du fort potentiel heuristique du loisir comme objet d’études des sciences historiques.

3Les loisirs, en ce qu’ils sont liés à la question du temps, du temps disponible et vécu, cristallisent des enjeux sociaux, politiques et économiques. Par la réduction du temps de travail avec l’instauration de la semaine de 40 heures et la généralisation des congés payés en 1936, par la transformation des pratiques de consommation avec l’augmentation du nombre de vacanciers et de vacancières et du rapport à l’espace et à l’environnement avec le développement du tourisme ou encore par le développement d’une « économie de l’attention » avec les jeux vidéo, la conquête du temps de loisir et les loisirs eux-mêmes recomposent les rapports sociaux et permettent de faire société.

4Les lecteurs et les lectrices de ce numéro des Annales auront ainsi, en allant du jeu d’échecs dans l’Europe médiévale aux jeux vidéo les plus contemporains, en passant par le théâtre en Poitou à la fin du xviiie siècle, tout le loisir de saisir le potentiel offert par cet objet d’études pour affiner notre compréhension des sociétés, passées et présentes.

5Ces Journées Jeunes Chercheurs ont également été l’occasion, pour les intervenants et les intervenantes, d’évoquer les obstacles rencontrés au cours de leurs recherches et de partager leurs réflexions méthodologiques, mettant en relief la diversité des approches possibles dans l’étude des pratiques de loisirs.

6Henrique Sarmento-Pedro ouvre ce numéro avec un article sur les artefacts de jeux d’échecs médiévaux. Si les échecs sont aujourd’hui un loisir et une pratique sportive, il n’en allait pas de même au Moyen Âge, qui en faisait également une source d’enseignements de la stratégie militaire pour les jeunes nobles. Retraçant l’état des connaissances sur le parcours du jeu depuis l’Inde jusqu’à l’Europe, en passant par le monde arabe oriental, Henrique Sarmento-Pedro nous montre que l’engouement pour le jeu d’échecs est ancien. Les premières traces archéologiques en Europe occidentale remontent aux xe-xie siècles. L’auteur souligne qu’en règle générale, les pièces d’échecs médiévales ont des formes plutôt abstraites. Il évoque également les évolutions formelles importantes qu’ont connu les pièces en Europe durant le Moyen Âge, que les artefacts découverts en fouilles permettent de documenter.

7David Papotto nous propose d’avancer un peu dans le temps en s’intéressant à l’autobiographie de Casanova, Histoire de ma vie. Dans son article, l’auteur se propose d’analyser les stratagèmes utilisés par Giacomo Casanova pour s’adonner, alors qu’il est roturier, à l’oisiveté des aristocrates libertins, au sein d’un milieu que rien ne le prédestinait à fréquenter. David Papotto met en exergue la fausse oisiveté de Casanova, qui met en place un grand nombre de stratagèmes pour donner l’illusion de l’oisiveté.

8Clémence Carrasco-Vaudon nous propose de poursuivre la réflexion autour du livre autobiographique de Giacomo Casanova, Histoire de ma vie. L’autrice entend analyser les motivations morales et sociales qui sous-tendent la pratique du jeu chez le libertin. Pour cela, Clémence Carrasco-Vaudon rappelle que le jeu, très présent en ce xviiie siècle nommé « siècle du jeu », est, en tant que divertissement, vecteur de sociabilité et source de revenus, i.e. la porte d’entrée de Casanova dans l’oisiveté des aristocrates libertins. C’est ainsi en se présentant comme un beau joueur et en respectant – en apparence – les termes du contrat social qu’est le jeu, que Casanova peut se donner, en imitant son mode de vie, l’apparence d’un aristocrate libertin. En ce que le jeu de hasard permet de « faire société », il est plus qu’un simple « loisir au service du plaisir ». Il est, pour Giacomo Casanova, une voie d’accès et de maintient dans le milieu de l’aristocratie libertine qu’il souhaite fréquenter.

9Mélissa Jarrousse nous propose, avant de quitter la Première modernité, un détour par le théâtre en Poitou entre 1770 et 1815. Dans son article, l’autrice montre que le théâtre de province, qui se développe beaucoup au xviiie siècle, n’est pas seulement un espace de loisir, mais également un lieu d’éducation politique et social et un espace marchand. Si le théâtre connaît un essoufflement dans les années 1770 et 1780, il est marqué par un renouveau durant la période révolutionnaire. Ce renouveau est cependant à nuancer. La Révolution française fait du théâtre l’instrument opportun de la célébration de la République. Les pièces patriotiques se multiplient alors. Port de la cocarde obligatoire pour les acteurs, contrôle et censure du répertoire, autorisation et interdiction de pièces deviennent la règle. Mélissa Jarrousse montre également que le théâtre fait aussi l’objet de critiques de la part des moralistes, qui y voient une source de débauche et de perdition pour le peuple. L’autrice montre que le théâtre populaire, par les critiques qui en sont faites et la volonté de contrôle qu’il subit, cristallise des angoisses autour de l’émancipation du peuple de l’autorité politique.

10Nicolas Gony nous invite à enfourcher notre vélocipède pour nous livrer, le temps de son article, au cyclotourisme. L’auteur se propose d’étudier la naissance du cyclotourisme au tournant des xixe et xxe siècles et le rapport entretenus par les cyclotouristes au temps du loisir dans les témoignages qu’ils ont laissé dans la revue stéphanoise Le Cycliste. L’auteur observe que, rapidement, une ontologie se forme autour du cyclotourisme, qui devient une « morale permettant l’accès au bonheur et non plus seulement [un] moyen de faire du tourisme et de se distraire. » Nicolas Gony souligne l’importance accordée à la mesure du temps de parcours effectué en vélocipède, dans une volonté de le contrôler et de le quantifier afin de proposer au lectorat du la revue Le Cycliste des parcours reproductibles, qu’il peut organiser sur ses jours chômés. Le Cycliste, vitrine de l’École stéphanoise incarnée par Paul de Vivie, dit Vélocio, propose une éthique du cyclotourisme et lui confère une supériorité d’ordre moral sur les autres pratiques cyclistes, à l’instar de la course, et touristiques (automobile notamment).

11Geoffrey Poitou nous propose, après avoir parcouru plusieurs siècles, de prendre quelques congés payés bien mérités. L’auteur montre que la généralisation des congés payés, accordés à l’ensemble des travailleurs – et aux ouvriers notamment – en 1936 a entraîné diverses conséquences. Outre l’essor du tourisme permis par l’augmentation considérable du nombre de vacanciers et de vacancières, le temps libre offert par la réduction du temps de travail et la semaine de 40 heures a eu pour effet de recomposer les sociabilités ouvrières. En outre, l’essor du tourisme dans la classe ouvrière entraîne des réactions chez le patronat. Dès lors, le temps de loisir des ouvriers devient l’objet d’un conflit politique avec le patronat. Ce dernier voit dans les politiques sociales du Front populaire et le temps de loisir offert aux travailleurs une légitimation de la paresse.

12Elsa Dos Santos se propose d’interroger les liens entre le 1% artiste et le loisir. L’art et l’œuvre d’art sont alors envisagés comme un loisir. L’autrice explique que la politique du 1% artistique découle d’une volonté d’aménager et de transformer les espaces de vie et la société par l’art. L’art s’accomplit dans la société. Les liens entre la production artistique issue du 1% artistique et le loisir viennent de ce que les spectateurs et les spectatrices peuvent, parfois, « utiliser » l’œuvres, faite pour être parcourue, touchée, manipulée, ou en laissant la possibilité aux spectateurs de modifier l’œuvre initiale, dans une volonté de créer une interaction entre le public et l’œuvre. Au-delà de la diffusion de l’art, l’objectif du 1% artistique est de favoriser la créativité du public.

13Enfin, Hakim Boussejra nous propose un repos bien mérité avec quelques parties de jeux vidéo. Dans son article, l’auteur s’intéresse à la pratique vidéoludique des enfants. Hakim Boussejra montre que le jeu vidéo, pratiqué par plus de 90% des 10-17 ans, structure leur développement et leur sociabilité en tenant une place importante dans leur vie. L’auteur évoque les nombreuses discussions des enfants à l’école autour des jeux vidéo, participant à leur sociabilité. En cela, le jeu vidéo, qui demeure un loisir, devient plus que cela, en stimulant l’imagination des enfants.

14Pour finir, nous souhaitons adresser nos plus sincères remerciements à l’ensemble des acteurs et des actrices de ce onzième numéro des Annales de Janua.

15Nous remercions l’association Janua, et tout particulièrement les organisateurs et organisatrices de ces dixièmes journées d’études – Juliette Carrique, Léa-Bérangère Dechamp, Mathilde Froget, Thomas Guglielmo, Jeanne Ledan, Alexis Minault et Athar Ngazou – qui ont veillé à leur bon déroulement. Merci aux auteurs de ce numéro – Hakim Boussejra, Clémence Carrasco-Vadon, Elsa Dos Santos, Nicolas Gony, Mélissa Jarrousse, David Papotto, Geoffrey Poitou et Henrique Sarmento-Pedro – pour la qualité de leurs contributions originales sur le thème « loisirs au service du plaisir : entre oisiveté, distraction et contemplation ». Nous remercions chaleureusement les membres du comité scientifique de l’appel à communication, composé de : Mathilde Carrive, Andrzej Chankowski, Pierre-Marie Joris, Marie-Luce Pujalte-Fraisse, Alexandre Vincent, Thierry Sauzeau et Cécile Voyer. Nous nous devons de remercier également les membres du comité scientifique ayant relu les articles : Mathilde Carrive, Séverine Denieul, Jérôme Grévy, Sébastien Jahan, Anne Jollet, Pierre-Marie Joris, Julien Lalu, Marie-Luce Pujalte-Fraisse, Nathan Rera, Thierry Sauzeau et Cécile Voyer.

16L’équipe éditoriale des Annales de Janua a également pu compter sur le soutien d’une nouvelle équipe de secrétaires de rédaction. L’occasion pour nous de mentionner les noms de toutes les personnes qui ont donné de leur temps pour effectuer des relectures formelles nécessaires à une publication rigoureuse : Thomas Guglielmo, Blanche Lagrange, Valentin Louineau, Philippe Paquant et Damien Strzelecki.

17Nos remerciements vont également à Lucie Maniol, éditrice des Cahiers de civilisation médiévale, pour son aide précieuse dans la mise en forme des articles avant publication. Enfin, nous adressons nos remerciements à la webmaster, Vanessa Ernst‑Maillet, en charge de la mise en ligne de l’ensemble des articles. Son investissement auprès des Annales de Janua depuis leur création en 2013, sa disponibilité et son adaptabilité aux contraintes du travail éditorial en font une alliée précieuse des Annales et l’une des raisons de leur succès.

Pour citer ce document

Par Thomas Guglielmo, «Édito», Annales de Janua [En ligne], Les Annales, n° 11, mis à jour le : 10/07/2025, URL : https://annalesdejanua.edel.univ-poitiers.fr:443/annalesdejanua/index.php?id=3783.

Droits d'auteur

This is an Open Access article distributed under the terms of the Creative Commons Attribution License CC BY-NC 3.0 (https://creativecommons.org/licenses/by-nc/3.0/fr/) / Article distribué selon les termes de la licence Creative Commons CC BY-NC.3.0 (https://creativecommons.org/licenses/by-nc/3.0/fr/)